CONGRES HEBDO
L'utilisation hors AMM de certains médicaments chez l'enfant n'est pas un problème nouveau. Les pédiatres sont confrontés depuis longtemps au manque de données, d'une part, et à l'absence de galéniques adaptés, d'autre part, de nombreuses spécialités qui sont néanmoins nécessaires pour traiter certaines pathologies. Ce problème n'a pourtant été exposé au grand jour que récemment. Il est délicat. Ainsi, note le Pr Huriet, le médecin se trouve face à un dilemme : soit il utilise un médicament évalué chez l'adulte et il extrapole les données pour le prescrire hors AMM chez l'enfant, soit il se prive d'une possibilité thérapeutique.
Aujourd'hui, tout le monde s'accorde pour préconiser le développement d'essais thérapeutiques pédiatriques. Une évaluation spécifique est en effet nécessaire. Les effets pharmacologiques, qui concernent aussi bien l'efficacité que la tolérance d'un médicament, dépendent de nombreux facteurs liés au développement de l'organisme : l'absorption, la distribution, le métabolisme hépatique, l'excrétion rénale diffèrent suivant l'âge. Ainsi, l'immaturité peut entraîner une absorption intestinale plus faible chez le nouveau-né et le nourrisson que chez l'enfant plus grand, l'immaturité rénale néonatale est un facteur majeur du retard à l'élimination de nombreuses molécules... Des études de pharmacocinétique sont indispensables pour définir une posologie et un schéma d'administration adapté à l'âge et/ou au poids de l'enfant. La tolérance doit faire l'objet d'une vigilance particulière en pédiatrie. « L'immaturité des différents organes, les phénomènes de multiplication tissulaire et de croissance propres à l'enfance et la grande espérance de vie des jeunes expliquent que les études de tolérance soient indispensables, en particulier les études de suivi à long terme », souligne le Pr Evelyne Jacqz-Aigrain (hôpital Robert-Debré, Paris). Il faut, en effet, évaluer les effets potentiels des traitements sur la croissance, l'équilibre nutritionnel et la maturation du système nerveux central et des fonctions intellectuelles.
Des raisons éthiques incitent également à développer ces essais pédiatriques. Il n'est pas éthique d'utiliser des médicaments dont on ne connaît précisément ni l'efficacité ni la toxicité, comme il n'est pas éthique de priver l'enfant de médicaments existants dont il aurait besoin. Il existe également des arguments juridiques : le médecin qui prescrit un médicament hors AMM engage sa responsabilité, mais il peut aussi être mis en cause juridiquement s'il ne met pas à la disposition d'un jeune patient un traitement commercialisé...
Les arguments pour développer ces essais sont donc nombreux ; pourquoi n'ont-ils pas été réalisés plus tôt ? Les considérations économiques sont au premier plan, le coût de telles études pour des indications limitées est généralement mis en avant, mais elles ne sont pas seules. En effet, il n'est pas facile d'expliquer aux parents la nécessité de telles évaluations et de les faire adhérer à un essai randomisé. Les équipes soignantes sont, elles aussi, souvent réticentes. Un important travail d'information est donc indispensable envers les familles, comme pour les professionnels de santé.
« Un effort commun des pouvoirs publics, des institutions et des industriels est nécessaire », note le Pr Jacqz-Aigrain.
Des mesures incitatives pour les firmes pharmaceutiques ont été mises en uvre aux Etats-Unis, elles concernent l'exclusivité pour des molécules développées en pédiatrie. Par ailleurs, une loi oblige les industriels qui développent de nouveaux médicaments à inclure d'emblée des études chez l'enfant. Des projets sont également en cours au niveau européen. L'initiative en revient à la France. Une « mission des médicaments orphelins et des médicaments pédiatriques » a été confiée au Pr A. Wolf en 2000, en collaboration avec l'AFSSAPS, qui a créé un comité d'experts pédiatriques. Après un état des lieux des pratiques et des besoins, spécialité par spécialité, le travail se poursuit au niveau européen. Il est maintenant possible d'envisager d'obtenir de la Commission un projet législatif sur les médicaments pédiatriques, tel que celui adopté aux Etats-Unis, mais en tenant compte des spécificités européennes, conclut le Pr Wolf.
D'après un entretien avec le Pr C Huriet (Nancy) et les communications des Prs Evelyne Jacqz-Aigrain, Gérard Pons, A. Wolf (Paris) et du Dr Nathalie Hoog-Labouret (AFSSAPS).
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