› Idées
LE DÉCOR est rapidement planté dans ces zones blafardes, situées à flanc de coteau. Morceaux pourris de HLM, baraquements, squats, Y logé chez X pour toutes les raisons possibles, bâtiments sociaux qui encadrent le quartier. Pascale Jamoulle décrit longuement ces existences fracassées de familles marocaines ou turques injectées dans une culture belge, entre-deux parfois tragi-comiques. Des parents y évoquent la douceur de miel du petit village qu’ils ont quitté. Mais 15 % de ces populations sont des gens seuls, des « isolés ». La drogue et la prostitution sont les vrais vecteurs économiques. L’ensemble paraît résumé par cette terrible formule de Pascale Jamoulle, « Des tags montrent des états avancés de dépression et de désespérance ».
Dans un univers qui volatilise les identités, soit parce qu’on ne peut s’y enraciner, soit parce qu’on est traîne-patin qui passe, on ne peut que revendiquer sa corporéité. « À l’école de la rue, dit l’auteur, l e corps et la sexualité des femmes sont les premières cibles de l’ethos viril masculin. » Affichage plus grotesque que vraiment aguicheur, les jeunes filles surlignent leur féminité, pied-de-nez à une tradition pesante, quête maladroite d’identité.
Fuite en avant.
On rencontre ainsi Yerina. Cette jeune fille belge d’origine marocaine a 24 ans. Quittée par son mari, qui l’a laissée avec un jeune enfant, elle deale doucettement du hasch, puis, devenue la proie d’un gang de proxénètes, finit par atteindre 90 kilos. Son corps boursouflé la déclasse sur tous les plans, tandis qu’elle passe des journées affalée devant la télévision.
Difficile d’éviter le cliché, Maria est une prostituée au grand cur. Dans sa « carrée » se termine toute la misère du quartier : clientèle paupérisée, immigrés en détresse sociale dont ne veut aucune autre travailleuse et surtout hommes en demande de tendresse et d’écoute. Ce qui nous vaut de très puissants passages, Maria, comme une psychanalyste, cherchant le sens des fantasmes de ses clients, qui permet « de les véhiculer jusqu’au plaisir ».
Le corps symbolise une sorte de fuite en avant dans cet univers blafard. Parfois il se jette dans la violence, bagarres au couteau entre dealers. Plus souvent, les affects s’intériorisent sous forme de boulimie ou d’anorexie, en particulier chez les femmes. La moins corporelle, c’est celle qui extériorise de façon tapageuse par le fard et les vêtements soi-disant « sexy », la prostituée.
Ayant pénétré ces squats, multiplié les entretiens, Pascale Jamoulle, véritable anti-Pinçon-Charlot, résume admirablement cette plongée dans la mondialisation par le bas : « Les maux de corps disent la place que les sujets ne trouvent pas dans le couple, la famille, le social et la culture. »
Pascale Jamoulle, « Fragments d’intime », La Découverte, 260 pages, 22 euros.
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