UN HOMME voit sa quiétude campagnarde bouleversée par un nouvel arrivant : ce voisin vient d'installer, à quelques mètres de sa maison, un chauffage central très bruyant. La première réaction est faite de colère et de frustration. Le héros de cette histoire s'embarque dans une longue fantasmagorie, imagine qu'il va frapper son voisin et même le tuer. Il finira par aller parler avec lui, ensemble ils chercheront une solution, l'autre se montrant très désireux de modifier son installation. Réalisation impossible... mais curieusement le bruit se fera moins gênant aux oreilles du héros de cette histoire.
Il y a dans cet exemple, dit Philippe Breton, les trois éléments d'un protocole d'action. En premier lieu, l'émotion qui submerge est muselée par une objectivation de la situation. S'ensuit une « écoute active » de l'autre, puis une affirmation argumentée.
Dans un autre cas intéressant, l'auteur du livre est confronté à un correspondant qui lui hurle : « Qu'avez-vous contre les gens qu votent Front national ? » Très habilement, Breton rétorque qu'il n'en veut qu'à ce parti, et non à ses adhérents, que celui-ci n'est en rien une réponse aux difficultés de son correspondant, lequel finit par admettre qu'il a des problèmes personnels et que sa colère et ses frustrations s'exprimaient par le canal de ce mouvement. Dans ce cas également, il eut été tentant de claquer le téléphone dès le début et de conforter l'autre dans l'idée que la violence était le seul registre existant.
Surmonter l'émotion, c'est tuer dans l'œuf la vengeance qui fut et demeure l'unique réaction de l'individu et des Etats les plus tatillons en matière de droit (voir Guantanamo par exemple). Les Grecs ont su objectiver les conflits en les confiant à la justice... ou au théâtre, c'est la fameuse catharsis qui nous délivre des passions en les voyant sur scène. D'autre part, la parole doit écouter l'autre, c'est cette écoute rarissime qui permet de désamorcer la crise, de l'exposer en la transposant, parfois à la limite de la manipulation.
D'intéressantes pages sont consacrées à une violence qui viendrait autant de l'intérieur que de la pression externe. Le timide ne contrôle plus sa peur, elle le submerge, il faut essayer de lui parler, de l'objectiver : « Tu trembles, carcasse », disait Turenne avant l'assaut. En tout cas, on voit tout le drame du timide qui, devant prendre la parole, parle en fait pour lui, dit mécaniquement « ce qu'il a à dire », et qui subit la sanction d'un auditoire qu'il n'a pas su écouter, ou le cruel chahut d'élèves qui ont senti son point faible.
Un parking, la nuit.
Une femme regagne nuitamment sa voiture dans un parking désert et peu éclairé : là-bas, derrière un pilier, une ombre sort, quelqu'un vient vers elle... Cette situation, certes un peu trop fabriquée, peut servir d'appui à une bonne analyse.
L'autre n'est pas forcément un agresseur, et la peur, la fuite sont la pire solution. Il n'y en a pas moins un corps qui tremble, une respiration dont le rythme s'accélère. Il faut, dit Breton, objectiver la situation : se décrire la personne, cela peut d'ailleurs servir en cas de témoignage. En se rapprochant, les signes s'intensifient... On peut même imaginer que l'héroïne passe à l'attaque avec son aérosol ou un porte-clés défensif (!).
La solution retenue par l'auteur est d'aborder cet agresseur potentiel avec une phrase du type : « Bonjour, excusez-moi, je suis seule dans ce parking et je ne me sens pas tranquille, accepteriez-vous de m'accompagner à ma voiture qui est à l'autre bout de l'étage ? » Utilisation habile d'un sentiment véritable, qui s'adresse à la force de l'autre et contient une affirmation argumentée. On a bien tous les éléments du protocole, et il faut souhaiter qu'on n'ait pas affaire à un vrai sadique.
Un vieux dépanneur s'aperçoit que l'automobiliste qu'il vient secourir au fin fond d'un quartier glauque est sous la menace de voyous. Feignant de ne pas comprendre la situation, il met au défi le caïd du groupe de prouver qu'il est le chef. Ce que celui-ci fait en décampant avec sa bande. Oskar Schindler persuade le directeur d'un camp nazi que son pouvoir consiste moins à abattre au hasard des détenus qu'à leur laisser la vie sauve. Ainsi propose-t-on à l'autre d'objectiver son pouvoir en l'exerçant différemment.
Ces deux exemples sont empruntés au cinéma*. Il serait facile d'objecter à l'auteur que, dans l'existence réelle, le corps s'affole dans l'ombre des parkings et les mots habiles ne viennent pas. Pire, les terrifiants surineurs n'ont parfois aucune réceptivité à un bon mot de Groucho Marx ou à une tentative d'objectivation d'un conflit. Il n'en reste pas moins que ce petit livre propose nombre de recettes astucieuses, capables de soustraire au pandémonium où nous vivons quelques milligrammes de violence.
La Découverte, 131 p., 10 euros.
* Le premier est un épisode du film « Grand Canyon » de Laurence Kasdan (1991). Philippe Breton néglige dans la manière de le rapporter le fait que tous les protagonistes sont noirs, et que, tout à coup, ils partagent une commune humiliation.
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