LE GOUVERNE- MENT souhaitait que l’Imprimerie nationale (IN) garde la fabrication des passeports et confier à une société privée, Oberthur Judiciaire, le soin d’y placer la puce électronique qui identifie le voyageur. Les syndicats de l’IN ont protesté et porté l’affaire devant la justice ; le Conseil d’Etat a décidé vendredi que le gouvernement ne pouvait faire casser le jugement qui donnait raison aux salariés : depuis 1993, l’Imprimerie nationale a bel et bien le monopole de la fabrication des passeports, qu’ils soient classiques, à lecture optique ou biométriques.
Le problème est que l’IN ne dispose pas, semble-t-il, de la technologie appropriée et qu’en somme elle défend le monopole d’une tâche qu’elle ne peut pas accomplir. Pendant que la situation est gelée, les tour-opérateurs enragent parce que le trafic entre la France et les Etats-Unis aurait diminué de trente-cinq pour cent. Le consulat des Etats-Unis à Paris a pourtant publié des placards dans la presse pour signaler aux voyageurs que les passeports à lecture optique antérieurs au 25 octobre 2005 étaient valables. Seules les personnes disposant de passeports récents non biométriques ne peuvent pas se rendre aux Etats-Unis.
Raisons de sécurité.
Il est probable que la variété des messages et les dénominations énigmatiques des différents documents de voyage incitent les touristes potentiels à choisir une autre destination que les Etats-Unis. Les spécialistes parlent d’un manque à gagner de 500 millions d’euros en 2006.
Le ministère français de l’Intérieur a décidé de faire faire les documents par l’Imprimerie nationale et de faire incruster les puces par l’imprimerie de Lognes. On ne sait pas si les employés de l’IN vont porter aussi cette affaire devant le Conseil d’Etat, mais les voyagistes affirment que cette solution est contraire aux dispositions européennes qui prévoient une seule imprimerie par pays pour des raisons de sécurité.
Voilà donc un joli méli-mélo qui agace à peu près tout le monde : le gouvernement français, celui des Etats-Unis, les salariés de l’IN, ceux d’Oberthur privés d’un marché, les voyagistes et surtout les touristes et hommes d’affaires français qui veulent se rendre aux Etats-Unis. On notera qu’une liberté essentielle, celle de se rendre dans le pays étranger de son choix, est combattue non par quelque abus de pouvoir, mais par un noeud de vipères juridique et bureaucratique.
Dans un premier temps, on est conduit à critiquer très vivement les autorités américaines dont les exigences sécuritaires semblent intolérables aux visiteurs français. Mais, en y réfléchissant davantage, la sécurité intérieure relève de la souveraineté pleine et entière d’un pays, qui n’est jamais obligé d’accepter l’arrivée à ses frontières d’une personne représentant une menace.
Un choix simple.
Par conséquent, les voyageurs français sont placés devant un choix simple : soit renoncer à se rendre aux Etats-Unis en attendant que le problème de la fabrication des passeports soit réglé ; soit accepter les conditions américaines. La crise a été en effet provoquée par la réciprocité : quand les Etats-Unis ont fait mine d’instaurer un visa pour tous les visiteurs (français ou autres), la France (et les autres) ont riposté en exigeant un visa pour les citoyens américains.
NOUS SOMMES UN PAYS EXOTIQUE OU UN MONOPOLE SE RESERVE UNE TACHE QU'IL NE PEUT ACCOMPLIRLe bras de fer a porté ses fruits et les Américains ont renoncé au visa pour un certain nombre de pays, dont la France. Le 11 septembre a infléchi leur magnanimité : l’avantage du passeport biométrique, c’est qu’il correspond à un fichier qui fournit un maximum d’informations sur le voyageur, dont il devient alors très facile de retrouver la trace. Le passeport à lecture optique offre une sécurité moins grande, mais les Américains ont décidé de s’en contenter temporairement, certes par égard pour les Français, mais aussi parce que leurs consulats en France sont débordés par la tâche : si on se présente aujourd’hui au consulat américain, on n’a pas de rendez-vous avant le mois de juin. Comme l’affirment les voyagistes, c’est fichu pour les touristes de l’été prochain.
Il demeure que cet imbroglio technocratique et bureaucratique est, pour les Américains, une énigme dont ils n’ont pas fini d’explorer les profondeurs : pourquoi l’IN est-elle un monopole (mais là la raison sécuritaire devrait les convaincre) ? Pourquoi la même IN, qui réclame le job, est-elle incapable de l’accomplir ? Pourquoi le ministère de l’Intérieur a-t-il trouvé une solution qui, comme la précédente, présente les mêmes failles juridiques que la précédente ?
Réponse : nous sommes un pays très exotique ; vous devriez le visiter.
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