La question des échecs thérapeutiques est préoccupante en soi. Et elle l'est d'autant plus qu'elle se mesure par rapport au succès global que les molécules disponibles depuis quelques années ont permis d'obtenir dans les pays occidentaux. De manière très compréhensible, les patients en échec se perçoivent comme sacrifiés et veulent que se reproduise pour eux le « miracle » qui s'est produit pour beaucoup à la fin des années quatre-vingt-dix.
En pratique, les situations d'échec étant très diverses, toutes les solutions ne passent pas par « de nouvelles molécules ». Sont concernées au premier chef par des progrès en matière de tolérance et de pharmacocinétique dans les classes existantes et par le développement de nouvelles classes, quelque 2 000 personnes en échec avancé, dont 1 000 environ ont déjà été exposées aux trois classes existantes. Le simple échappement viral est bien souvent un échec de prescription, qui peut être géré « par un médecin expérimenté », insiste le Pr Jean-François Delfraissy (Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre), « après qu'ont été tirés le bilan et la leçon de l'échec ».
En ce qui concerne le développement de nouvelles molécules, tout le monde s'accorde au moins sur le fait que les différents acteurs, recherche, médecins, industrie, participants aux essais, pouvoirs publics, ont fait de gros efforts, qui ont permis d'importants progrès - du reste, peut-être est-ce parce que tout le monde a participé que tout le monde s'accorde. Quoi qu'il en soit, le résultat est là : aujourd'hui, un médicament anti-VIH est développé en cinq ans, contre dix ans dans toute autre indication.
Pour les associations, il reste pourtant un goulet d'étranglement dans la phase précédant immédiatement l'AMM. L'argumentaire est développé à partir du cas du T20, inhibiteur de fusion développé par Roche. La molécule fait actuellement l'objet d'une phase III multicentrique, incluant plus de 100 patients en France, et qui vise à obtenir l'AMM.
En même temps, se déroule un essai de tolérance chez 31 patients plus avancés dans la maladie. Effectifs trop faibles pour TRT-5, qui réclame que parallèlement à la phase III d'efficacité, soit menée une phase IIIb de tolérance de grande envergure, destinée à tenter d'aider le plus possible de patients en échec, ceux qui passeraient encore au travers du dispositif pouvant encore être « récupérés » par des ATU nominatives. Pour systématiser une telle procédure, il serait nécessaire, selon TRT-5, d'exiger pour l'AMM des données de tolérance beaucoup plus approfondies qu'aujourd'hui.
Du côté des Laboratoires Roche, on explique que des patients supplémentaires seront traités au fur et à mesure de la disponibilité du produit. Une usine dédiée au T20 a été construite dans le Colorado, destinée à produire annuellement quelque 5 tonnes du peptide - ce qui ne s'improvise pas. La qualité de la production est en cours de vérification. Par ailleurs, contact a été pris avec l'AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) en vue de la délivrance d'une ATU (autorisation temporaire d'utilisation), prévue en octobre ou novembre.
Entre associations et industrie, c'est donc le dialogue du souhaitable et du possible. Au demeurant, l'opposition n'est pas nécessairement inéluctable. Le cas a été mentionné de l'interleukine 2, que l'on n'ose pas donner en cas de charge virale substantielle, de peur de stimuler la réplication virale. Paradoxalement, la cytokine se retrouve réservée aux patients les mieux contrôlés par les antiviraux, et qui ont le moins besoin d'alternative. Pour élargir les indications potentielles de l'IL2, Chiron, son fabricant, s'est heurté aux procédures très strictes de la FDA (Food and Drug Administration) américaine. Ce qui fait de l'IL2, aujourd'hui, « un médicament qui risque d'être abandonné pour des raisons conjoncturelles », selon le Pr Daniel Vittecoq (Paul-Brousse, Villejuif). Dans cette situation, une certaine marge d'appréciation dans la conduite des essais est de l'intérêt commun des patients et de l'industrie.
Le verrou de la négociation des prix
En fait, c'est probablement pour les pouvoirs publics que l'équation est la plus difficile. D'abord parce qu'il est toujours facile de parler de « souplesse », mais beaucoup plus difficile de lui fixer, malgré tout, des normes. Ensuite parce qu'un élargissement de l'actuel régime transitoire à davantage de patients aurait probablement pour effet de déplacer la négociation sur les prix dans le cursus du médicament. Un usage élargi implique une forme ou une autre de labellisation, fut-elle conditionnelle, qui elle-même implique un volet commercial. Or, si la discussion devait s'ouvrir quelque part entre la phase II et une phase III « élargie », les pouvoirs publics se trouveraient dans la pire des situation pour négocier : dans l'urgence, sous la pression des malades.
Ce verrou de la fixation des prix pourrait évoluer. Il existe en effet des projets visant à autoriser les pouvoirs publics à renégocier les prix après AMM, voire après ATU. On devrait donc aboutir à un compromis.
Reste la question de la sécurité, qui, elle, se prête mal aux compromis. Une diffusion un peu large, anticipant l'AMM, ne répondrait pas aux exigences de l'AMM. Par rapport au risque qu'ils courent, les malades en échec thérapeutique sont manifestement prêts à assumer cet autre risque. Au bout du compte, la démarche revient à modifier la définition même du médicament, produit jusqu'à présent garanti sans risque, ou à risque contrôlé, autant que cette garantie soit possible, et qui deviendrait alors un produit dont le risque potentiel est transitoirement assumé par les malades. C'est le principe des ATU. Reste à savoir si c'est un principe acceptable dans le cadre aussi large que celui que réclament les associations.
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