PLUS QUE TOUT, ils voulaient devenir médecin mais ils ne le seront jamais : ils ont échoué au concours. Sauf manoeuvres courageuses et/ou retorses (voir encadré), selon les points de vue, la porte de la médecine leur est définitivement fermée. Chaque année, parmi ceux que le P1 laisse au bord du chemin – soit 80 % des aspirants, taux qui, grosso modo, ne varie pas avec l'évolution du numerus clausus –, il se trouve des vocations extrêmes que la sélection a contrariées. Le couperet des résultats emporte avec lui deux années de travail acharné et surtout des rêves d'accomplissement de soi qu'il faut satisfaire autrement. Il y a parfois une dépression à la clef. Le choc, dans tous les cas, est plus que rude. En se replongeant dans son « échec » huit ans après, Nicolas Raynaud, depuis reconverti avec bonheur dans la production cinématographique, en a encore des frissons : «Ça m'a tué, se souvient-il. Après les résultats, je ne suis plus sorti de chez moi. J'ai maigri. Ma vue a considérablement baissé –la fatigue, m'a-t-on expliqué… Quand j'y repense, quel mois de juillet!» Si la pilule a du mal à passer, elle n'est en général pas assortie de regrets. Car ceux qui, à tout prix, veulent devenir médecin, jettent sans compter leurs forces dans la bataille. «J'ai tout donné, explique Nicolas Raynaud, j'ai travaillé comme un fou, surtout la deuxième année, et finalement, j'ai raté le concours à une dizaine de places près.»
Depuis la classe de troisième, Laurence Delahaye voulait, elle aussi, de toutes ses forces, devenir médecin. «J'avais envie, dit-elle, de faire carrière dans l'humanitaire.» Mais, de son propre aveu, elle n'était pas scientifique. «J'ai ramé pendant toutes mes études. Je me disais que le désir d'être médecin primerait sur ma nullité en maths. C'était vraiment dur.»
« Et si j'avais réussi ? »
Aujourd'hui agrégée d'anglais, la jeune femme analyse son échec : «Cette première année de médecine était tellement loin des objectifs humains que je poursuivais... Tout cela est tellement indigeste! Peut-être que je n'étais pas assez informée, je ne savais pas ce que ça allait être. Je ne voyais que le résultat, pas le chemin à parcourir. J'y ai cru mais je n'étais pas assez douée.» L'autocritique est sévère. Et Laurence Delahaye, même si elle n'est «pas aigrie du tout», même si elle a fait depuis des «études qui (lui) correspondent mieux», garde toujours, «dans un coin de (sa) tête», la question : «Et si j'avais réussi?». Les grands esprits se rencontrent : Raoul Matos, époux de Laurence Delahaye, est lui aussi un « non médecin contrarié », aujourd'hui professeur d'anglais. Sans aucune frustration : «J'ai, raconte-t-il, des amis médecins. Ils me disent qu'ils ont beaucoup de pressions, qu'ils exercent avec d'énormes contraintes.» Et puis, les études de médecine n'étaient pas faites pour lui non plus. «Je n'en avais, confesse-t-il, qu'une très vague idée. Au lycée, mon professeur de biologie, consulté, ne m'avait pas plus encouragé que cela. Je me suis lancé malgré tout. Et j'ai eu un vrai problème d'organisation. La pression du concours, la pression du travail, tout était dur. Je n'étais pas assez fort pour sortir de tout cela avec la clef de la deuxième année.»
Bon an mal an, les écartés de la médecine acceptent leur sort. Seul, leur reste un peu en travers de la gorge les récentes évolution du numerus clausus. Parce qu'ils savent que, s'ils passaient le concours aujourd'hui, ils seraient reçus. Parce qu'ils savent aussi que si le nombre d'étudiants formés au temps de leur échec avait été plus important, la France ne manquerait pas ponctuellement de médecins comme c'est actuellement le cas. Mais avec des si, on peut mettre l'Ecole de médecine en bouteille…
Quand les acharnés s'exilent
Régulièrement, des candidats malheureux au P1 refusent de renoncer. La seule solution pour eux consiste à retenter leur chance ailleurs, dans des pays où les études de médecine leur sont plus accessibles. Ceux-là reprennent donc les choses de zéro dans un autre pays européen, la Belgique en particulier, ce qui leur permet ,ensuite, un diplôme communautaire en poche, de revenir exercer en France sans trop de difficulté. D'autres passent carrément par la case algérienne. Le pari, là, est plus risqué, puisque ce parcours les transforme, à leur retour en France, en... médecins à diplôme étranger.
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