En vitrine chez les libraires depuis le 20 août, avec un tirage à 10 000 exemplaires, « Rose bonbon » (Gallimard) a reçu un accueil médiatique considérable. Le deuxième roman de Nicolas Jones-Gorlin, après « Poupées » (Gallimard, 2000), est consacré à l'univers de la mode. A défaut d'avoir de nombreux lecteurs, il ne manque pas de contradicteurs. Auxquels s'ajoutent quelques curieux, qui, sans même feuilleter ses 176 pages, vendues 14 euros, cherchent à savoir si Anastasie va reprendre du service à une époque où il est de bon ton d'interdire d'interdire.
« Rose bonbon » aurait-il fait mouche sans une diffusion sous film plastique ? « Rose bonbon » aurait-il retenu l'attention si, après une brève interruption de sa distribution, l'éditeur n'avait pas produit l'avertissement suivant sur la couverture : « Ce roman est une uvre de fiction. Aucun rapprochement ne peut être fait entre le monologue d'un pédophile imaginaire et une apologie de la pédophilie. C'est au lecteur de se faire une opinion sur ce livre, d'en conseiller ou d'en déconseiller la lecture, de l'aimer, de le détester en toute liberté. »
Protéger les mineurs
Quoi qu'il en soit, au nom de la stricte protection des mineurs, le Dr Brigitte Bancel-Cabiac, présidente de l'association Enfant bleu-Enfance maltraitée, a fait savoir à la justice, dès le 26 août, ce que lui inspire le contenu du livre. La diffusion d'une image à caractère pornographique et la diffusion d'un message pornographique pouvant être vu par un moins de 18 ans tombent sous le coup des articles 227-23 et 227-24 du code pénal. « Rose bonbon » constitue ainsi, selon l'association, un délit de diffusion de la représentation d'un mineur dans une situation à caractère pornographique, passible de 3 ans d'emprisonnement et de 45 734 euros d'amende, conformément à la loi Guigou du 17 juin 1998.
Or, n'étant pas habilité à porter plainte en tant que mouvement associatif, l'Enfant bleu, avec le concours de la Fondation pour l'enfance et d'Enfance et Partage, a demandé par courrier au substitut du procureur de la République de Paris chargé des mineurs d'engager des poursuites contre l'éditeur. Une information judiciaire est en cours. « Notre démarche de protection de l'enfance est juridique, déclare au "Quotidien" le Dr Brigitte Bancel-Cabiac, médecin du travail. Sans compter - mais ce n'est pas là le fondement de notre action - que la banalisation de la pédophilie, comme c'est le cas, favorise le passage à l'acte, notamment chez des adolescents fragiles (voir encadré) . Oui, on a violé la loi en montrant des enfants dans des situations pornographiques. Pourquoi les écrivains seraient-ils au-dessus des lois ? »
« Je ne suis ni une mièvre ni une bigote, précise la praticienne, mère de famille et jeune grand-mère d'une enfant de 3 mois. La législation de 1998, nous l'attendions depuis neuf ans ; elle s'inspire de la Convention internationale des droits de l'enfant de 1989 ratifiée par la France. Animés par le même respect de la loi, nous avions demandé également justice dans la récente affaire de l'évêque qui savait que l'un de ses prêtres s'adonnait à la pédophilie. »
La Fondation pour l'enfance, présidée par Mme Giscard d'Estaing, a saisi le ministère de l'Intérieur, afin que soit appliquée, particulièrement dans son article 14, la loi du 16 juillet 1949 relative aux ouvrages et à la presse destinés à toutes publications susceptibles de porter atteinte à la jeunesse. Au début d'octobre, Michel Bonneau, sous-directeur des libertés publiques et de la police administrative au ministère de Nicolas Sarkozy, informait Antoine Gallimard, le patron des éditions du même nom, qu'il étudiait l'éventualité d'interdire le livre à la vente des mineurs. « J'imagine, dit le Dr Brigitte Bancel-Cabiac, qu'on ne va pas interdire l'ouvrage, mais qu'on va le rendre inaccessible à la jeunesse. »
Liberté d'expression
La Ligue des droits de l'homme et de nombreux intellectuels, parmi lesquels le ministre de la Culture, apportent leur soutien à l'éditeur et à Nicolas Jones-Gorlin au nom de la liberté d'expression de l'écrivain dans une uvre de fiction. « L'art et la culture sont là pour explorer (...) les méandres de l'âme humaine, déclare Jean-Jacques Aillagon. Les associations se trompent de cible en s'attaquant à la littérature (...) Je ferai tout pour que la protection des droits des créateurs et de leur liberté d'expression sorte renforcée de ce débat », souligne le ministre. Sur le même ton, Philippe Tesson écrit dans sa chronique du journal « Métro » : « L'uvre en question ne mérite pas tant d'honneur, et surtout ne mérite pas qu'un gouvernement qui se veut ouvert offre de lui-même une image bégueule qui lui collera pour longtemps à la peau. »
Le regard du psychiatre
« Nombre d'écrivains, à l'image de M. H. ou C. M., sont des romanciers qui surfent sur l'air du temps. Ils exploitent les sujets-filons de l'époque et, sous couvert de fiction, font passer des messages intolérables, dit au "Quotidien" le Dr Patrice Huerre, psychiatre d'adolescent, expert près de la cour d'appel de Paris*. La question est donc de savoir jusqu'où peut aller l'écrivain dans l'exercice qui lui permet de se cacher derrière la fiction. Face à des impératifs de vente, ces auteurs sont très éloignés de "l'Education sentimentale".
« J'ajouterai que notre époque est particulièrement sensibilisée aux débats sur les viols, les violences, les affaires de pédophiles. Ce qui n'est pas un mal. En l'occurrence, le débat philosophico-éthico-juridique sur "Rose bonbon" ne manquera pas d'amuser les juristes.
« Quant aux risques courus par les adolescents, d'une part, il est déjà rare qu'ils lisent, et, d'autre part, la lecture de "Guerre et Paix" ne conduit pas forcément à faire la guerre. En revanche, la médiatisation excessive d'une éventuelle interdiction de "Rose bonbon" risque d'avoir un effet attractif, y compris pour ceux qui ne lisent pas. Ce qui ne veut pas dire qu'il faille interdire ce type d'ouvrage. A mon avis, il y a plus de danger à braquer les feux, comme on le fait actuellement, sur un tel livre qu'à faire un travail éducatif et pédagogique auprès des jeunes pour les aider à faire face aux fléaux de notre société. »
* Auteur de « Ni anges ni sauvages. Les jeunes et la violence » (Edit. Anne Carrière, janvier 2002).
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature