« Si, comme l'ont affirmé certains, il n'y avait pas suffisamment de médecins libéraux de garde le 15 août, pourquoi les préfets n'ont-ils pas réquisitionné ? Cela mériterait des sanctions... Il semblerait aussi que le système n'ait pas bien fonctionné. A la tête de la mission que j'ai menée sur la permanence des soins, j'ai accepté de défendre le principe du volontariat, mais à condition qu'il fonctionne ! Si on a manqué de médecins de garde libéraux au cours de la canicule, alors la permanence des soins dans son ensemble n'est pas organisée de façon satisfaisante et tout est à reprendre. » Et d'abord le système du volontariat.
Parole de Charles Descours, président de la mission du même nom sur la permanence des soins, qui ajoute cependant : « Cela dit, selon le syndicat MG-France, plus de 3 000 médecins généralistes étaient de garde lors du week-end du 15 août ; mais pour autant, jamais on n'avait assisté à un tel engorgement des urgences hospitalières. Cela montre que, s'il faut bien sûr donner de plus grands moyens aux urgences, dans un cas pareil, il faut surtout améliorer la prise en charge des urgences de proximité par les médecins libéraux, peut-être en utilisant mieux les possibilités qu'offrent les maisons médicales de garde (MMG) ».
Pour Charles Descours, un autre problème révélé par le drame estival aura été celui du dépistage de l'épidémiologie. Selon lui, les systèmes de veille sanitaire savent s'y prendre pour les maladies infectieuses du type grippe, sida, légionellose, mais « ils n'ont pas la culture de ce genre de catastrophe ; peut-être faudrait-il émettre des bulletins d'alerte comme cela se fait pour la météo ? ».
Un point de vue sur la prise en charge des urgences de proximité par les médecins libéraux que semble partager le Dr Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), pour qui « la priorité dans la prise en charge doit se situer en amont des structures hospitalières ».
Les médecins « ont fait leur devoir »
A la Fédération des médecins de France (FMF), le président, Jean-Claude Régi, en est convaincu : « La médecine libérale, contrairement à ce qu'ont dit certains, n'a pas failli dans sa mission, et les médecins libéraux n'ont pas démérité durant la période estivale. » Jean-Claude Régi refuse toute remise en cause d'une permanence des soins basée sur le volontariat : « Le volontariat, ce n'est pas la défausse, c'est la responsabilité ; mais pour exercer une responsabilité, encore faut-il disposer de moyens. Si la permanence des soins dispose de moyens, en termes d'organisation et en termes financiers, on trouvera des volontaires, croyez-moi. »
Du côté de l'UNOF, branche généraliste de la CSMF, le ton est plus incisif encore, et le président Michel Combier refuse que les médecins libéraux fassent office de bouc émissaire : « Ceux qui depuis des années font tout pour diminuer les moyens de la médecine de proximité à la tête de la CNAM (Caisse nationale d'assurance-maladie) nous donnent des leçons ; mais les médecins ont fait leur devoir, à l'instar des autres professionnels de santé. Ayons l'humilité, chacun à son niveau, d'accepter notre part dans la crise que le pays vient de traverser, et de faire comprendre à nos concitoyens que rien ne sera possible sans une prise de conscience des priorités vitales pour la vie en société, avec les conséquences financières que cela implique : la santé avant la bagnole, les personnes âgées avant les loisirs. »
Au Conseil national de l'Ordre des médecins (CNOM), l'heure semble être à la réflexion. L'Ordre a indiqué dès le 21 août vouloir apporter sa contribution à la réflexion engagée par la mission d'experts mise en place par le ministère de la Santé sur l'analyse de la crise sanitaire et sur l'évaluation du système d'alerte, et ajoute qu'il entend « mettre à la disposition de cette mission ses travaux de réflexion sur l'alerte sanitaire, la santé publique et l'organisation des soins ».
Un responsable du CNOM indique au « Quotidien » que, dès le 15 ou le 16 août, l'institution a demandé à l'ensemble des ordres départementaux des informations détaillées sur ce qui s'était passé, afin de pouvoir en tirer des enseignements sur une éventuelle réorganisation des systèmes de soins et d'alerte. Mais à ce jour, les informations recueillies sont encore trop parcellaires et l'Ordre ne souhaite pas s'exprimer plus en détail tant qu'il ne disposera pas de données complètes sur ce sujet.
Frédéric Bastian, le président de SOS-Médecins, a quant à lui une petite idée sur ce qui s'est passé durant l'été : « A SOS, nous disposons d'un outil performant pour recueillir les données épidémiologiques, et dès le 14 juillet, nous avons constaté une augmentation de 10 % de notre activité globale, qui est montée jusqu'à 25 % entre le 1er et le 15 août. Pour cette même période, l'augmentation de notre activité a eu des pics à + 60 % pour la région de Tours, à + 40 % pour Bourges, et + 35 % à Grenoble, pour ne citer que ces villes. Et cette carte d'activité rejoint assez précisément la carte des zones de forte canicule. » Des chiffres confirmés par Emmanuel Sarrazin, président de SOS-Médecins Tours qui indique qu'entre le 1er et le 15 août 2000 les médecins de SOS-Médecins ont signé 53 certificats de décès, alors que pour la même période, ils en avaient signé 6 en 2002 et seulement 4 en 2001.
Selon le Dr Bastian, SO-Médecins a alerté les médias dès le 1er août, « mais on ne nous a pas trop écoutés ». De même, toujours selon lui, SOS-Médecins Tours a tenté d'alerter les autorités sanitaires, mais sans grand succès non plus. On peut s'en étonner, mais SOS-Médecins, qui dispose d'un maillage national important, n'est pas tenu d'alerter les autorités sanitaires quand se produisent des événements semblables, et aucune procédure n'est prévue dans ces cas-là par les pouvoirs publics. Frédéric Bastian est « ouvert à toute forme de synergie avec les réseaux de veille sanitaire », mais encore faudrait-il qu'un accord soit mis sur pied entre SOS et ces réseaux. Quant à l'implication des médecins libéraux en général, et de SOS-Médecins en particulier, Frédéric Bastian est formel : « Les libéraux, d'où qu'ils viennent, ont joué le jeu durant la canicule ; mais on ne peut que constater que là où nos structures étaient présentes, il n'y a pas eu de problème majeur. Nous avons traité la situation exactement de la même manière que s'il s'était agi d'une épidémie de grippe ou d'une vague de froid. » Le président de SOS-Médecins sait aussi prêcher pour sa paroisse et, interrogé sur les éventuelles modifications qu'il faudrait apporter à l'organisation de la permanence des soins, il n'hésite pas à répondre que « là où SOS-Médecins est présent, la permanence des soins doit s'organiser autour de cette structure ».
Enfin, pour Patrick Pelloux, héraut incontesté de cet été meurtrier, il est grand temps que les pouvoirs publics comprennent qu'il n'est plus possible de fermer des lits d'hôpital l'été ni d'abandonner les consultations, sous prétexte de vouloir faire des économies. Le président de l'Association des médecins urgentistes hospitaliers de France (AMUHF) souhaite par ailleurs que les services d'urgences hospitalières soient enfin dirigés par de véritables chefs de service « et non par tel ou tel au gré des disponibilités ». Quant à la permanence des soins libérale, elle ne trouve pas non plus grâce à ses yeux : « Les événements de cet été ont mis en évidence la faillite du volontariat, tout au moins là où il n'a pas fonctionné. Comment se fait-il que SOS-Médecins ait assuré la permanence des soins quasiment à elle toute seule dans un certain nombre de villes ? Il paraît qu'il n'y avait que deux généralistes de garde dans les Hauts-de-Seine le 15 août... Si c'est vrai, on se fout du monde. Ça aura au moins prouvé que SOS-Médecins, ça marche ». Patrick Pelloux estime par ailleurs qu'il est grand temps de « réformer la direction générale de la Santé (DGS) et l'Institut national de veille sanitaire ».
« Je vais vous dire quelque chose, conclut-il : pendant la période de canicule, tout le monde est venu nous aider, tout le monde, sauf les étudiants en médecine qui ne se sont pas sentis du tout concernés. »
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