Douleurs - fatigue - troubles du sommeil
PATHOLOGIE MYSTERIEUSE, dont la symptomatologie est encore trop souvent considérée comme floue, la fibromyalgie touche pourtant au moins 2 % de la population avec une nette prédominance féminine. Le diagnostic reste donc tardif, les patients errant de généralistes en spécialistes, car les professionnels de santé eux-mêmes la connaissent mal. Certains d'ailleurs la considèrent comme un trouble « psychosomatique » et non comme une authentique entité pathologique. Cette situation tend néanmoins à changer. Une vaste enquête auprès des membres de la Société américaine de la douleur en témoigne. Neuf praticiens sur dix ont déclaré que la fibromyalgie est bien une pathologie à part entière. Les principaux symptômes cités comme essentiels pour le diagnostic sont des douleurs diffuses, des points douloureux à la palpation, un examen neurologique normal, l'absence de douleur ou d'hypersensibilité cutanée. L'American College of Rheumatology (ACR) a défini 18 points douloureux à la palpation, le diagnostic de fibromyalgie requérant l'existence de 11 d'entre eux, répartis sur l'ensemble du corps, en l'absence d'autre étiologie. Ces points douloureux sont situés au niveau occipital et cervical bas, mais aussi au niveau du trapèze, du grand trochanter, ou encore sur la partie latérale de l'épicondyle. Ce sont les seuls critères objectifs de la maladie. Des spécialistes américains ont d'ailleurs proposé de quantifier chaque point douloureux afin d'établir un score myalgique par l'addition de la pression induisant une douleur sur chaque point d'un centimètre carré de surface. Il semble en fait que cette mesure au niveau de 3 ou 4 points suffise à confirmer le diagnostic.
Un cercle vicieux.
Si ces points douloureux constituent l'élément clé du diagnostic, s'y associent fréquemment des symptômes dépressifs et/ou anxieux, des troubles du sommeil et surtout une importante fatigue, parfois des troubles de la mémoire. Selon David Williams, un cercle vicieux s'installe peu à peu, la douleur et la fatigue entraînent des troubles psychologiques et comportementaux, la souffrance augmente la détresse et les troubles du fonctionnement diminuent l'activité du patient et aggravent son isolement, nouvelles sources de troubles et de symptômes.
La physiopathologie de la fibromyalgie est mal connue, mais il semble qu'il s'agisse d'une dysrégulation cérébrale sans doute sur un terrain génétiquement prédisposé avec, peut-être, des troubles du métabolisme de la sérotonine. C'est donc avec, dans un certain nombre de cas, un traumatisme ou un stress comme facteurs déclenchants et, souvent, un environnement défavorable. Les progrès récents de l'imagerie cérébrale ont d'ailleurs permis de confirmer une hyperactivation de certaines zones cérébrales, notamment au niveau des amygdales et de l'insula et des modifications au niveau du cervelet chez les patients souffrant de fibromyalgie.
La prise en charge de ces patients repose sur les antidépresseurs, les thérapies cognitives, l'activité physique et l'éducation. L'information du patient joue dans cette maladie un rôle crucial, car il faut qu'il s'implique totalement dans sa prise en charge. Aux Etats-Unis, la fibromyalgie est « à la mode » et les sites Internet regorgent d'informations, qui, malheureusement, ne sont pas toutes de qualité, souligne le spécialiste américain. Les magazines ont également multiplié les articles sur le sujet, si bien que certains patients arrivent aujourd'hui en consultation en décrivant les fameux 18 points de Yunus...
Sur le plan pharmacologique, les antidépresseurs sont généralement proposés, bien que les quelques études disponibles donnent des résultats contrastés. Le Dr Williams propose de commencer par de petites doses d'antidépresseurs tricycliques, et d'ajouter, dans un deuxième temps, si les symptômes ne sont pas bien contrôlés, un inhibiteur de la recapture de la sérotonine. Néanmoins, les effets secondaires des antidépresseurs tricycliques, surtout en administration prolongée, peuvent amener à prescrire en première intention un inhibiteur de la recapture de la sérotonine. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont inefficaces ; quant aux opiacés, s'ils ont fait leurs preuves dans les syndromes douloureux d'origine centrale, ils n'ont pas été étudiés dans la fibromyalgie.
La physiothérapie constitue un apport précieux, mais toute activité physique, surtout la marche ou la natation, a un impact favorable tant sur les symptômes que sur les troubles psychologiques. Toutes les méthodes de relaxation sont utiles. Quant aux thérapies cognitives, elles permettent de maîtriser le stress, d'améliorer les troubles du sommeil, de lutter contre la pensée automatique. En effet, cette forme de pensée offre de nombreux avantages pour la réalisation de tâches quotidiennes, mais elle a des effets délétères non seulement chez les patients souffrant de fibromyalgie, mais de façon plus générale sur tous les sujets dépressifs ou anxieux, explique le Dr Williams, car elle tend à entretenir le cercle vicieux douleur-fatigue-douleur. L'approche comportementale permet, en donnant des objectifs raisonnables au patient, d'augmenter progressivement son activité. C'est donc au prix d'une prise en charge multidisciplinaire, dont chaque élément est essentiel, que l'on peut soulager efficacement ces patients, qui souffrent encore trop souvent pendant des mois ou des années avant d'être correctement traités.
Communications des Drs Norman Harden (Chicago, Etats-Unis) et David Williams (université du Michigan, Etats-Unis).
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