C'EST AU MUSÉE des Arts et Civilisations d'Afrique, d'Asie, d'Océanie et des Amériques du quai Branly que ceux des 1 653 participants à la 4e Conférence francophone VIH/sida qui le souhaitaient ont achevé leur séjour parisien. La conférence, organisée sous l'égide de l'Anrs (Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales) et sous le patronage des ministères des Affaires étrangères et de la Santé, s'était ouverte par un message du président de la République : «L'enjeu, aujourd'hui, est celui d'une mondialisation de la solidarité. Une mondialisation juste et équitable. Une mondialisation de la responsabilité qui confère de nouveaux devoirs à l'ensemble des pays développés vis-à-vis des pays du Sud. Et notamment dans le domaine de la santé, ce bien public mondial qui n'appartient à personne et doit profiter à tous.» Jacques Chirac a rappelé la nécessité de mettre en place des financements innovants, comme la contribution de solidarité sur les billets d'avion effective depuis le 1er juillet 2006 et dont l'essentiel du produit est affecté à Unitaid, la facilité internationale d'achat de médicaments. Les résultats sont déjà prometteurs, puisque 50 millions de dollars ont été engagés pour l'achat d'antirétroviraux (ARV) pédiatriques, qui ont bénéficié à 46 000 enfants, et 55 millions pour des antirétroviraux de deuxième ligne pour traiter 65 000 nouveaux patients dès cette année dans 27 pays, dont 23 en Afrique.
L'accès universel.
«La diffusion des génériques doit être élargie, a également souligné le chef de l'Etat, notamment dans les pays en développement, avec le recours aux facilités de Doha, que la France a toujours encouragées.» L'objectif est bien celui d'un accès universel au traitement dès 2010, ce qui passe par l'amélioration impérative de la qualité des systèmes et la mise en place de mécanismes de couverture du risque maladie dans les pays en développement.
Le rappel en faveur du recours aux facilités de Doha a été salué par bon nombre de participants au moment où, pour la première fois depuis la signature des accords, un pays, la Thaïlande, a décidé de mettre en oeuvre une procédure de licence obligatoire, notamment pour le Kaletra des Laboratoires Abott. La controverse qui oppose à ce sujet le laboratoire et le gouvernement thaïlandais a suscité de vives réactions dans les associations du Sud et du Nord présentes lors de la conférence.
A la fin de 2006, 1,6 million de personnes bénéficiaient des antirétroviraux contre 300 000 à 400 000, dont 180 000 pour le seul Brésil. Si ce chiffre, qui devrait atteindre les 2 millions, selon le Pr Michel Kazatchkine (les dernières données de l'OMS sont attendues à la mi-avril), témoigne des progrès accomplis, le prix des médicaments demeure un problème. Toujours à la fin de 2006, 4,3 millions de nouvelles infections ont été enregistrées, dont 2,8 millions en Afrique subsaharienne : «On est en train d'hypothéquer notre futur, assure Catherine Hankins, de l'Onusida . Pour chaque personne mise sous ARV, six ou sept autres se sont infectées qui, d'ici à une dizaine d'années, auront besoin d'ARV.» Dans l'immédiat, on estime que 10 % d'une cohorte de patients déjà sous traitement devront passer à des ARV de deuxième ligne, ce qui fera exploser les budgets des gouvernements. Le Dr Aliou Sylla, coordinateur du Comité sectoriel de lutte contre le sida au Mali, et le Dr Sinata Koulla Shiro, vice-présidente du Comité national de lutte contre le sida au Cameroun, assurent que la gratuité est impérative. «Le coût est un frein au traitement, c'est clair. Au Cameroun, un traitement de première ligne coûte 3000francs CFA (environ 6euros). Or beaucoup ne peuvent pas payer.» Le Cameroun est en train de mettre en place la gratuité de la prise en charge, tandis que, au Mali, elle a déjà permis d'étendre le programme à l'ensemble du pays.
La conférence a aussi mis l'accent sur les programmes de Ptme (prévention de la transmission mère- enfant) et les nouveaux outils de la prévention, en particulier sur la circoncision. Quelques réticences sont apparues, pour souligner notamment la nécessité d'adapter les messages : «Il faut faire attention au public et bien adapter le message pour que certains ne pensent pas que, parce qu'ils sont circoncis, ils sont protégés», note le Dr Sinata Koulla Shiro.
La formation des médecins mais aussi des non-médecins a constitué un autre point fort des discussions. Le rôle du réseau Esther, qui vient de signer un accord avec l'Anrs, a été novateur. «Vivement un réseau Sud-Sud», a lancé le Dr Aliou Sylla. Des coopérations régionales existent déjà, grâce notamment au diplôme interuniversitaire créé en 2003 à Ouagadougou (Mali). Le Cameroun envisage la mise en place d'une formation diplômante pour la sous-région Afrique centrale en 2007-2008.
Un congrès enlevé et dynamique qui a fait une large place à la recherche, mais aussi aux sciences sociales. L'intérêt des données socio-comportementales dans la recherche clinique est «essentiel, mais difficile à faire passer», assure le Pr Jean-François Delfraissy. Didier Fassin, s'appuyant sur l'exemple de l'Afrique du Sud, a souligné la nécessité d'appréhender les réalités des pays où les programmes de prévention et de traitement sont développés : «Il nous faudrait considérer les problèmes et leurs solutions autrement que comme des questions essentiellement techniques qui se régleraient par la mise à disposition de préservatifs et d'ARV.» Il faudrait aussi, selon lui, «penser aux interventions non plus seulement du point de vue de leur légitimité ou de leur pertinence telles que nous les jugeons a priori , très souvent d'ailleurs à juste titre, mais au regard de la manière dont elles sont perçues et reçues, détournées ou appropriées».
La langue ne doit pas être un handicap.
Un vaste programme qui témoigne du chemin parcouru. «Il n'y a pas si longtemps, l'observance était considérée comme une contrainte insurmontable par les malades du Sud, notamment ceux d'Afrique. Dans la pratique, cette assertion s'est révélée être une contre-vérité, car la conscience humaine de survie est bel et bien universelle», a souligné le ministre de la Santé du Cameroun, Urbain Olanguena Awono.
A l'image de l'ensemble des participants, il s'est félicité de l'organisation d'un tel sommet : «La langue est une richesse, elle ne doit pas être un handicap», a-t-il assuré. Ibra Ndoyle a évoqué avec humour les difficultés des francophones lors des grands congrès internationaux – «Beaucoup d'entre nous ont perdu leur carte d'identité en faisant la queue pour chercher les écouteurs»– et a encouragé les organisateurs à pérenniser l'initiative.
«Cette conférence était un pari, un défi. Grâce à vous, elle est un succès», a déclaré le Pr Christine Katlama. Ils étaient beaucoup plus nombreux que le millier espéré et pas seulement originaires de pays francophones, puisque le Japon, les Etats-Unis, la Russie, les Pays-Bas et le Brésil étaient représentés. «Il y aura 2009, il y aura 2011, et il y aura 2013», a assuré le Pr Jean-François Delfraissy. Un comité d'organisation va être constitué qui déterminera la meilleure date et le futur lieu du prochain rendez-vous. L'objectif est aussi de faire en sorte «que les leaders francophones africains soient appelés au même titre que leurs homologues anglophones dans les instances internationales», a-t-il conclu.
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