La santé en librairie
Faut-il légiférer dans des domaines aussi variés que le clonage reproductif ou thérapeutique, la modification génétique des végétaux ou des êtres humains ou l'assistance des malades mourants ? Non, répondent en chœur Jean Bernard et André Langaney, qui remettent en question le principe de lois sur la bioéthique.
Là où la médecine nous place éthiquement à la frontière entre l'acceptable et l'inacceptable, pas de solution miracle, pas de recette universelle, si ce n'est celle de la sagesse issue de la connaissance et celle du bon sens qui relève de notre conscience d'être humain. Plutôt que la bioéthique, travaillons à une éthique sociale et politique, disent-ils.
Comment imaginer qu'il soit possible, dans une société démocratique où s'expriment différentes cultures, de mettre tout le monde d'accord sur des sujets aussi épineux que la sélection génétique des individus (dépistage des maladies chez l'embryon), ou l'euthanasie ? « La seule solution démocratique possible est de s'en remettre à la responsabilité des individus », affirme André Langaney, pour qui ces questions relèvent de la seule morale. Il faut aussi savoir admettre, ajoute Jean Bernard, que parfois il n'y a pas de solution prête à l'emploi. La recherche doit progresser de même que l'éducation de tout un chacun et nous trouverons des solutions à ces difficultés qui peut-être demain nous paraîtront des évidences.
La science a finalement toujours suivi ce chemin, expliquent ces scientifiques ; Pasteur a subi de nombreux revers avant que l'idée de la vaccination soit acceptée, la transfusion sanguine a mis quinze ans à rentrer dans les mœurs médicales après la découverte par Karl Landsteiner des groupes sanguins !
Et l'argent dans tout ça ? Les choix scientifiques tiennent compte de cette dimension. Comment gérer l'accès aux soins (la santé n'a pas de prix mais elle a un coût) ? Là aussi, J. Bernard et A. Langaney plaident pour une politique de responsabilisation : « Ne nous voilons pas la face : les problèmes de la médecine posent de graves problèmes financiers », dit le premier, tandis que le second nous rappelle le caractère luxueux de notre problématique : « Sauver un enfant leucémique, faire des FIV à répétition, autoriser ou non le clonage sont des problèmes de riches (...) Chaque année, douze millions d'enfants meurent avant d'avoir 5 ans ; la discordance nord/sud est le scandale de notre temps. »
Non au clonage de la pensée
Pensons raisonnablement, s'accordent à dire les deux chercheurs ; sans laisser nos fantasmes et nos contradictions l'emporter ; qu'il s'agisse de la crainte du pouvoir excessif de la génétique ( « Il y a un nombre considérable de familles d'écrivains. Je n'en connais aucune qui compte deux génies », dit J. Bernard) ou de nos scrupules jugés paradoxaux lorsqu'il est question de manipulation des blastocytes ( « Dans un pays qui autorise l'avortement jusqu'à la douzième semaine, je trouve ridicule qu'on interdise de manipuler des blastocytes de cinq jours », dit A. Langaney).
Car, pour l'un comme pour l'autre, le vrai danger est la pensée unique et obligatoire ; « Le clonage de la pensée, voilà une véritable atteinte à notre dignité », affirme le généticien. Au fond, tout ce qui est scientifique n'est pas forcément éthique. La société civile doit en tenir compte. Par ailleurs, ce qui est érigé en questions fondamentales par le bourrage de crâne médiatique mérite d'être regardé avec un œil critique et une certaine distance. Cette conversation entre deux beaux esprits le rappelle avec habileté. Si Hippocrate voyait ça, il serait plutôt fier de ses héritiers.
« Si Hippocrate voyait ça ! », Prs Jean Bernard et André Langaney,
J.C. Lattès, 176 pages, 15 euros.
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