L 'INDUSTRIE pharmaceutique appuie là où ça fait mal. Elle publie une étude réalisée à partir « de données récentes publiées dûment référencées » - c'est-à-dire de travaux officiels - et qui met en évidence les besoins médicaux non couverts dans dix-huit pathologies essentielles (1). De cette manière, elle exerce une pression sur les pouvoirs publics, et les incite, même si elle s'en défend, à prendre leurs responsabilités dans ce domaine.
Le document, mis au point par deux sociétés spécialisées dans le domaine de la santé, JNB Développement SA et Annie Chicoye Economics, à la demande du Syndicat national de l'industrie pharmaceutique (SNIP) et des laboratoires internationaux de recherche (LIR, association qui regroupe les multinationales étrangères présentes en France), montre que de nombreux patients ne sont ni traités ni même diagnostiqués pour des maladies qui, pourtant, ne sont pas mineures.
Jean-Jacques Bertrand, président du SNIP, explique que, « parmi les dix-huit pathologies que nous avons choisi d'analyser, onze figurent dans les priorités de santé publique annoncées par les pouvoirs publics ».
70 % des hypertendus insuffisamment contrôlés
Les conclusions de l'étude sont inquiétantes. Qu'il s'agisse des maladies cardio-vasculaires, pour lesquelles de 70 à 80 % des patient hypertendus sont insuffisamment contrôlés et alors que plus de 40 % des patients hypercholestérolémiques traités n'atteignent pas les objectifs thérapeutiques, ou de la sclérose en plaques, maladie pour laquelle 10 000 patients sont traités, alors que 25 000 devraient l'être au vu des recommandations officielles. Même constat pour la dépression, puisque, selon ce document, de 50 à 70 % des dépressions symptomatiques ne font l'objet d'aucune prise en charge thérapeutique en France.
Plus préoccupante encore, la prise en charge de la maladie asthmatique, par laquelle 700 000 enfants sont concernés, est mal assurée. Un patient atteint d'asthme sévère sur deux ne recourt pas au traitement de fond qui lui serait nécessaire. S'agissant de l'ostéoporose, l'étude met en avant le fait que seulement 600 000 femmes, sur les 2,1 à 2,4 millions qui présenteraient au moins une fracture vertébrale diagnosticable radiologiquement, font actuellement l'objet d'une prise en charge thérapeutique. Quant à la maladie d'Alzheimer, l'étude déplore le fait que 60 % des patients ne sont pas du tout traités aujourd'hui, même si les médicaments de la classe des anticholinestérasiques utilisés pour cette affection sont seulement indiqués dans les formes légères ou modérément sévères. Mais la recherche devrait permettre dans les prochaines années de faire des progrès sensibles dans ce domaine comme dans d'autres.
Peu d'outils fiables
L'étude montre aussi que la France manque cruellement d'études épidémiologiques et d'outils fiables pour l'évaluation des besoins médicaux. « Cela, notent les auteurs, est particulièrement vrai du cancer, pourtant affiché comme une priorité de façon constante depuis 1996. » La Cour des comptes, dans son rapport sur la Sécurité sociale de l'automne dernier, dénonçait, rappelle cette étude, « l'insuffisance des données et l'impossibilité d'exploiter celles qui existent pour corréler le besoins de santé et l'offre de soins ».
Pour l'industrie pharmaceutique, l'étude montre bien l'insuffisance des moyens de politique de santé. C'est d'autant plus inquiétant que la forte hausse du nombre des naissances - la France est le pays de l'Union européenne où la natalité progresse le plus -, ajoutée à la croissance des populations de plus de 60 ans, sans oublier l'influence des facteurs d'environnement et des modifications des modes de vie, va nécessairement entraîner une croissance des besoins et des financements. Ce qui, note le Dr Dominique Limet, président du LIR, « ne manque pas de préoccuper l'industrie pharmaceutique ». Car dans l'esprit des industriels, s'il n'est pas question de laisser filer les dépenses - ce qui serait la preuve, dit l'un d'entre eux, de la plus grande irresponsabilité - et notamment celles du médicament, il faut quand même lâcher un peu de lest. Un objectif limite des dépenses d'assurance-maladie fixé à 3,5 % pour 2001 ne leur paraît pas de nature à couvrir de nouveaux besoins médicaux, ni même à réduire ceux que cette étude met en valeur. Et l'objectif de 3 % fixé aux dépenses de médicaments pour cette même année, taux au-delà duquel les firmes seront assujetties à un reversement, n'est pas à même non plus, aux yeux des industriels, de permettre la mise sur le marché de nouvelles innovations.
Or l'innovation, poursuit le Dr Limet, c'est vraiment l'affaire de l'industrie pharmaceutique. C'est aussi la préoccupation des pouvoirs publics qui voudraient que soient réduits ces besoins médicaux. On en revient donc une nouvelle fois à la contradiction entre impératifs économiques et impératifs de santé publique. « Il semblerait raisonnable, explique Bernard Lemoine, vice-président délégué du SNIP, que le marché du médicament remboursable tourne autour d'une évolution de 7 % par an », taux d'ailleurs évoqué par une récente étude de l'économiste de la santé, Claude Le Pen, qui estimait que, en deçà, on pouvait assister, avec le temps, à une dégradation de l'état de santé d'une population.
On est bien loin de ce taux de 7 %. Ce que déplore l'industrie pharmaceutique, pour qui la fixation du niveau de ressources allouées au financement de la consommation du médicament doit s'appuyer sur une « démarche à la fois plus rationnelle, plus complète et plus compatible avec les objectifs annoncés de politique de santé ».
Reste à savoir si ce message est ou sera entendu par les pouvoirs publics. « Nous sommes écoutés », explique avec prudence Jean-Jacques Bertrand.
Sans doute les présidents du SNIP et du LIR espèrent-ils que la publication de l'étude mettant en valeur les besoins médicaux dans dix-huit pathologies majeures leur permettra d'obtenir une écoute plus attentive de leurs interlocuteurs.
(1) Les dix-huit pathologies concernées par ce rapport sont les suivantes : assistance médicale à la procréation ; asthme ; cancer ; risque cardio-vasculaire ; douleur chez l'enfant ; hépatite C ; ostéoporose ; arthrose ; polyarthrite rhumatoïde ; infection par le VIH ; maladie d'Alzheimer ; dépression ; épilepsie ; maladie de Parkinson ; schizophrénie ; sclérose en plaques ; transplantation ; vaccination contre les méningites bactériennes de l'enfant.
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