Les dirigeants américains n'ont cessé de recommander à leurs concitoyens, après le carnage du 11 septembre, de « continuer à vivre ». Les alertes multiples, les attaques au bacille de charbon et la stagnation du conflit en Afghanistan n'ont pas rendu le précepte facile à appliquer : par découragement, les Américains pourraient très bien n'avoir aucune envie de sortir ou de s'amuser.
Mais selon toutes les informations en provenance des Etats-Unis, la consommation a davantage baissé à cause de la crainte du chômage que de la peur d'être victime d'un attentat. Le marathon de New York, qui a réuni des dizaines de milliers de coureurs sur le pont de Verrazano bien qu'ils aient ainsi offert une cible particulièrement vulnérable, témoigne du courage des Américains. Les attentats, comme toute nouvelle guerre, n'ont pas seulement modifié sensiblement le cours de l'histoire ; ils ont entraîné un changement dans les comportements personnels et sociaux et ils ont fait surgir la politique dans l'intimité des gens.
D'un côté, ils auront contribué à effacer ou à atténuer les affections psychosomatiques des sociétés prospères et en paix, toujours à la recherche de tourments existentiels. De l'autre, le désir de retour à l'état antérieur, à « l'avant-attentats », est très prononcé. Comme on ne peut pas écarter la menace durable que fait peser un terrorisme dont l'imagination est diabolique, on est coincé entre un passé récent qui vrille l'âme chaque fois qu'on y repense et un avenir immédiat d'autant plus effrayant qu'on ne sait pas quelle forme prendra le malheur ultérieur. La proposition de « continuer à vivre » est sage : c'est dans la répétition des gestes ordinaires, donc dans la consolidation des repères, qu'on trouvera un peu de réconfort.
La routine, acte civique
Pour beaucoup de gens, cela veut dire voyager quand même, aller quand même faire des courses dans des centres commerciaux bondés, prendre le métro quand même, obéir, en quelque sorte, à l'instinct grégaire. Et c'est bien la première fois que la routine est érigée en acte civique.
Pour d'autres, le salut viendra de leurs références culturelles. La politique et la guerre concernent les nations, donc les collectivités. Leur irruption sauvage dans l'existence personnelle des gens ouvrent déjà une blessure : on ne voudrait leur consacrer qu'un minimum de temps, peut-être pour lire un roman ou voir un film, ou simplement se livrer au travail d'introspection qui accompagne le temps qu'on a à vivre. Participer au deuil et au chagrin de tous, partager les peurs de la communauté nationale, s'identifier aux victimes et veiller à ce que le crime ne demeure pas impuni sont des tâches éprouvantes. Tant il est vrai que la haine de l'agresseur entraîne la rage de l'agressé et l'oblige à sortir de son for intérieur, c'est-à-dire à s'engager, démarche salissante qui pollue le silence, le quant-à-soi, le secret de l'âme.
Retourner chez soi, s'enfermer de temps à autre dans une réflexion qui n'a rien à voir avec la conjoncture, poursuivre l'examen de mystère qui nous a mis au monde représentent les meilleurs remèdes à l'exacerbation des passions politiques où la violence nous plonge contre notre propre gré. Il y a le danger extérieur et il y a l'abri intérieur, lequel ne nous protège pas physiquement contre un ennemi potentiel, mais recouvre ce qu'il ne peut pas atteindre.
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