LA LOI DU 4 MARS 2002, dite loi Kouchner, pose au moins deux sortes de problèmes d'interprétation aux médecins. La première tient à l'application du texte dans certaines situations. La deuxième tient à leur qualité même d'interprète d'une nouvelle loi : comme le souligne le Dr Philippe Biclet (conseiller de l'Ordre national des médecins), « l'inculture juridique des médecins est profonde, parce que leurs études ne leur ont donné aucune formation dans ce domaine ». Il est tentant d'ajouter que les lacunes de leur formation initiale ne se limitent pas seulement à ce problème. Ainsi, elles font assez peu pour les aider à passer d'une vision « paternaliste » de leur métier à celle d'un patient « acteur de ses soins », pour reprendre des formules à la mode. Cela ne manque certainement pas d'interférer dans leur façon d'interpréter une loi qui les concerne.
Mais, selon l'adage, on peut apprendre à tout âge. A l'initiative des Laboratoires Lundbeck, le projet Paroles d'experts a permis à plusieurs centaines de psychiatres et de généralistes d'échanger directement avec des juristes pour obtenir des conseils de prévention des problèmes et avoir des réponses aux questions pratiques que la loi (ou la lecture qu'ils en font) leur pose. Le succès de l'opération incite ses promoteurs à l'étendre aux neurologues et aux gériatres, en leur proposant 56 réunions débats dans toute la France, animées par un juriste, un neurologue et un gériatre. Le contenu de ces réunions est préparé par un comité comprenant des médecins spécialistes, des juristes, des membres de la Macsf-Le Sou Médical (partenaire de l'opération) et de la revue « Médecine et Droit » (dont le rédacteur en chef est le Dr Biclet).
Deux préoccupations légitimes.
Ce comité a identifié trois notions particulièrement importantes pour les médecins ciblés par la formation. Première notion : l'information du patient. L'obligation de l'informer et de rechercher son consentement a été largement commentée depuis la parution de la loi. Non seulement parce qu'elle fait peser « une épée de Damoclès » sur le médecin, qui se demande toujours si un juge pourra estimer qu'il s'y est bien conformé, mais aussi parce qu'elle donne au patient le droit d'accéder à son dossier, droit dont les psychiatres connaissent bien les difficultés. Cette notion aboutit à lier deux préoccupations légitimes pour les médecins : celle de la qualité de leur relation avec le patient et celle de leur sécurité. Pour la sécurité, il ne faut pas oublier que la loi apporte une innovation, majeure et favorable aux médecins. Les juristes la nomment dans leur jargon « le renversement de la charge de la preuve » : c'est au patient de prouver que le médecin ou l'établissement de soins a commis une faute et non plus à ceux-ci d'établir qu'ils n'ont pas commis de faute ou d'erreur.
Capacités mentale et juridique.
Deuxième notion : la vulnérabilité (celle du patient). La loi stipule qu'information et prise de décision sont liées « à la faculté de discernement » du patient. L'augmentation de la prévalence des démences, largement due au vieillissement de la population, incite à prendre conscience d'un distinguo fondamental : la capacité mentale à comprendre et à décider les soins, la capacité juridique à donner un consentement valable. Le Dr Jean-Marie Vetel (président du Syndicat de gérontologie clinique) dispose d'une foule d'exemples pour montrer que l'une peut aller sans l'autre.
La loi prévoit que le médecin peut passer outre la décision du tuteur d'un majeur protégé ou choisir pour un patient inapte intellectuellement (bien que juridiquement « apte », comme la plupart des patients déments, au moins au début de leur maladie). Mais, souligne le comité de Paroles d'experts, cela impose un très bon niveau de certitude sur les choix thérapeutiques et la délivrance d'une information orale et écrite sur les raisons de la décision. On se permettra d'ajouter que, pour certains juristes, cela pose aussi le problème du choix de l'expert chargé d'éclairer le juge si l'affaire va jusqu'à lui.
La personne de confiance.
Troisième notion : la personne de confiance. La loi fait obligation aux établissements hospitaliers de proposer au patient, dès son entrée dans l'établissement, de nommer une personne de confiance chargée d'éclairer le médecin sur les choix qu'aurait fait le patient, dans le cas où son état mental ne lui permette plus de le faire. C'est cette personne que le médecin doit consulter en priorité (mais cette personne ne décide rien). Le patient peut désigner qui il veut, membre de sa famille ou non. Pour le Dr Vetel, il s'agit là d'une mesure de prévention capitale, dont, selon lui, les médecins de ville feraient bien de s'inspirer pour leurs patients en début de chronicité. Elle permet en effet de concilier au mieux le respect dû au malade et l'obligation d'informer du médecin. Elle permet aussi de court-circuiter les imbroglio familiaux dans lesquels personne ne se parle mais où tout le monde veut décider.
Il va de soi que toutes ces notions réclament un certain effort d'assimilation, qui ne va pas de soi. Aussi ne peut-on qu'encourager les praticiens à participer aux réunions de Paroles d'experts !
Conférence de presse organisée par les Laboratoires Lundbeck : « Paroles d'experts ; patients et médecins ; droits et devoirs ».
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