M. SARKOZY avait déployé des trésors d'énergie l'année dernière pour convaincre les frères Kaczynski (l'un est président, l'autre était Premier ministre, mais ne l'est plus) de soumettre à leur Parlement le traité dit simplifié. Il était parvenu à les convaincre. Entre-temps, la majorité polonaise a changé et elle est dirigée par Donald Tusk, Premier ministre depuis le 10 novembre dernier, beaucoup plus proche des milieux européens et occidentaux.
La présidence française est mal partie.
M. Tusk est sans doute scandalisé par l'abus de pouvoir du président, mais l'homme est têtu. Du coup, les propos brillants prononcés par le chef de l'État, lundi soir, sur FR3 tombent à plat : la présidence française, qui a commencé avant-hier, est très mal partie. Le monde médiatique a accueilli avec scepticisme les déclarations de Nicolas Sarkozy : le président sait bien qu'il aura beaucoup de mal à convaincre ses partenaires européens d'exercer des pressions politiques sur la Banque centrale européenne pour qu'elle diminue les taux d'intérêt, d'adopter la TVA à 5,5 % pour la restauration, de fixer un plafond à la TVA sur les carburants. Qu'il souhaite le faire ne veut pas dire qu'il le fera et Jacques Chirac n'y est guère parvenu, il faut s'en souvenir.
Le président de la République a néanmoins tenu un discours tout à fait adapté à la situation. Il voit dans le « non » irlandais la démonstration que l'Union européenne s'est éloignée des préoccupations du citoyen européen et il n'a cessé, tout au long de l'émission, de nous parler d'une Europe qui s'adresse concrètement à de telles préoccupations. Il s'agissait d'un excellent exercice de style, mais la réalité est autrement plus ardue que telle qu'elle est présentée par M. Sarkozy.
Au lendemain du « non », il semblait que les 4,5 millions d'Irlandais ne pouvaient pas peser sur le destin de 450 millions d'Européens : si, au nom de la démocratie, on doit réaffirmer que l'Irlande a le droit de dire « non » à l'Europe, pour les mêmes raisons, on ne saurait accepter qu'elle bloque un système énorme et complexe qui réunit 27 États. Mais, si l'on peut contourner l'Irlande, peut-on se passer de la Pologne, située aux confins de la Russie ?
Le « non » irlandais n'était pas de bon augure pour la présidence française, le « non » de M. Kaczynski lui porte, nous semble-t-il, un coup fatal. Certes, M. Sarkozy peut encore nous surprendre ; toutefois, il faut bien reconnaître que l'Union est vidée de tout dynamisme, amorphe, faible, critiquée par les Européens, soupçonnée de préparer le pire, privée de crédibilité.
On peut compter sur M. Sarkozy pour prendre le taureau par les cornes, avec son dynamisme habituel ; il n'empêche que sa capacité personnelle à influer sur le cours de l'Histoire n'est pas illimitée. Les six mois pendant lesquels la France assurera la présidence de l'UE ne suffiront pas pour rétablir la confiance des Européens dans l'Europe et il est fort peu probable que Nicolas Sarkozy transforme l'Union en force « protectrice » des Européens, comme il l'a affirmé lundi soir. Son échec éventuel, notamment sur des points extrêmement concrets qui concernent le pouvoir d'achat des Français et la crise calamiteuse créée par la hausse insensée des prix des carburants, lui posera un nouveau problème de popularité dont il n'a pas besoin. Nous sommes au coeur d'un marasme économique causé par un choc pétrolier sans doute plus destructeur que ceux de 1973 et 1980. Une Europe unie aurait constitué contre cette tempête un rempart utile ; une Europe désunie sera incapable de voler au secours de ses habitants.
La France aurait déjà beaucoup de mérite si elle pouvait assurer pendant six mois la survie de l'Union, si elle pouvait au moins lui donner un semblant de fonctionnement. Mais comment faire quand le traité est rejeté, alors même qu'il n'avait pas d'autre ambition que de mettre fin à l'immobilité de l'Europe ? Comment faire quand des pays qui, comme la Pologne et la République tchèque, ne voyaient naguère leur salut que dans leur entrée dans l'Europe et dans l'OTAN se détournent aujourd'hui de leur propre idéal ; ou quand des pays comme l'Irlande, qui doivent à l'Europe la meilleure partie de leur fantastique développement économique, lui trouvent d'irrémédiables défauts dès qu'ils commencent à être menacés par la crise mondiale ?
Une Europe peut-être trop vaste.
Nicolas Sarkozy a maintenant une tâche précise : il doit proposer aux 26 partenaires de la France une solution politique, susceptible de maintenir l'Europe à flot. Il s'agit, ni plus ni moins, de sortir des cercles vicieux déclenchés par les référendums ; de secouer une Commission européenne léthargique, en dépit des compliments adressés par le chef de l'État à son président, José Manuel Barroso ; de faire adopter, envers et contre tout, des mesures d'allègement du prix du pétrole, s'il veut éviter une explosion sociale en France et ailleurs ; et de plancher derechef sur une procédure politique contenant des décisions drastiques : l'Europe est peut-être trop vaste, elle est composée de trop de pays très différents, l'élargissement a été conduit à marche forcée, l'arrivée des nouveaux venus inquiétant les anciens. Du coup, la Grande-Bretagne n'est pas dans l'espace Schengen et n'a pas davantage adopté l'euro. Ce n'est pas un hasard si deux pays fondateurs de la CEE, la France et les Pays-Bas, ont dit « non » au traité constitutionnel en 2005 : leurs peuples ne se sentaient sans doute pas en phase avec les Lettons ou les Slovènes. Bref, il faut tout reprendre de zéro.
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