Insuffisance rénale progressive

Penser au myélome chez un sujet de 65 ans

Publié le 04/07/2005
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Fatigue
M.B. Henri, 65 ans, cultivateur en retraite n'a jamais fait de surveillance médicale particulière pendant sa vie professionnelle. Un peu fatigué depuis quelques mois, il accepte de faire un bilan sanguin proposé par son médecin traitant. Celui-ci découvre une créatinine plasmatique élevée à 165 μmol/l, correspondant à une clairance calculée par la formule de Cockcroft à 45 ml/mn. Cette insuffisance rénale est isolée, sans anémie, sans syndrome inflammatoire. Le médecin généraliste adresse alors son patient à la consultation néphrologique. Un bilan complémentaire est alors programmé en hôpital de jour. Six semaines après le premier bilan, la créatinine plasmatique est retrouvée à 410 μmol/l, sans diminution de la diurèse. Il existe une anémie avec 10,2 g/dl d'hémoglobine. Le ionogramme sanguin est normal. Au plan clinique, aucune anomalie significative n'est retrouvée. Le patient n'est pas hypertendu et n'exprime pas d'autres plaintes qu'une fatigue inhabituelle. Il ne prend aucun médicament. L'échographie abdominale montre deux reins de taille normale, un foie de morphologie et de taille normales. Les autres organes abdominaux (rate, pancréas) n'ont pas d'anomalie. La recherche d'albuminurie à la bandelette urinaire est négative. L'Ecbu est stérile, sans anomalie du sédiment. Une électrophorèse des protides sanguins ne montre pas d'anomalie du profil.

Evolution alarmante
L'insuffisance rénale est alors classée comme « aiguë » et rapidement progressive, justifiant la réalisation d'une biopsie rénale. Celle-ci effectuée une semaine plus tard montre un rein myélomateux avec en immunofluorescence des dépôts glomérulaires, vasculaires et tubulaires de chaînes légères lambda. La recherche d'une protéinurie de Bence-Jones est positive avec en immunofixation la présence de la chaîne légère lambda. Le myélome sera confirmé au myélogramme avec plus de 30 % de plasmocytes. La chimiothérapie et l'alcalinisation des urines permettront de stabiliser l'insuffisance rénale à un niveau de créatinine plasmatique de 200 μmol/l. Douze mois plus tard, malgré la poursuite de la chimiothérapie, l'insuffisance rénale s'aggravera à nouveau et le patient sera rapidement en insuffisance rénale terminale justifiant la prise en hémodialyse chronique.

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1) Penser au myélome devant une insuffisance rénale rapidement progressive chez le sujet âgé.
L'insuffisance rénale rapidement progressive chez un sujet âgé est d'abord une urgence néphrologique qui aboutit le plus souvent à la réalisation d'une biopsie rénale. Trois étiologies sont généralement recherchées :
une vascularite qui est le plus souvent une maladie systémique où domine l'atteinte rénale. Celle-ci prend généralement la forme d'une insuffisance rénale glomérulaire avec protéinurie, hématurie microscopique et souvent une hypertension artérielle qui complète le syndrome néphritique aigu. Les lésions rénales retrouvées à la biopsie sont celles d'une glomérulonéphrite proliférative avec croissants focaux ou circonférentiels. Un traitement précoce peut empêcher la destruction complète du rein en quelques semaines ;
- une néphropathie tubulo-interstitielle aiguë pouvant être la conséquence d'un accident immuno-allergique médicamenteux.
- un myélome qu'il faudra d'emblée évoquer lorsque l'insuffisance rénale rapidement progressive ne s'accompagne pas d'albuminurie à la bandelette urinaire, ni d'hypertension artérielle. L'échographie rénale montre des reins de taille normale.
La néphropathie ischémique par sténose athéromateuse des artères rénales (Nisaar) peut se révéler par une insuffisance rénale lentement progressive sur plusieurs mois, souvent dans un contexte d'hypertension artérielle réfractaire au traitement antihypertenseur. Certains myélomes peuvent également se révéler par une insuffisance rénale lentement progressive. Dans ces formes d'insuffisance rénale chronique, l'échographie rénale peut montrer des reins réduits de volume, le caractère unilatéral de l'atrophie rénale étant un fort argument en faveur d'une Nisaar.
Lorsqu'on ne retrouve pas de pic monoclonal à l'électrophorèse des protides sanguins, c'est la biopsie rénale qui en fait le diagnostic initial.

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2) Une bandelette urinaire négative pour l'albumine n'exclut pas la présence d'une protéinurie de Bence-Jones.
En effet, la bandelette urinaire dépiste généralement la présence d'une albuminurie. Lorsque la protéinurie est constituée seulement d'une globulinurie de Bence-Jones, la bandelette urinaire peut être négative. Lorsqu'on suspecte un myélome à chaîne légère, il faut demander au laboratoire la recherche et le dosage dans les urines de 24 heures de la protéinurie. Chez notre patient, la recherche de l'albuminurie était négative et c'est la recherche de la protéinurie avec immunofixation qui a révélé la présence d'une chaîne légère.

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3) L'alcalinisation des urines et une chimiothérapie immédiate permettent souvent d'améliorer la fonction rénale.
Ce fut le cas pour ce patient. L'insuffisance rénale rapidement progressive du myélome doit conduire à alcaliniser immédiatement et massivement les urines et à la mise en place d'une chimiothérapie. C'est à ce prix que l'on peut espérer récupérer partie ou totalité de la fonction rénale. Le myélome peut reprendre et échapper au traitement. Le patient arrive alors au stade de l'insuffisance rénale terminale justifiant la prise en dialyse. La maladie peut se stabiliser en dialyse et des survies de plusieurs années ont été observées chez des patients dialysés atteints d'un myélome. Le myélome n'est pas une contre-indication à la prise en dialyse.

> Dr PIERRE SIMON NEPHROLOGIE CENTRE HOSPITALIER DE SAINT-BRIEUC

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7785