Les manifestations paradépressives sont constituées d'un ensemble de troubles souvent infrasymptomatiques, c'est-à-dire trop labiles ou pas assez significatifs pour constituer de véritables symptômes. Cette constellation se définit par les sentiments psychiques et corporels de lassitude, de découragement, d'inanité, d'ennui, etc. On pourrait aussi parler des moments d'abattement. Le croisement entre fatigue et ennui est au cur de cette constellation paradépressive.
La distinction entre « dépression » et « déprime », qui tend à se conceptualiser dans le public et aussi dans le champ médical, constitue une évolution lexicographique intéressante ; elle marque la différence entre la sphère proprement dépressive et les manifestations paradépressives. Cette « déprime » renvoie à une symptomatologie moins médicale et moins clinique qui doit orienter le patient vers un autre type de réponse, comme des entretiens psychothérapiques.
La notion d'acédie
Une exploration profonde de cette question paradépressive a été faite dans la notion d'acédie, autrefois huitième péché capital, qui a été considérée durant une quinzaine de siècles par l'Eglise d'un point de vue psychologique et, somme toute, assez peu théologique.
Comment définir l'acédie ? On peut évoquer la tentation du découragement, du laisser-être, la tourmente de démotivation, le démon de l'à-quoi-bon ? Historiquement, cette acédie concernait au départ les moines ermites alexandrins qui devaient sans cesse combattre leurs tentations à l'inaction au décours du travail contemplatif. L'acédie pouvait prendre toutes les formes, aboutissant à l'extrême au retrait et au délaissement de l'action. Elle est souvent le revers de la tourmente intérieure passionnelle qui nous fait perdre le rapport mesuré au monde, créant ensuite l'abattement et le dégoût. La question fut ensuite reprise par les moines réguliers qui organisaient leur relation au monde autour du travail. Sous le nom d'acédie ont été ainsi définies toutes les pathologies de la motivation : les tentations de désintérêt, de vagabondage de l'action, de dédain, d'ennui. La psychologie de l'acédie recouvre une philosophie de la volonté non pas sur le front de la décision positive de l'action mais plutôt sur celui des tentations souterraines du délaissement et du consentement à l'inaction. Le consentement à l'inaction s'exprime dans la paresse, terme peu usité, qui prend d'époque en époque des habits et des statuts différents.
Fatigue et ennui se comprennent ensemble. Leur dynamique est au centre de ce vécu paradépressif. L'ennui est une altération du « vécu de valoir », de la valeur des choses ; rien ne vaut. Pourquoi faire ceci ou cela puisque les choses ne valent rien. Mais le « pouvoir » serait là si les choses valaient. L'ennuyé est dans une carence de valeurs, souvent transitoire, qui est fluctuation de la valeur originaire des choses par insatisfaction affective au regard de ses exigences névrotiques ; c'est un appel à un événement pour l'événement, et non point pour construire sa vie. L'ennui n'est jamais mélancolique, au sens médical du terme mélancolique. L'ennui méconnaît toute urgence, tout drame ; son exigence de nouveauté n'a aucune gravité.
Labilité des symptômes
Le paradépressif n'est pas non plus le prédépressif. Le paradépressif n'évolue pas vers la dépression. Pour autant, les affinités avec l'anxiodépression (concept plus général) sont sans doute plus importantes et plus complexes. Le paradépressif peut éprouver des symptômes anxieux.
D'un point de vue clinique, des éléments définissent cette constellation paradépressive. La labilité des symptômes est essentielle ; il n'y a pas de continuité des plaintes dans leurs formes et leurs durées. La nature et l'intensité de la plainte sont également significatifs ; la plainte paradépressive est riche en contenu, élaborée de justifications multiples ; la plainte dépressive est sobre et ne déploie pas d'énergie à se plaider. Elle ne recherche aucun auditoire.
Ces symptômes sont liés le plus souvent à l'inactivité ; ils sont créés par l'inactivité et créent de l'inactivité. Ils peuvent accompagner une désorganisation du sommeil d'avec les rythmes de vie sociaux. La désorganisation des investissements d'activité s'exprime dans cette perte des repères socioaffectifs de la journée.
Cette fatigue psychogène peut disparaître en un instant, grâce à un petit événement de vie, une stimulation isolée, un déplacement ou un déménagement, contrairement à la dépression mélancolique qui a perdu cette possibilité de réaction événementielle ; il n'y a plus réceptivité avec les événements du monde. Plus rien ne peut faire événement et recommencement pour le mélancolique.
Enfin, la réponse thérapeutique est significative. La constellation paradépressive n'est pas affectée par les thérapeutiques antidépressives. Pour autant, la demande de traitement existe de la part des patients ; elle est volontiers insistante. Les antidépresseurs sont demandés comme des psychostimulants, des activateurs de vie, quasiment des producteurs d'excitation ou d'événements pour l'événement, alors que dans la dépression mélancolique, il n'y a pas véritablement de demande de psychotrope. Les patients les prennent parce qu'on le leur demande, sans y croire vraiment.
Le rôle anxiolytique des antidépresseurs
Pour autant, la prescription d'antidépresseur peut être utile ; les antidépresseurs sont souvent de vrais anxiolytiques et tiennent une grande part de leur efficacité comme tels. On ne devra pas négliger la dimension anxieuse, soit primaire, soit secondaire à l'inactivité, dans la constellation paradépressive, cela d'autant plus que l'anxiété est une pathologie de la préparation de l'action. Lorsqu'il n'y a pas résolution dans l'action, l'évacuation de l'anxiété ne se fait pas aisément.
L'intérêt de la consultation n'est pas tant la prescription d'un principe pharmacologiquement actif que l'événement de la rencontre avec le médecin ; l'encadrement et la reconnaissance du problème permet au patient d'entrevoir autrement la nature de ses troubles et surtout des attentes qu'il peut formuler pour obtenir les changements espérés.
Psychiatre (Courbevoie) et rédacteur en chef de la revue : « L'art de comprendre ».
Bibliographie : « De l'anxiodépression à l'acédie », Bernard Fortum, éditions Les empêcheurs de tourner en rond.
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