LA REFORME a été adoptée en catimini le 28 avril 2006, par le conseil de la documentation de l'université de Paris-V. Jusqu'à ce jour, elle n'a fait l'objet d'aucune publicité à l'extérieur. Il est vrai que le sujet est délicat : il y va du statut des thèses de médecine. Pour la première fois, une université, et non des moindres (facultés de médecine de Cochin - Port-Royal et Necker - Enfants-Malades) revient sur un usage séculaire : traiter et communiquer les thèses de médecine comme toutes les thèses de doctorat.
Désormais qualifiées de thèses d'exercice en médecine, elles auront statut de mémoires de maîtrise ou de master. Pratiquement, cela signifie qu'elles ne seront plus conservées par le SCD (service commun de documentation) de Paris-V, un exemplaire continuant toutefois d'être remis à la Bium (Bibliothèque interuniversitaire de médecine-odontologie). L'ensemble de ces thèses d'exercice va être retiré des collections des bibliothèques de l'université.
Plus grave, elles cessent d'être éligibles au circuit de dépôt des thèses en ligne qui doit être prochainement mis en place au niveau national et elles seront signalées comme non disponibles au prêt entre bibliothèques, dans les catalogues : la mise à disposition n'est plus possible que par la seule bibliothèque de la faculté de soutenance.
Les thèses d'exercice de la médecine plus « cataloguées ».
Certes, quelques aménagements dérogatoires au nouveau dispositif sont prévus : les jurys et les responsables pédagogiques garderont la possibilité de proposer des modes de communication étendus pour certaines thèses, eu égard à leur qualité scientifique. Mais pour la quasi-totalité des thèses de médecine, la réforme est entrée dans les faits : elles ont cessé d'être « cataloguées », comme on dit dans les bibliothèques. Au grand dam des bibliothèques universitaires de province : «Nos collègues ne décolèrent pas de ne plus pouvoir accéder aux thèses soutenues auprès de nos facultés, confie au « Quotidien » une conservatrice de la Bium, qui s'exprime sous le sceau de l'anonymat, «de peur de prendre une balle perdue», selon sa formule aigre-douce. «Le ton a monté ces derniers temps, explique-t-elle, entre partisans et adversaires de la réforme, au sein même de nos instances, où le président de l'université et le doyen de la faculté de médecine, tous deux médecins au demeurant, sont d'avis opposés. Pour tenter de contrer la décision du conseil de la documentation, le doyen a même pris la décision de faire mettre en ligne systématiquement les thèses de sa faculté.»
Directeur du service commun de la documentation (SCD) de Paris-V, Jérôme Kalfon tente de calmer le jeu. «Le nouveau régime n'est tout de même pas une révolution, car, après tout, nous ne faisons que mettre fin à une homonymie entre des travaux universitaires de nature distincte: à la différence des thèses de doctorat, qui sanctionnent plusieurs années de recherche, les thèses d'exercice de la médecine sont généralement soutenues à l'issue de quelques mois seulement de recherche documentaire. Etcontrairement aux thèses de doctorat, elles ne font pas l'objet d'une validation qui intègre des corrections à la demande du jury.C'est la raison pour laquelle elles peuvent receler des erreurs, notamment de méthode, qui ne sont pas acceptées pour des thèses de doctorat, lesquelles font l'objet d'une validation paragraphe par paragraphe. C'est logique, puisqu'elles engagent l'autorité de l'université.
Un autre argument est invoqué par les promoteurs de la réforme : la lutte contre le plagiat. L'importance de la circulation des thèses expose à leurs mésusages, si l'on ose s'exprimer ainsi : «Comment voulez-vous exercer valablement la vérification qu'il n'y a pas plagiat, quand sont accessibles à tous les thésards toutes les thèses soutenues dans toutes les universités?», demande Jérôme Kalfon. « En mettant un terme à ces pratiques déviantes, la réforme devrait contribuer à une plus grande rigueur et à une amélioration du niveau général des travaux.» Dès lors, loin de déprécier les thèses, le nouveau régime aurait pour effet d'en relever la qualité en rendant plus difficile la production de thèses de complaisance. Cqfd.
Des arguments juridiques, enfin, sont appelés à la rescousse : «Lorsqu'une thèse est transmise partout et qu'elle est consultable urbi et orbi, la bibliothèque qui en assure la diffusion est en droit assimilable à un éditeur, remarque le directeur du SCD. Comme telle, elle doit veiller au respect des droits d'auteur, quel que soit le support. Cela nécessite des accords passés avec les ayants droit. De ce point de vue, la situation d'avant la réforme était lacunaire.»
Cette question des droits d'auteur sur les thèses se posera à l'avenir avec d'autant plus d'acuité que la révolution numérique, dans les facultés de médecine comme ailleurs, est à l'oeuvre. Un arrêté du 7 août 2006, signé du ministre de l'Education, dispose que les thèses peuvent maintenant être déposées soit sur support papier, soit, ce qui n'était pas autorisé auparavant, sous forme numérique. L'arrêté prévoit que la mise en ligne de la thèse sur la toile est alors subordonnée à l'autorisation du nouveau docteur, sous réserve de l'absence de clauses de confidentialité (qui peuvent découler en particulier du secret médical). Est détaillé au passage le circuit de dépôt de la thèse, avec ses multiples acteurs (doctorant, service de scolarité de la faculté, bibliothèque et service informatique).
Selon M. Kalfon, ce décret prélude à l'obligation prochaine du dépôt électronique pour tous les thésards. Mais le décret ne dit pas si les thèses d'exercice de la médecine seront éligibles à ce dispositif au même titre que les thèses de doctorat. Pour l'heure, seule en France, Paris-V les différencie les unes des autres. L'histoire dira si l'université René-Descartes aura fait oeuvre de pionnière. Ou s'il lui faudra revoir sa copie sous la pression des opposants.
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