Après la canicule meurtrière du mois d'août, le gouvernement a choisi de demander aux salariés de travailler un jour de plus afin d'accroître l'aide à domicile et l'accueil en établissement des personnes âgées et handicapées dépendantes.
Pour les fonctionnaires, ce sera, d'autorité, le lundi de Pentecôte. Et, dans le privé, ce sera peut-être un autre jour, selon les accords de branche ou d'entreprise. Le lundi 31 mai 2004 sera encore férié, car les dispositions législatives qu'impliquent une telle réforme ne pourront intervenir qu'au premier trimestre 2004.
Cette « journée de la solidarité et de la fraternité » fera l'objet d'une cotisation patronale de 0,3 %. En sont exclus les retraités et les chômeurs, et exonérées les entreprises unipersonnelles, nombreuses dans le commerce, l'artisanat, l'agriculture et les professions libérales. Pour la première année, les sommes collectées, 1,6 milliard d'euros, dont 400 millions des employeurs publics, seront affectées, entre le 1er juillet 2004 et le 30 juin 2005, à la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) créée pour l'occasion. Opérationnelle « avant la fin de 2004 », la CNSA constituera une nouvelle branche de la protection sociale couvrant le risque de dépendance. Sa direction tripartite (élus, partenaires sociaux, associations) préfigure ce que sera la réforme à venir de la Sécurité sociale. La CNSA, qui « déléguera desmoyens financiers (en provenance de l'Etat et de l'assurance-maladie) aux départements responsables de la mise en uvre globale de la politique de dépendance », percevra quelque 300 millions d'euros en année pleine provenant d'une taxation de 0,3 % des revenus du capital, hormis l'épargne populaire telle que le Livret A.
850 millions par an
Chaque année, pendant quatre ans, 850 millions d'euros seront consacrés aux personnes âgées dépendantes et 850 millions aux 847 000 handicapés (1), plus 400 millions d'euros de crédits d'Etat destinés à pérenniser le financement de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA).
Au total, le chef du gouvernement évalue à 9 milliards d'euros l'aide apportée aux personnes dépendantes d'ici à la fin de 2008 (une demi-année en 2004, puis 2005, 2006, 2007 et 2008). Le nombre de bénéficiaires de l'APA sera compris entre 870 000 et 940 000 en 2004, soit un coût global de 3,6 à 3,9 milliards d'euros. Pour les 800 000 personnes âgées dépendantes (2), le projet prévoit la création de 10 000 nouvelles places médicalisées (1 800 emplois) en établissements, et l'augmentation de 20 % du taux d'encadrement des personnes dépendantes hébergées (13 200 personnels soignants). Pour l'heure, il y a 6 500 maisons de retraite et 3 000 foyers-logements, qui comptent respectivement 430 000 et 158 000 places. A quoi s'ajouteront 17 000 nouvelles places de services de soins à domicile, ce qui permettra d'atteindre près de 100 000 places en 2007, et l'ouverture de 13 000 autres, dont 8 500 en accueil de jour pour personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ou d'affections apparentées, et 4 500 en hébergement temporaire.
D'autre part, un système de vigilance et d'alerte, le Plan vermeil, répondra sans délai à des risques de type canicule au domicile des anciens, et toutes les maisons de retraite, qui disposeront d'au moins d'une pièce climatisée d'ici à 2007, seront tenues d'avoir un Plan bleu et de passer une convention avec un établissement de santé.
Compensation du handicap
Le gouvernement entend développer « toutes le filières professionnelles de l'aide à domicile (TVA à taux réduit) ». Les services gériatriques, hospitaliers et ambulatoires sont promis à jouer un rôle majeur, avec la constitution de « pôles d'excellence » qui diffuseront les bonnes pratiques gériatriques dans l'ensemble des hôpitaux.
Le dispositif s'approprie la réforme de la loi de 1975 sur le handicap qui sera présentée en conseil des ministres en décembre et pourrait être applicable au 1er janvier 2005. Elle vise à renforcer l'intégration dans la cité et à instaurer un droit à la compensation du handicap, « c'est-à-dire la prise en charge de façon personnalisée des surcoûts de toutes natures liés au handicap (livres scolaires en braille, chien d'aveugle, fauteuil spécialisé, présence d'auxiliaire de vie, etc.) »
Un bilan du Plan dépendance sera effectué en 2008, au terme des quatre années pendant lesquelles il sera appliqué. Lors de la discussion parlementaire en 2004, le Premier ministre proposera aux députés de rendre son financement « durable » après 2008 .
Saluée par Jacques Chirac comme « une pierre importante ajoutée à notre système de protection sociale », la réforme de solidarité de Jean-Pierre Raffarin reçoit un accueil à tonalité fortement négative. L'Association des directeurs d'établissement d'hébergement pour personnes âgées (ADEHPA) parle de « grenouille déguisée en buf » ; elle fait valoir que « 15 000 soignants supplémentaires, ça fait 1,5 poste par établissement ». Or l'ADEHPA demandait le doublement des effectifs actuels, soit 250 000 personnes, soignants ou non. Quant aux 10 000 créations de places en maisons de retraite, « il (en) aurait fallu 40 000 ». Le Syndicat national des établissements et résidences privées pour personnes âgées s'inquiète des financements et souligne que « les premiers crédits - peut-être 400 millions pour les maisons de retraite - sont reconduits simplement d'une année sur une autre mais ne se cumulent pas ».
L'Union nationale des associations de soins et services à domicile, qui estime les besoins à 10 milliards d'euros supplémentaires par an, juge « bâclée » la « copie » gouvernementale. La Fédération hospitalière de France (85 % des maisons de retraite publiques), reconnaît « un effort significatif », mais dénonce un « retrait par rapport aux attentes ».
La Fédération nationale accueil confort pour personnes âgées stigmatise le « manque d'ambition affichée ». La FNATH (association des accidentés de la vie), hostile à la suppression d'un jour férié, exprime de sérieuses réserves sur la décentralisation de la gestion de la dépendance confiée aux départements. Les Paralysés de France déplorent que les retraités imposables échappent à la contribution financière, tout en notant, à l'instar de l'Union nationale des associations de parents d'enfants inadaptés, « une avancée positive, qui nécessite encore de vrais aménagements ».
En revanche, l'Association du service à domicile en milieu rural est pleinement satisfaite, contrairement aux centrales syndicales et au PCF qui dénoncent un effort quasi exclusif imposé aux salariés et une « agression contre les 35 heures ». D'après l'Observatoire français des conjonctures économiques, le fait de demander aux salariés en exercice de travailler davantage pourrait entraîner 30 000 chômeurs de plus. Au MEDEF, on entend être « attentif aux modalités d'application » du jour chômé travaillé : « Le prélèvement institué (...) ne doit pas pénaliser les entreprises où il ne sera pas possible de travailler un jour de plus », prévient-on.
Bricolage
Dans la classe politique, c'est une volée de bois vert. « Du bricolage, un impôt, une usine à gaz », selon Philippe de Villiers, du Mouvement pour la France, qui exprime une colère comparable à celle du député Vert Yves Cochet. « L'octroi et la corvée » sont rétablis, selon Jean-Marie Le Pen et le Mouvement républicain et citoyen. « La charité obligatoire », accusent la LCR et le PS. « Un rendez-vous raté », estime Paulette Guinchard-Kunstler, ancienne secrétaire d'Etat socialiste aux Personnes âgées. A l'UDF, le président du groupe à l'Assemblée, Hervé Morin, annonce qu'il n'est « pas prêt à voter » la suppression d'un jour férié ou d'une journée de RTT. A l'inverse, dans la majorité UMP, le ton est élogieux : un « choix pragmatique et cohérent », dit Alain Juppé ; « le travail supplémentaire consenti par les forces vives du pays prouve que le dynamisme économique est nécessaire pour assurer de nouveaux progrès sociaux », se réjouit Jacques Barrot.
(1) Parmi les accidentés de la vie, 753 000 sont bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés, et 94 000 sont des enfants.
(2) Actuellement, la France compte 1,5 million de 85 ans et plus ; en 2020, ils devraient être 2,1 millions et 4,5 millions en 2050.
La victime type de la canicule : la solitude, une canne, des escaliers
Les rapports d'intervention des pompiers de Paris au mois d'août permettent de dresser un portrait type de la victime de la canicule : une femme âgée, vivant seule dans un immeuble sans ascenseur et dont l'unique contact reste son aide ménagère. Parisienne ou banlieusarde, elle a, quatre fois sur cinq, plus de 60 ans, et, une fois sur deux, plus de 80 ans. Atteinte souvent d'une « baisse d'autonomie », elle se déplace avec une canne ou un déambulateur.
Jusqu'à fin août, les pompiers seront appelés pour des « odeurs suspectes », en fait des corps en décomposition. Au total, ils ont effectué 27 078 interventions, dont 57 % en rapport avec des affections médicales liées directement ou non à la chaleur. Ils ont constaté 1 342 décès (75 % de personnes âgées de plus de 60 ans). L'INSERM parle d'une surmortalité pour Paris et sa couronne d'environ 130 %. Les 13e, 15e et 18e, ainsi que Nanterre, Courbevoie, Colombes, Asnières (Hauts-de-Seine), Saint-Denis, Montreuil, Drancy, Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), Créteil et Saint-Maur (Val-de-Marne) ont été les plus touchés, car ces arrondissements et villes possèdent un « nombre important de maisons de retraite » où « l'effectif en personnel paramédical semble très insuffisant ».
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