HABITUÉS des pages de polars, des pellicules de films noirs ou de séries télé à succès, les médecins légistes vivent actuellement un très mauvais scénario.
En matière de financement, leur spécialité n'est plus inscrite nulle part : ni dans les enveloppes prenant en charge les missions d'intérêt général des hôpitaux (les fameuses MIGAC pour « missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation », dont il était d'usage qu'elles financent les services de médecine légale jusqu'en mars dernier) ; ni dans la T2A (tarification à l'activité). Pas de ligne budgétaire, pas de crédit : l'équation est aussi simple que cela. Et elle est délibérée de la part du ministère de la Santé.
Du coup, exception faite des frais spécifiques (honoraires d'expertise, rapport du médecin…) pris en charge par la Justice, plus personne, aujourd'hui, ne paye pour les milliers d'actes de médecine légale (voir encadré) effectués chaque année dans les hôpitaux sur réquisition du parquet et qui supposent des frais de personnels, d'astreintes médico-légales, de fonctionnement des services... «A la marge entre les systèmes sanitaire et judiciaire», la médecine légale se retrouve «enlisée dans un no man's land budgétaire», résume la SFML (Société française de médecine légale) qui conclut que «sans décision urgente (la discipline) pourra être déclarée en faillite».
Tarif « pénal » pour une autopsie : 138 euros.
Les sommes en jeu sont difficiles à mesurer à l'échelle nationale, mais, localement, elles peuvent être estimées. Au CHU de Lille, par exemple, l'une des structures officiellement estampillées en France (la plupart étant souvent des sortes de « sous-services » un peu fantomatiques intégrés à d'autres départements pouvant aussi bien concerner la gériatrie, l'orthopédie, la stomatologie... ou bien, plus logiquement, l'urgence), les dépenses du service de médecine légale représenterait environ 1 million d'euros par an au titre de son activité médico-judiciaire. Sous un autre angle – celui des actes –, les médecins légistes constatent qu'une autopsie est tarifée à 138 euros par le code de procédure pénal «mais coûte en réalité plus du double».
Jusqu'à maintenant, la médecine légale s'est tant bien que mal maintenue à flot. «Chacun bricolait localement, à la faveur de bonnes relations avec le directeur d'hôpital, le procureur ou le doyen de la faculté de médecine», explique le Pr Didier Gosset, président de la SFML. Mais dans un contexte d'austérité budgétaire et surtout avec une tarification à l'activité n'intégrant pas la médecine légale, ce n'est plus possible : mécaniquement, on ne peut pas financer une activité qui... n'existe pas. Fin septembre, dans une lettre adressée à la Conférence des directeurs de CHU, la directrice au ministère de l'Hospitalisation et de l'Organisation des soins (DHOS), Annie Podeur, vient même d'enfoncer le clou, affirmant que la médecine légale «n'existe que dans le cadre d'une procédure pénale» et que sa mission n'est pas «une mission de soins».
«Jugement éhonté!», s'emporte le Pr Gosset.
Cette «absence de financement spécifiquement fléché aura des conséquences dramatiques», prédit la SFML. La catastrophe, parfois en cascade, se jouera sur plusieurs plans : «Les victimes d'agression ne pourront plus faire valoir leurs droits du fait de l'absence de constatation et de description précise des lésions ou de certificats médicaux utilisables» ; «la justice se verra dans l'impossibilité de poursuivre les procédures et des crimes resteront impunis». Quant à la discipline, elle ne trouvera plus de recrue non pas faute d'engouement des jeunes médecins, mais faute de moyens de recrutement, et la santé «se priverait de connaissances épidémiologiques essentielles» (la médecine légale est, par exemple, la seule à pouvoir réaliser des études sur les morsures de chiens en rapprochant le type de chiens et les caractéristiques des morsures ; elle peut aussi attirer l'attention sur des situations dangereuses comme l'utilisation de trotteurs pour bébés).
A l'approche de l'examen par le Parlement du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), dans lequel ils verraient bien se glisser un argument à leur rescousse, les médecins légistes estiment qu'il n'y a pas de temps à perdre si l'on veut éviter la pure et simple «disparition» de leur spécialité.
400 000 actes
Chaque année, les services de médecine légale réalisent en France près de 400 000 actes sur des patients vivants (dont 20 % concernent des agressions sexuelles), plus de 8 000 autopsies et 11 000 levées de corps.
La SFML estime qu'ils sont entre 400 et 700 médecins à exercer – pour beaucoup ponctuellement seulement – la médecins légale.
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