ON EN DEMANDE parfois trop au pauvre critique de cinéma. Distinguer le bien et le mal, connaître l'histoire et les textes fondateurs par le menu, prévoir l'effet d'un film sur les foules ou même la société toute entière. Alors, en partant voir le film de Mel Gibson, dont on avait aimé « Braveheart », on tremble. Sera-t-on capable, en n'ayant en l'occurrence d'autre religion que celle du cinéma, de détecter les erreurs, les intentions cachées, le prosélytisme malvenu ? Et puis, tandis que se déroule l'illustration des dernières heures du Christ, avec quelques courts flash-back, on constate qu'il ne s'agit que d'un film, rien qu'un film, et un mauvais film.
Croyant convaincu, surtout depuis une crise spirituelle, il y a douze ans, Gibson a voulu montrer la Passion avec réalisme, « exprimer l'ampleur de ce sacrifice, dans toute son horreur ». Avec son co-scénariste Benedict Fitzgerald (« le Malin », « In cold blood »), il a repris les épisodes classiques des Evangiles et les fait se succéder comme dans un livre d'images, du jardin de Gethsémani au Golgotha : l'arrestation, la comparution devant les grands prêtres puis chez le gouverneur Ponce Pilate, le chemin de croix, la crucifixion. Sans oublier les trente deniers de Judas, le reniement de Pierre, Barrabas, le roi Hérode, Simon de Cyrène...
Cela est écrit dans les Evangiles, certes, mais fallait-il filmer sans aucune distance et surtout avec les pires moyens des grandes productions hollywoodiennes : les ralentis à la Peckinpah (qui savait les utiliser à meilleur escient), les coups donnés comme à la boxe et dont l'impact est accentué par le son et la musique, les lumières glauques (Gibson dit avoir voulu s'inspirer des tableaux du Caravage, il n'en a pas retenu l'inspiration), le démon qui semble tout droit sorti d'un sous-« Exorciste », les gros plans expressionnistes et le sang, beaucoup de sang. Le en rajoute encore avec les vociférations de la foule juive et il a la main très lourde avec les soldats romains, qui ne cessent de ricaner en infligeant les pires sévices.
Jim Caviezel, qui a l'âge du rôle et est lui aussi un fervent catholique, a paraît-il beaucoup souffert lors du tournage (le réalisme, toujours, même si la croix, nous dit-on, pesait 70 kg et non 140 comme les véritables croix de crucifixion). Monica Bellucci pleure tout au long du film, puisqu'elle incarne Marie-Madeleine. La Roumaine Maia Morgenstern est une Marie émouvante et le Bulgare Hristo Naumov Shopov un étonnant Pilate.
Les acteurs ne sont pas en cause. Mel Gibson n'est pas un mauvais cinéaste, mais en accentuant les effets les plus convenus, il manifeste une complaisance dans la violence qui, quoi qu'il en dise, ne sert pas son propos. Pour quelqu'un qui prétend raconter « une histoire de foi, d'espoir et d'amour », c'est même une mauvaise action. Il feint d'ignorer le pouvoir décuplant de l'image cinématographique, par rapport au récit écrit ou à la peinture, lui qui s'en sert avec outrance.
Bref, si l'on est croyant, il y a mille autres manières de fortifier sa foi. Et si l'on s'intéresse seulement au cinéma, on oubliera même la curiosité qui pourrait conduire à pousser la porte du cinéma.
Polémiques
C'est le producteur Tarak Ben Ammar qui a décidé de distribuer en France un film qui, affirme-t-il, « a le mérite de transformer la fascination que la violence exerce sur les foules en horreur de la violence ». Il récuse les accusations d'antisémitisme ou de prosélytisme, estimant que le film délivre « un message qui transcende les communautés » et que sa dimension « est plus politique que religieuse », car Jésus apparaît comme la « victime expiatoire de l'ignorance des hommes et de la bêtise aveugle des foules ». Ce n'est pas l'avis de Marin Karmitz, le patron de la société MK2, qui a refusé de programmer dans son réseau de salles un filme qu'il juge « fasciste », « antisémite » et « d'une violence inouïe ».
« Antisémite », c'est aussi l'inquiétude du Dr Patrick Benlolo et de ses frères Jean-Marc et Gérard, qui en ont appelé à la justice pour faire interdire le film en France, au motif « d'incitation à la haine ». Le tribunal de Paris a rejeté leur demande car « il n'apparaît pas qu'il y ait eu une manipulation grossière des textes bibliques ni que le film ait été réalisé dans le but évident de porter atteinte à cette communauté » (la communauté juive).
Le film connaît un immense succès aux Etats-Unis. En France, où il sort dans plus de 500 salles, il est interdit aux moins de 12 ans. Seule l'Italie, où on le verra à partir du 7 avril, n'a pas prévu de limitation de diffusion.
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