Personne, et surtout pas le gouvernement, ne peut ignorer la vigueur des grèves et des manifestations du 13 mai. Issu d'une majorité forte, le gouvernement est en droit de se demander pourquoi il a été placé au pouvoir : il est en inadéquation avec le peuple.
On peut certes expliquer la majorité obtenue l'an dernier par des circonstances exceptionnelles, notamment le coup de théâtre électoral qui a placé Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle et le raz de marée en faveur de Jacques Chirac qui s'en est suivi. Mais à force de tout analyser, on en arriverait à dire que la mise à l'écart de la gauche plurielle ne pouvait être qu'un accident et que la majorité de droite n'est pas légitime. Ce serait absurde.
L'irrationnel populaire
Il demeure qu'on élit des candidats sur leur programme. Et son programme, la droite ne l'a jamais caché. Pourquoi s'opposer aujourd'hui à ce qu'elle l'applique ?
On touche là à l'irrationnel populaire : les Français ne veulent pas qu'on porte atteinte à leurs retraites, même si les fonds pour les financer sont insuffisants ; ils ne veulent pas qu'on porte atteinte à leur système de soins, même si le déficit cumulé de l'assurance-maladie pour 2002 et 2003 atteindra quinze milliards d'euros, soit 100 milliards de francs. Pourquoi un message arithmétique aussi simple que le chiffrage d'un déficit ne convainc-t-il apparemment personne ? Sans doute parce qu'on n'a cessé, pendant des décennies, de caresser le peuple dans le sens du poil et parce que la gauche au pouvoir a accentué ses attitudes maternelles et protectrices avec la retraite à 60 ans et la semaine de 35 heures, deux immenses mesures sociales que le pays traîne comme un boulet et dont on ne dira jamais assez le mal qu'elles ont fait à l'économie française, à sa compétitivité, à sa souplesse, à sa capacité d'adaptation. La gauche n'est pas seulement responsable d'avoir consacré les recettes des années de croissance à de nouveaux programmes sociaux dont le financement devient impossible en période de vaches maigres ; elle a instillé l'état d'esprit qui prévaut aujourd'hui et réunit tous les Français autour d'acquis sociaux qu'ils ne peuvent plus s'offrir.
Mardi, le ministre de l'Economie et des Finances, Francis Mer, a été on ne peut plus clair : la France fera en sorte de se plier en 2004 aux exigences du traité de Maastricht, mais il n'est pas question de retourner en 2006 à l'équilibre, comme le réclame le même traité. Le gouvernement, lui, ne manifeste pas, il fait ses comptes : il a dépassé le déficit de 3 % en 2002 et en 2003 et il ne peut faire mieux que de s'imposer un minimum de discipline. Pour l'impossible, il faudra repasser.
Mais alors, si les réformes ne sont pas adoptées ou si elles sont à ce point écornées qu'elles ne permettront pas de financer les systèmes de protection sociale, que peut faire le gouvernement ? S'il passe en force, comme il le promet, il chutera un peu plus tard parce que le pays sera paralysé par les grèves ; sinon, il devra bien recourir aux bonnes vieilles recettes, comme la hausse des prélèvements sociaux et fiscaux, technique qui, au fond, à la faveur des Français. Car en même temps qu'on fait la grève, on jure qu'on a pris conscience de l'urgence de la réforme des retraites. On clame qu'on a mesuré le problème. On affirme qu'on veut le résoudre, mais pas à la façon du gouvernement. Lequel est disposé à procéder à quelques retouches, mais n'entend pas perpétuer des régimes inégalitaires et coûteux.
Deux conceptions
Que se passera-t-il quand il dira enfin qu'un contrôleur de la SNCF peut travailler quarante ans parce qu'il fait un travail qui n'est ni pénible ni désagréable ? Après la grève, la révolution ?
Dans le rapport de forces qui oppose les pouvoirs publics aux syndicats de salariés, il y a en vérité deux conceptions économiques qui s'affrontent. Les premiers veulent réduire les prélèvements obligatoires pour permettre aux entreprises d'investir dans le recrutement et de créer des emplois ; les seconds ne sont pas hostiles, au fond, à une hausse des cotisations, quitte, plus tard, à réclamer des hausses de salaires pour les compenser. C'est Gribouille : moins il y a d'argent et plus on en dépense. Et si, de guerre lasse, le gouvernement cède à ses administrés, il fera, pour survivre, ce qu'ils exigent ; et renoncera aux réformes - ou, tout au moins, les édulcorera.
Qu'importe qu'on abrutisse les retraités, qui paient la CSG et la CRDS, avec une augmentation des prélèvements sur une pension qu'on prétend défendre ; qu'importe que le taux des cotisations sociales, déjà d'environ 20 %, passe à 23 ou 25 %. Qu'importe si la consommation diminue. Qu'importe si les entreprises, dont chaque salarié coûte déjà une fois et demie ce qui figure sur sa feuille de paie, ne parviennent pas à faire les bénéfices qui leur permettront d'embaucher. Qu'importe si toute la richesse nationale est consommée par la santé, les retraites, la CMU et l'APA. Qu'importe s'il y a une vie à vivre avant d'être malade ou de cesser de travailler. L'essentiel, c'est que nous continuions à prendre de l'Etat ce qu'il nous doit. Et il nous doit tout.
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