« LA RÉGION parisienne dispose de tous les ingrédients pour évoluer dans les années à venir vers la situation qu'a connue New York au début des années 1990, qui a été depuis maîtrisée au prix d'une mobilisation exceptionnelle. » La conclusion de l'éditorial de Jean-Claude Desenclos, responsable du département des maladies infectieuses à l'Institut de veille sanitaire, résume la situation épidémiologique décrite dans le double numéro thématique du « BEH » de ce 3 mai (n° 17-18/2005).
En 1991, New York avait connu une poussée de tuberculose à bacilles multirésistants qui a fait, selon l'OMS, 500 morts, en particulier parmi la population précaire et migrante. La réactivation des programmes de dépistage et de suivi, l'application à grande échelle de la délivrance quotidienne et supervisée du traitement (stratégie DOT), associée même à des mesures coercitives vis-à-vis des patients récalcitrants, ont permis d'enrayer l'épidémie.
Huit articles du « BEH » font le point sur la situation en France, sur l'organisation du système de surveillance et de prise en charge de l'affection.
En France, depuis 1964, la surveillance repose sur la déclaration obligatoire (DO) de la maladie tuberculeuse, quel que soit l'âge du patient. Les infections tuberculeuses de l'enfant de moins de 15 ans (intradermo-réaction positives en l'absence de signes cliniques ou paracliniques) sont à déclaration obligatoire depuis janvier 2003. Jusqu'en 1997, l'incidence de la maladie n'a cessé de décroître, avec des taux divisés par six en trente ans. Les taux se sont ensuite stabilisés autour de 10 nouveaux cas pour 100 000 habitants par an.
Près de 6 000 cas en 2003.
En 2003 - les données les plus récentes -, 6 098 cas ont été recensés en France métropolitaine (5 987) et dans les départements d'outre-mer (111 cas). Ces chiffres situent la France parmi les pays à faible incidence (groupe 3 de la classification de l'OMS). Toutefois, de fortes disparités existent et, en Ile-de-France, en particulier, l'incidence est 3,5 fois plus élevée que la moyenne des autres régions. Les niveaux d'incidence parmi les personnes nées à l'étranger, notamment celles originaires d'un pays d'Afrique subsaharienne, n'ont jamais été aussi élevés, 3 fois plus que la moyenne nationale en Ile-de-France. Paris est, de loin, le département le plus touché, avec un taux 4,5 fois supérieur à l'incidence nationale. « La tuberculose fait donc de la résistance à Paris. Son déclin y est lent et le poids relatif des cas parisiens devient plus important par rapport à l'ensemble des cas nationaux », commentent Fadi Antoun et Henri-Pierre Mallet (Dases de Paris). Le nombre de cas annuels représente 20 % des cas nationaux, pour une population d'environ un trentième de la population nationale.
La situation y est d'ailleurs emblématique de ce qui se passe dans la plupart des capitales des pays développés. Des nombreux dispensaires mis en place après la guerre, seuls subsistaient à Paris cinq centres médico-sociaux.
Pour mieux coordonner l'action de ces centres, le service de lutte antituberculeuse (Slat) de la capitale s'est doté en juin 2002 d'une cellule de coordination, créée au sein de la Direction de l'action sociale de l'enfance et de la santé (Dases). Elle s'appuie sur un réseau de médecins référents tuberculose dans chaque établissement parisien de l'Assistance publique. Une équipe mobile de lutte contre la tuberculose (Emlt) a été mise en place à la fin de l'année 2000.
Enquêtes et dépistage.
En 2003, la cellule a enregistré 1 130 cas de tuberculose et 64 cas d'infections tuberculeuses latentes chez les enfants de moins de 15 ans. Les arrondissements de l'Est parisiens sont les plus touchés (10e, 18e, 19e et 20e). Ces cas ont donné lieu à près de 400 enquêtes à la recherche de sujets contacts, enquêtes qui constituent « l'arme maîtresse de la stratégie de lutte contre la tuberculose dans les pays développés », affirment Fadi Antoun et Henri-Pierre Mallet. Même si « près de la moitié n'aboutit pas encore totalement ». Le suivi à trois mois des 3 500 sujets contacts examinés dans les centres médicaux-sociaux montre qu'un nombre croissant de tuberculoses secondaires (12 cas en 2003 contre 5 en 2002) et d'infections latentes (27 cas contre 4) sont diagnostiquées.
La grande majorité des cas déclarés l'ont été par les hôpitaux de l'AP-HP : Bichat, Saint-Louis et la Pitié-Salpêtrière en ont déclaré plus de 100 chacun ; Tenon, Saint-Antoine et Lariboisière entre 50 et 100 cas chacun.
Néanmoins, le dépistage radiologique ciblé pour les sujets à risque (migrants, sans-domicile-fixe, prison) demeure un élément de la stratégie de lutte contre la maladie. Il est réalisé par une équipe mobile équipée de 2 cabines démontables, une à deux fois par an, dans les foyers de travailleurs migrants et les centres d'hébergement ou d'accueil. Il est plus fréquent (hebdomadaire) dans les centres d'hébergement d'urgence. A la prison de la Santé, le dépistage est assuré quotidiennement pour les nouveaux détenus.
Dans les foyers de migrants, cette stratégie est surtout rentable en cas épidémie, comme en 2002 : 72 cas dépistés par radiographie itinérante sur un total de 129 cas. En dehors des épidémies, de 10 à 12 cas sont dépistés en moyenne chaque année. « Mais la tuberculose dans les foyers est loin de représenter l'ensemble du problème de la tuberculose auprès des migrants. La stratégie de dépistage doit essentiellement reposer sur les enquêtes autour d'un cas, une meilleure sensibilisation des professionnels de santé et l'éducation de la population concernée », notent les auteurs.
Les centres assurent le traitement avec un suivi spécialisé clinique et biologique et la délivrance gratuite des médicaments. Le service s'adresse surtout aux plus démunis. En 2003, 104 patients ont commencé un traitement pour une tuberculose maladie, 72 % l'ont terminé, 8 % ont été perdu de vue, les autres ont été transférés. Plus de 85 % de patients sont des hommes nés à l'étranger, ne disposant souvent d'aucune couverture sociale et habitant en collectivité. Les enfants sont suivis et traités dans une consultation spécialisée ouverte en mai 2000.
Une équipe mobile pour les SDF.
La situation des sans-domicile-fixe (SDF) est particulière. On estime leur nombre à environ 20 000 personnes à Paris. L'échec relatif du dépistage radiologique systématique réalisé, entre juin 1999 et mai 2000, dans les centres d'hébergement du Samu social (50 % d'échec du suivi des personnes diagnostiquées) a conduit à mettre en place une équipe mobile (Emlt) pour prendre en charge le suivi thérapeutique des SDF dans le cadre d'un travail en réseau. L'équipe, composée d'un généraliste, de 2 infirmières, d'une assistante sociale, d'un chauffeur et d'une secrétaire, dispose d'un certain nombre de lits de soins infirmiers et de places en centre d'hébergement d'urgence appartenant au Samu social. Elle s'appuie sur un réseau constitué des services hospitaliers, des sanatoriums et de différentes associations œuvrant pour les SDF. L'équipe voit le patient plusieurs fois par semaine (entretien, soutien psychologique) et propose des mesures incitatives : hébergement, vêtement, nourriture, recouvrement des droits, tickets de métro. Sa mobilité garantit son efficacité : pour accompagner les patients aux diverses consultations, rechercher les fugueurs. Le contrôle de la tuberculose passe par le suivi complet des patients durant toute la durée du traitement (stratégie DOT). Après quatre ans de fonctionnement, les résultats obtenus par l'Emlt démontrent l'intérêt de la stratégie DOT par rapport à une approche classique : seulement 2 patients ont été perdus de vue et la moitié d'entre eux ont pu être traités en neuf mois.
La mise en place d'un dossier patient informatisé, TB-info, dont il existe une version adaptée à la prise en charge des SDF, permet d'optimiser le suivi de tous les patients mis sous traitement antituberculeux dans les différents centres du réseau. Grâce à son utilisation, le pourcentage de perdus de vue, qui variait entre 6 et 30 %, selon les populations étudiées, a été réduit de moitié même si le taux d'échec thérapeutique reste important (19,2 %). C'est un outil épidémiologique précieux, notamment pour documenter les issues de traitement. De plus, contrairement aux données de la DO, dont la publication est décalée de deux ans, celles de TB-info sont disponibles en temps réel et permettent d'évaluer aussi bien les critères diagnostiques que le traitement, et le suivi post-thérapeutique. De même, peuvent être appréciés le taux de guérison, la qualité de la prise en charge et le nombre de perdu de vue.
A Paris, la dernière tendance est à une certaine accalmie, même si les mesures doivent être encore renforcées. La restructuration entreprise montre l'importance « des réseaux de surveillance de la résistance aux antituberculeux et du suivi des patients sous traitement. Il est essentiel qu'ils bénéficient d'un développement national pour que la France, notamment dans les grandes villes, puisse enfin contrôler de manière efficace la progression de la tuberculose ».
D'autres motifs d'inquiétude
En dehors de la spécificité du cas parisien, les données nationales sur la tuberculose soulèvent plusieurs autres motifs d'inquiétude. Si l'incidence est plus élevée parmi les migrants, les SDF ou la population des prisons, la stabilisation récente de l'incidence dans la population des plus de 15 ans de nationalité française, associée à l'augmentation des nouveaux cas chez les moins de 15 ans, demeure préoccupante, « même s'il est encore trop tôt pour tirer des enseignements ». A noter que, en 2003, 95 cas de tuberculose ont été notifiés chez des personnes dont la profession était à caractère sanitaire ou social (infirmière, médecin, aide-soignante, assistante maternelle...). Plus de 65 % des patients étaient de nationalité française.
De plus, la fréquence de la multirésistance du bacille tuberculeux a augmenté au cours de ces dernières années. En 2002, pour la première fois depuis dix ans, le taux était supérieur à 1 % : 72 cas, dont 80 % chez des personnes d'origine étrangère. La tendance se confirme en 2003, d'après les données déjà colligés par le Centre national de référence de la résistance des mycobactéries aux antituberculeux. « Cependant, les données actuelles ne permettent pas de considérer cette augmentation comme un indicateur de mauvaise prise en charge thérapeutique des cas de tuberculose en France », notent Didier Che et Dounita Bitar, de l'InVS.
Des mesures ont déjà été prises pour renforcer la lutte contre la tuberculose. A la suite des recommandations de dépistage autour des cas et de prophylaxie des contacts infectés du Conseil supérieur d'hygiène publique de France (Cshpf) et des recommandations pour la prise en charge de la Société de pneumologie de langue française (Splf), la Direction générale de la Santé a constitué des groupes de réflexion pour proposer des mesures. Le réseau de surveillance doté du système TB-info est issu de cette réflexion.
Vers une vaccination ciblée ?
La politique vaccinale concernant le BCG est limitée, chez l'enfant, à la primo-vaccination, qui reste obligatoire à l'entrée en collectivité, et donc au plus tard à 6 ans (obligation de scolarisation). Le BCG reste recommandé dès le premier mois de vie pour les enfants vivant dans un milieu à risque.
Daniel Lévy-Bruhl (InVS, Saint-Maurice) analyse dans le « BEH » l'impact de deux scénarios possibles d'allègement de cette stratégie : abandon de toute vaccination ou vaccination ciblée des enfants les plus à risque.
Aujourd'hui, 400 cas de tuberculose surviennent chaque année chez les enfants de moins de 15 ans. Une interruption totale provoquerait environ 800 cas additionnels (+ 200 %). Une vaccination ciblée (15 % de la population) entraînerait un excès de 200 à 250 cas. Cependant, 85 % des effets secondaires dus au BCG (BCGites) pourraient être évités. Les résultats sont plutôt en faveur de la poursuite de la politique actuelle. Mais la décision de l'unique producteur de vaccin BCG par multipuncture, utilisé dans 90 % des primo-vaccinations, pourrait conduire à privilégier la vaccination ciblée. La faisabilité et l'acceptabilité sociale devront être étudiées.
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