Idées
« AMOUREUX », donc. Qui ne connaît les frissons de l’extase du lettré évoquant les mille nuances du yanomami vénézuélien ou du bichelamar parlé au Vanuatu ? Monsieur Homais linguiste a voyagé et a étudié mille dialectes, qu’il tient à distinguer de ce « poorlish » (contraction de poor english) parlé sur toute la planète, type d’expression détestable et dont il ignore aussi la version « rich ».
Mais Claude Hagège a garde de tomber dans ce genre de snobisme, car des langues il aime tout. Le hasard de l’alphabet, en fait le décalque du grec, lui fait, cela tombe bien, commencer par le mot « Affects ». Avec ce premier mot naissent d’intéressants exemples : on a honte, mais l’espagnol et le portugais restituent ceci par l’idée de « tenir ». D’autres langues expriment les affects par le témoignage des sens : « entendre », proche de « ressentir », conduit l’italien à « sentire ». Mais beaucoup de langues africaines ont recours à la vue : on « voit » sa honte, sa colère, son bonheur.
Les affects sont même situés, racontés : l’islandais celtique dit de la faim (ocras) ou de la peur (eagla) qu’elles sont « sur moi ».
Dépassant le cadre des affects, on sait que les mots reflètent toute une vision du monde et dépendent d’un découpage du sens. On est dans le train en France mais « on the train » dans les pays anglophones. Découpage du sens qui permet à ces mêmes anglophones disposant du mot « weather » de s’étonner que nous joignions sous le mot « temps » des significations aussi diverses.
Il y a mille raisons de tomber amoureux, et il faut dire que claude Hagège rend son livre particulièrement aphrodisiaque en l’illustrant de graphèmes et idéogrammes ignorés d’Azertyuiop. C’est dans les liens entre les langues et l’Histoire que se situe le plaisir maximum.
Intéressante est l’odyssée du guarani, seule langue indienne d’Amérique qui possède le statut de langue officielle. Compendium d’idiomes divers, ce parler préhispanique s’est vu imposer brutalement le castillan au moment de la colonisation. Mais les missionnaires chrétiens comprirent son importance locale. Il en résulta un mixte de guarani et de latin !
Universel ou identitaire.
Le temps est-il venu des langues manteaux d’Arlequin permettant aux amoureux de déclarer : « Ich bin so happy con te » ou au moins d’entrer dans le bilinguisme chicano, « Sometimes I start a sentence in English, y termino en español » ? À moins que le tissu ne se resserre vers les scléroses identitaires, se clivant en exigence de pureté et plaisants folklores. N’oublions pas que le yiddish servit d’argument aux nazis pour démontrer l’impossibilité qu’avaient les juifs de parler un pur allemand.
Au début le Verbe flottait sur les eaux, puis il s’est fait chair. Apparemment, il s’est, sur notre planète, complexifié à l’infini. Heureuse diversité, disions-nous, mais qu’enseigne une diversité sinon elle-même ? D’amusants volapuks, aurait dit le Général, faisant regretter un nouvel espéranto ? N’y trouve-t-on pas la trace du malheur des peuples, la volonté infinie de se détacher d’un tronc commun, la pulvérulence des dialectes, la divinisation souvent crétinisée des racines et du charme ineffable des langues régionales ?
Le primate du début de « l’Odyssée de l’espace » de Stanley Kubrick est un pur guttural qui a compris que l’os pouvait servir de massue. Pour lui comme pour Gthe, au début est l’action, les mots qui mentent ne viennent qu’après.
Claude Hagège, « Dictionnaire amoureux des langues », Plon/Odile Jacob, 700 pages, 25 euros.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature