On avait cru que, par prudence politique, le gouvernement Raffarin ne toucherait pas à la semaine de 35 heures, d'autant qu'il en a assoupli les contraintes en augmentant le nombre d'heures supplémentaires que les entreprises peuvent attribuer à leurs salariés.
Voilà que l'UMP, très publiquement, et un certain nombre de ministres, très discrètement, expriment l'opinion que le financement des 35 heures pèse très fort sur le budget et qu'il est temps, comme l'a dit le Premier ministre, de réhabiliter le travail.
Le cas de l'hôpital
La semaine des 35 heures est incontestablement coûteuse. Dans la fonction publique et à l'hôpital, elle a notamment causé des perturbations qui ne sont pas du tout surmontées. A n'en pas douter, les personnels hospitaliers, et surtout les soignants, avaient besoin d'une réduction du temps de travail, ne fût-ce que pour mettre les horaires en conformité avec les normes européennes. Mais on n'a pas allégé ces horaires dans tous les cas : là où les médecins et les infirmières demeurent indispensables, et c'est la situation la plus courante, la RTT est soit payée, soit ajoutée aux vacances ; ce qui signifie que les soignants sont toujours soumis à d'accablants horaires.
Voilà des personnels, en tout cas, aux yeux desquels on n'a pas besoin de revaloriser le travail. Ils restent soumis à des cadences incroyablement pénibles, pour la simple raison qu'on ne forme pas des médecins, ni même des infirmières, en peu de temps. Dans le cas de l'hôpital, les 35 heures représentent une illusion coûteuse.
Mais avant que Martine Aubry ne fît des 35 heures une règle impérative pour toutes les entreprises du public et du privé, nombre de sociétés avaient déjà réorganisé le travail (par exemple, avec des heures d'arrivée et de départ étalées dans le temps) ou même adopté les 35 heures après s'être assurées que la productivité n'en serait pas affectée. C'était l'idéal : chaque entreprise pouvait appliquer les 35 heures, mais toutes n'étaient pas obligées de le faire.
Cela créait des inégalités. Mais un salarié dont le patron risque de fermer les portes de l'entreprise n'est déjà pas l'égal d'un salarié qui travaille dans une firme prospère. Le cœur du problème devrait être, en toute occasion, la préservation de l'emploi, dans un pays qui compte encore quelque 2 300 000 chômeurs.
Réhabiliter le travail, ce n'est pas nécessairement faire travailler plus ; il faut d'abord réconcilier l'employé avec sa fonction et lui assurer, au sein de l'entreprise, une qualité de vie qui le retiendra sur son poste de travail. Il peut bien sûr, continuer à se moquer de ce qu'il fait. Mais, dans la plupart des cas, ce sera un salarié qui comptera moins ses heures et sera plus enclin à finir ce qu'il a commencé avant de s'en aller.
Certes, la réhabilitation du travail est dictée à la fois par la conjoncture économique et par des réalités démographiques qui ont obligé le gouvernement à réformer le système des retraites. Les Français savent maintenant qu'ils devront travailler plus longtemps s'ils ne veulent pas que le montant de leur pension soit amputé ; ils sont donc encore moins disposés à travailler davantage au fil de leur carrière. Autant l'aménagement du temps de travail, parfois ou souvent assorti d'une réduction, nous semble utile dès lors qu'on n'en fait pas un impératif catégorique, autant les lois Aubry sur la RTT nous semblent correspondre à une erreur majeure, même en période de prospérité. La France est d'ailleurs le seul pays au monde à avoir inventé les 35 heures obligatoires. Même en Allemagne, la RTT n'est pas imposée : on trouve des horaires très différents qui vont de 4O à 28 heures, en passant par 35, mais ceux qui travaillent moins gagnent moins.
Martine Aubry avait prévu des compensations pour les entreprises. Elles représentent des sommes considérables (6,4 milliards d'euros pour 2004) auxquelles s'ajoute le financement des mesures Fillon d'allégement des charges sociales (7 milliards). Pour l'Etat, la facture s'élève donc cette année à plus de 13 milliards et il est certain que si, à la place d'un déficit de 55 milliards, nous avions un déficit de 42 milliards, nous serions beaucoup plus près des critères de Maastricht.
Mais on ne peut pas mettre la plus grosse partie du déficit sur le dos des 35 heures, comme le fait l'UMP.
Un cumul incohérent
On ajoutera qu'en se cumulant dans l'incohérence, les mesures du gouvernement Jospin et celles du gouvernement Raffarin finissent pas coûter très cher. Mme Aubry a couru au secours des entreprises au nom des 35 heures, M. Fillon vole vers elles au nom de l'allégement des charges. Deux politiques totalement contradictoires s'ajoutent pour creuser encore plus le déficit budgétaire.
De ce point de vue, la démarche de l'UMP va dans le sens de la logique. Mais n'est-ce pas trop tard ? Est-il possible de dire aux salariés qu'ils vont tous renoncer à ce qu'il est convenu d'appeler des « avantages acquis » et travailler de nouveau 39 heures par semaine ? S'il s'agit d'économiser 6 milliards, cela semble bel et bon ; si on déclenche une révolution, mieux vaut payer.
Depuis quelques jours, le gouvernement, qui paraissait las, semble avoir repris du poil de la bête : il défend sa politique d'une manière plus convaincante qu'au début du mois de septembre. Il ne faudrait pas néanmoins que la réaffirmation des principes qui lui sont chers le fassent capoter en chemin.
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