Infection ou reflux
Malgré les progrès dans la prise en charge de ces patients, le risque de détérioration du haut appareil urinaire perdure et peut survenir à tout moment de la vie du blessé, que ce soit par infections récidivantes ou par reflux vésico-urétéral et hydronéphrose. Le choix mictionnel dépendra du type de lésion (lésion supra-sacrée ou non) et ses principaux objectifs seront de préserver l'appareil urinaire et génital, de corréler le mode mictionnel retenu aux possibilités fonctionnelles et au sexe du patient, de permettre un choix de continence (patients jeunes et femmes) et enfin de prendre en considération la capacité du patient à se prendre en charge.
Dans ce contexte, la situation la plus à risque en termeS de conséquences sur le haut appareil est celle des vessies supra sacrées ; l'hyperactivité vésicale source d'incontinence est souvent associée à une dyssynergie vésico-sphinctérienne à l'origine de résidus, et surtout de hautes pressions intra-vésicales sources de reflux, de dilatation et d'infections.
Deux stratégies
1) La prise en charge d'une neuro-vessie hyperactive peut s'envisager selon deux stratégies différentes :
– soit générer de basses pressions intra-vésicales de remplissage pour améliorer la continence et protéger le haut appareil urinaire. Cela est possible grâce au sondage intermittent qui permet de vider la vessie toutes les trois à quatre heures et au traitement de l'hyperactivité vésicale. Cela est envisageable chez tous les patients paraplégiques, et plus particulièrement chez la femme chez laquelle l'objectif de continence est une priorité. Afin de diminuer l'hyperactivité vésicale, l'adjonction de médicaments anticholinergiques est donc nécessaire malgré son cortège d'effets secondaires à surveiller particulièrement chez le blessé médullaire (bouche sèche, constipation opiniâtre). Par ailleurs, les complications des sondages intermittents sont nombreuses et peuvent être assez fréquentes : infections urinaires, urétrorragies, urétrites, sténoses urétrales, complications génitales, épididymites et orchiépididymites, prostatites, hypofertilité ou lithiases urinaires (6, 7, 8) ;
– s oit utiliser des contractions réflexes pour permettre une vidange vésicale, cette technique reposant sur la libération de réflexes purement spinaux. Le stimulus le plus souvent utilisé est la percussion sus-pubienne. Cette technique a pour corollaire une incontinence, elle est actuellement utilisée chez l'homme tétraplégique haut, incapable de s'auto-sonder. Lorsque le choix de mictions réflexes est retenu, l'existence d'une dyssynergie peut amener à l'abaissement des résistances urétrales (sphinctérotomie chirurgicale ou prothétique) à condition d'avoir bien vérifié la tenue d'un étui pénien. A moyen et long terme, cette technique peut induire une hyperactivité vésicale ou une fatigabilité pouvant conduire au claquage vésical (9).
En cas d'échec
2)En cas d'échec (menaces sur le haut appareil urinaire, incontinence non contrôlée) vis-à-vis de ces deux options, les alternatives sont actuellement représentées par les thérapeutiques endovésicales et la chirurgie :
– la toxine botulique intra-détrusorienne* (10, 11). Cette technique a pour but de paralyser le muscle lisse de la vessie. Elle semble avoir un intérêt en terme de gain de capacité vésicale fonctionnelle et de diminution du nombre d'épisodes quotidiens d'incontinence (50 % d'amélioration). La durée d'action est de 6 à 9 mois et impose donc des ré-injections régulières par voie endoscopique. Le recul est actuellement insuffisant pour évaluer d'éventuels échappements secondaires. De plus, cette technique impose la poursuite de sondages intermittents répétés ;
– l es approches chirurgicales. L'agrandissement vésical (ou entérocystoplastie) consiste à fendre le dôme vésical et à y « patcher » un segment d'intestin grêle détubulisé (12). C'est une technique chirurgicale qui impose la poursuite de sondages intermittents répétés. La littérature fait apparaître de bons résultats, mais, dans plus de la moitié des cas, il persiste des infections urinaires récurrentes, et, dans plus de 20 % des cas, on note la formation de calculs urinaires. On citera également la cystotomie continente et l'urétérostomie cutanée transiléale (intervention de Bricker) (13).
Neurostimulation de Brindley
3) La neurostimulation de Brindley.
Par opposition à nombre de ces approches, la technique de Brindley est l'une des techniques de « restauration » de la fonction vésicale qui permet d'obtenir une vidange vésicale « volontaire » après stimulation et en assurant une continence efficace. Des électrodes de stimulation électrique sont placées au niveau des racines sacrées antérieures, afin d'obtenir les mictions désirées. Les rhizotomies sacrées postérieures suppriment l'hyper-réflexivité détrusorienne et sphinctérienne, elles améliorent la continence et protègent ainsi le haut appareil urinaire (remplissage vésical à basses pressions).
Les patients porteurs d'une neuro-vessie « centrale » (hyperactive) avec incontinence ou risque sur le haut appareil urinaire après une lésion médullaire supra-sacrée complète (paraplégie ou tétraplégie) et cliniquement non évolutive depuis au moins six mois représentent la principale indication de mise en place de ce stimulateur vésical. L'implantation du neurostimulateur de Brindley permettrait d'obtenir des mictions complètes à douze mois dans 70 à 90 % des cas (14). Selon plusieurs études, plus de 80 % des patients deviennent continents, la capacité vésicale des patients est plus que doublée (passant de 200 à 500 mL) et la proportion de patients présentant une hyperéflexie autonome passe de 30 à 5 % (15). Concernant les infections urinaires, environ 95 % des patients sont améliorés et la proportion de patients présentant des infections urinaires régulières passe de 95 à 35 % (15, 16, 17, 18, 19).
Par ailleurs, la stimulation opérant sur plusieurs racines nerveuses sacrées antérieures, l'élimination des selles est souvent améliorée et une érection peut être restaurée (érection électrostimulée) chez certains hommes pour qui la para-/tétraplégie a supprimé ou fortement altéré l'érection (17).
Outre l'amélioration de l'état de santé du patient, la qualité de vie peut être largement améliorée (gain d'autonomie, disparition des sondages, disparition ou diminution des fuites...).
La technique de Brindley représente donc une alternative très intéressante puisqu'elle propose la restauration, dans le même temps, de la continence et d'une miction contrôlée efficaces. Son impact sur la qualité de vie et la diminution à long terme du risque de dégradation du haut appareil urinaire font de cette technique une technique de choix dans l'arbre décisionnel de la prise en charge des neuro-vessies centrales des blessés médullaires complets.
* La toxine botulique n'a pas d'AMM dans cette indication.
Références
(1) http://www.irme.org (lettre de l'IRME n°23).
(2) J.J. Labat, P. Costa, B. Perrouin-Verbe, J.F. Mathe. Pronostic des dysfonctionnements vésico-sphinctériens d'origine neurologique. In : J. Pelissier, P. Costa, S. Lopez, P. Mares, eds. Rééducation vésico-sphinctérienne et ano-rectale. Paris : Masson 1992 ; 193-208.
(3) H.L. Frankel, J.R. Coll, S.W. Charlifue, G.G. Whiteneck, B.P. Gardner, M.A. Jamous, K.R. Krishnan, I. Nuseibeh, G. Savic, P. Sett. Long term survival in spinal cord injury : a fifty year investigation. Spinal Cord 1998 ; 36 : 266-74.
(4) P.E.V. Van Kerrebroeck, E.L. Koldewijn, S. Scherpenhuizen, F.M.J. Debruyne. The morbidity due to lower urinary tract function in spinal cord injury patients. Paraplegia, 1993 ; 31 : 320-29.
(5) M.J. DeVivo, K.J. Black, S.L. Stover. Causes of Death During the first 12 years After Spinal Cord Injury. Arch Phys Med Rehabil,1993 ; 74 : 248-54.
(6) R.J. Webb, A.L. Lawson, D.E. Neal. Clean intermittent self-cathétérisation in 172 adults. Br J Urol, 1990 Jan ; 65(1) : 20-23.
(7) A. Bakke, A. Digranes, P.A. Hoisaeter. Physical predictors of infection in patients treated with clean intermittent catheterization : a prospective 7-year study. Br J Urol, 1997 ; 79(1) : 85-90.
(8) B. Perrouin-Verbe, J.J. Labat, I. Richard, I. Mauduyt de la Greve, J.M. Buzelin, J.F. Mathe. Clean intermittent catheterisation from the acute period in spinal cord injury patients. Long term evaluation of urethral and genital tolerance. Paraplegia, 1995 ; 33 (11) : 619-24.
(9) W. Killorin, M. Gray, J.K. Bennett, B.G. Green. The value of urodynamics and bladder management in predicting upper urinary tract complications in male spinal cord injury patients. Paraplegia. 1992, 30 (6) : 437-41.
(10) A. Reitz, M. Stohrer, G. Kramer, G. Del Popolo, E. Chartier-Kastler, J. Pannek, H. Burgdorfer, K. Gocking, H. Madersbacher, S. Schumacher, R. Richter, J. von Tobel, B. Schurch. European experience of 200 cases treated with botulinum-A toxin injections into the detrusor muscle for urinary incontinence due to neurogenic detrusor overactivity. Eur Urol, 2004, 45 (4) : 510-5.
(11) B. Schurch, M. de Sèze, P. Denys, E. Chartier-Kastler, S. Ismael, F. Haab, K. Everaert, V. Keppenne, P. Plante, B. Perrouin-Verbe, C. Kumar, S. Fraczek, M. Brin. Botulinum toxin type a is a safe and effective treatment for neurogenic urinary incontinence : results from a randomised, placebo-controlled study. Soumis au Jama Avril 2004.
(12) E.J. Chartier-Kastler, P. Mongiat-Artus, M.O. Bitker, M.B. Chancellor, F. Richard, P. Denys. Long-term results of augmentation cystoplasty in spinal cord injury patients. Spinal Cord, 2000 ; 38 (8) : 490-4.
(13) F. Jamil. Towars a catheter free status in neurogenic bladder dysfunction : a review of bladder management options in spinal cord injury (SCI). Spinal Cord, 2001 ; 39 : 355-61.
(14) J.R. Vignes, M. De Seze, M. Sesay, M. Barat, J. Guerin. Anterior sacral root stimulation with dorsal rhizotomy (Brindley technique). Neurochirurgie, 2003 ; 49 : 383-94.
(15) P.E.V. Van Kerrebroeck, H.E. Van der Aa, JLHR Bosch, E.L. Koldewijn, J.H.C. Vorsteveld, FMJ Debruyne. Sacral rhizotomies and electrical bladder stimulation in spinal cord injury. Eur Urol, 1997 ; 31 : 263-71.
(16) M. Barat, G. Egon, P. Daverat, P. Colombel, J. Guérin, M. Ritz, E. Marit, M. Herlant. Electrostimulation des racines sacrées antérieures dans le traitement des neuro-vessies centrales. Résultat des 40 premiers cas français. In : J. Pelissier, P. Costa, S. Lopez, P. Mares P, eds. Rééducation vésico-sphinctérienne et ano-rectale. Paris : Masson 1992 ; 208-15.
(17) G. Egon, M. Barat, P. Colombel, C. Visentin, J.L. Isambert, J. Guérin. Implantation of anterior sacral root stimulators combined with posterior sacral rhizotomy in spinal injury patients. World J Urol, 1998 ; 16 : 342-49.
(18) J.R. Vignes, D. Liguoro, M. Sesay, M. Barat, J. Guerin. Dorsal rhizotomy with anterior sacral root stimulation for neurogenic bladder. Stereotact Funct Neurosurg. 2001 ; 76 (3-4) : 243-45.
(19) H. Creasey, J.H. Grill, M. Korsten, H. Sang, R. Betz, R. Anderson, J. Walter. An implantable neuroprosthesis for restoring bladder and bowel control to patients with spinal cord injuries : a multicenter trial. Arch Phys Med Rehab 2001 ; 82 : 1512-9.
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