LE GOUVERNEMENT nigérian porte plainte contre le groupe pharmaceutique américain Pfizer et réclame 2,75 milliards de dollars de dommages et intérêts. Dans un rapport réalisé par des experts nigérians, le laboratoire est accusé d'avoir «secrètement utilisé des enfants comme cobayes dans les tests d'un médicament sous le prétexte d'apporter une aide humanitaire». Selon la plainte déposée auprès de la Cour suprême fédérale du Nigeria, certains enfants qui ont reçu du Trovan (trovafloxacine), un antibiotique de type fluoroquinolone, auraient ensuite présenté des troubles : surdité, paralysie, troubles de la parole, lésions cérébrales ou cécité ; onze enfants seraient décédés. Le procureur de l'Etat de Kano a retenu 29 chefs d'accusation, dont «comportement antiéthique, comportement délictueux, complot, dissimulation et mort de victimes innocentes». Les premières auditions sont fixées au 26 juin.
Pfizer réfute fermement tout manquement à l'éthique dans cette étude menée en 1996 dans l'Etat de Kano lors d'une épidémie de méningite. «Toutes les allégations contraires sont purement et simplement fausses», indique le laboratoire. «La mise en place de ce protocole clinique avec la trovafloxacine a indéniablement permis de sauver la vie de près de deux cents enfants atteints de méningite, une maladie qui, en l'absence de traitement, tue quatre patients sur dix.»
Au moment de l'épidémie, la molécule était dans la dernière phase de son développement et avait déjà été évaluée chez 5 000 patients (enfants et adultes des Etats-Unis d'Europe et du Japon). Il existait de solides arguments scientifiques en faveur de l'efficacité sur le méningocoque et de la sûreté de la molécule. L'essai devait permettre d'obtenir l'indication du Trovan dans la méningite. «La méningite à méningocoque ne se rencontre pas hors quelques cas sporadiques dans les pays développés. Il faut malheureusement pour cela des épidémies, lesquelles se trouvent pour l'essentiel en Afrique subsaharienne», explique Yannick Pletan, vice-président médical de Pfizer France. En 1996, l'épidémie qui a touché l'Etat de Kano a fait 165 000 morts.
Le contexte d'une épidémie.
L'étude a été conduite par des équipes internationales qui ont été transportées sur site, mais l'investigateur principal était un médecin nigérian. C'est lui qui était chargé d'obtenir les autorisations nécessaires et qui était responsable de l'information donnée aux patients. Yannick Pletan rappelle que «le contexte était celui d'une épidémie avec des dizaines de milliers de morts dans un hôpital probablement sous-équipé et avec des conditions administratives qui étaient celles du pays». Localement, l'arsenal juridique était sans doute moins important qu'il n'était en Europe (où, d'ailleurs, les comités de protection des personnes ne se sont répandus que dans les années 1990 à 1995). Cependant l'étude était destinée à être soumise aux autorités américaines et européennes et devait respecter les standards internationaux et des engagements éthiques comme le respect de la déclaration d'Helsinki.
L'étude elle-même a comporté deux bras : 100 patients traités par Trovan ; 100 autres par la ceftriaxone (Rocéphine) des Laboratoires Roche, le traitement standard de l'époque. Comme tous les essais d'antibiotiques, il a été mené en ouvert, c'est-à-dire que le traitement des patients était connu et les règles d'arrêt extrêmement strictes : en cas de non-résolution rapide des signes, les enfants devaient être immédiatement mis sous ceftriaxone. Sur les deux cents inclus, onze sont décédés (six dans le groupe de référence et cinq dans le groupe Trovan). Les taux de survie étaient à peu près équivalents pour les deux molécules : de 94,4 % pour le Trovan et de 93,8 % pour le traitement standard. En comparaison, chez les enfants traités dans le même hôpital en dehors du protocole d'essai clinique, le taux de survie était de 89,9 %.
Les effets de la méningite.
Le laboratoire affirme avoir agi dans l'intérêt des enfants inclus dans l'essai en utilisant les meilleures connaissances alors disponibles. Les effets secondaires que semble décrire le rapport nigérian sont la conséquence des méningites elles-mêmes. «L'atteinte de la méninge entraîne des lésions cérébrales associées, lesquelles entraînent des paralysies périphériques et notamment des surdités. Ce genre d'effets secondaires n'a pas été retrouvé après la mise sur le marché du médicament l'année suivante», explique Yannick Pletan. Le responsable de la filiale française espère que «les experts qui seront nommés par le tribunal iront vers la même conclusion». «Je suis un peu étonné que, dix ans après, on vienne faire ce mauvais procès. Une possible recherche d'intérêts financiers ne doit pas être occultée, de la part de l'Etat nigérian, des familles et de ceux qui les conseillent», conclut-il. Des actions de groupe ont été menées antérieurement par des familles soutenues par des avocats américains, mais elles ont été déboutées en 2001 et 2002. L'indication du Trovan, commercialisé aux Etats-Unis depuis décembre 1999, a été restreinte aux formes infectieuses sévères en raison de la survenue d'hépatites. Il n'a pas été commercialisé en Europe.
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