EVELYNE MOTHÉ, directrice de l’école de sages-femmes de l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, ouvre la porte de la salle de la préparation à l’accouchement. Une grande et belle salle, bien vite remplie par une trentaine de futures mères.
Mercredi, 17 h 30, les femmes enceintes sont au rendez-vous : elles prennent place confortablement dans des fauteuils et attendent, dans une ambiance studieuse, qu’Evelyne Mothé ouvre la séance. Trois jeunes hommes assistent leur compagne avec sérieux et force attentions déjà paternelles. Chaque semaine, le succès des séances de préparation à la naissance ne se dément pas. «Nous étions aussi nombreuses la semaine dernière, confirme Evelyne Mothé. Cela montre bien la nécessité de se préparer, s’exclame-t-elle, devant un public acquis. Ici, nous fonctionnons à partir de vos demandes: dites-moi ce qui vous tracasse ou ce sur quoi vous aimeriez travailler.»
Les suggestions ne se font pas attendre. La plupart des femmes se plaignent de leur respiration saccadée, de tensions au-dessus du ventre, de crampes aux jambes et du dos qui fait mal. Face aux maux physiques, les questions psychologiques sont relayées au second plan. Les futurs pères restent cois. Mais Evelyne Mothé ne les oublie pas. Lorsqu’elle propose des exercices visant à «mobiliser un diaphragme trop tendu» pour lui rendre une amplitude bénéfique, elle incite ces messieurs à «s’approprier les respirations» de celles qui portent leur bébé. Debout et pieds-nus, ils marchent tous ensemble, concentrés comme les danseurs d’un ballet silencieux, prenant conscience, dans une communauté d’esprits, de leur responsabilité à venir. La posture accroupie vient mettre un terme au moment de recueillement et de délassement. Les ventres projettent les corps en avant : difficile de trouver son équilibre et de garder la juste mesure de sa respiration. Les rires et les commentaires complices fusent.
Volontaires.
«Pour garder sa force, il ne faut jamais oublier de souffler, conseille Evelyne Mothé. Il faut que vous ayez cette arrière-idée: lorsque j’ai une contraction, je commence par souffler. Attention, ça n’est pas du conditionnement, vous êtes tous volontaires!»
Volontaires pour se familiariser «avec l’environnement de la naissance», comme l’indique le guide de surveillance de la grossesse. L’assurance-maladie prend entièrement en charge huit séances de préparation à la naissance. Le choix des méthodes de préparation (aquatique ou sophrologique, individuelle ou collective...) est à la discrétion des femmes enceintes. En pratique, les séances de préparation s’articulent en deux parties : une information théorique centrée sur l’anatomie, le déroulement de la grossesse, l’accouchement et les suites de couches, et un entraînement corporel. Le mois dernier, la Haute Autorité de santé a présenté des recommandations pour «aider les professionnels de santé à préparer la femme enceinte et le couple à la naissance de leur enfant et à la parentalité»*. Aujourd’hui, lit-on dans ce document, cette préparation doit aller au-delà de la prise en compte de la douleur : elle doit être orientée «vers une prise en charge plus globale et plus précoce de la femme et du couple. Son but est de favoriser leur participation active dans le projet de naissance et le développement de leurs compétences parentales».
Evelyne Mothé aimerait volontiers ne pas réduire la préparation à la naissance à celle de l’accouchement proprement dit. Mais comment élaborer un projet parental lorsque l’on a en face de soi un groupe d’une trentaine de femmes ? «Je ne peux que conseiller les futurs parents d’aller voir une sage-femme en libéral», répond-elle. La séance s’achève par un moment de détente. Allongées sur des tapis en mousse, les futures mamans sont invitées à observer leur respiration : «Vous êtes en train d’écouter l’attitude de votre bébé. Vous êtes avec lui, dans votre respiration», chuchote Evelyne Mothé. Visages apaisés, les femmes semblent avoir délaissé toute interrogation sur la parentalité. «Et vous aussi, les papas, détendez-vous pour être prêts quand vos femmes auront besoin de vous», suggère Evelyne Mothé.
Paroles de pères.
Mais à quel moment les femmes ont-elles besoin de nous ? se demandent les futurs pères. Comment reconnaître les besoins du bébé qui nous est encore étranger ? Doit-on s’effacer ou, au contraire, imposer notre présence ? C’est pour répondre à ces nombreuses questions que le Dr Gérard Strouk**, gynécologue-obstétricien, père de trois enfants, a monté, il y a plus de vingt ans à la maternité des Lilas (93), des groupes de parole pour les pères. A l’avant-garde de l’accouchement sans douleur, «la maternité proposait de nombreuses préparations pour les femmes. Un jour, dans un groupe de parole sur l’allaitement, un des rares pères présents a voulu intervenir. “De quoi te mêles-tu ?” , s’est-il entendu dire. Les pères ne savaient pas où se mettre, quelle place prendre, explique le Dr Strouk. Un papa m’a dit une fois: “Elles, elles ont mal, et nous, on souffre !”. Les groupes de pères, c’est un endroit où ils peuvent parler sans tabou et sans femme: de l’allaitement, de la sexualité, de tout ce qu’ils veulent. Certains papas reviennent pour aider les autres. Il y a une camaraderie entre eux, c’est comme la solidarité des motards!», s’amuse-t-il.
Ce lundi soir, le thème de la réunion – il y en a une tous les quinze jours – porte sur le retour à la maison. Les hommes, qui attendent tous leur premier enfant, prennent place autour de la table avec, pour certains, un cahier devant eux. «J’ai connu tous les remous, commente Gérard Strouk : la lutte des femmes, les couples soixante-huitards... Aujourd’hui, les pères sont très raisonnables. Ils ont envie de bien faire. Mon rôle consiste juste à les aider à y voir plus clair.»
Les présentations faites, le Dr Strouk donne le ton de la réunion : «Je ne vais pas faire de cours. Nous sommes là pour parler tous ensemble du retour à la maison. Pour moi, il y en a deux: celui où le père se retrouve seul et celui où tout le monde rentre, le bébé avec la maman. Qu’en pensez-vous?» Aurélien se jette timidement à l’eau : «L’accouchement est prévu pour fin mai, mais c’est encore un peu long. Je viens ici pour me renseigner, mais je n’ai pas d’angoisse particulière», se dégage-t-il. «Alors, vous ne nous faites pas avancer, renchérit le gynécologue. Vous ne voulez pas nous trouver une petite angoisse?» Laurent, dont la femme doit accoucher par césarienne jeudi prochain à 15 heures – une programmation qui, selon lui, «brise un peu le mystère de la naissance» –, s’interroge sur les conditions de son hébergement à la maternité, la nuit même de l’arrivée de son bébé. «Pourquoi avez-vous envie de passer la nuit à la maternité?», demande le médecin. «J’ai une interrogation par rapport à l’état physique de ma femme. Je pense qu’elle aura peut-être besoin d’une aide», répond Laurent. Mais est-ce bien la place du père que de rester à la maternité ? Pourquoi ne pas laisser la mère en intimité avec son bébé ? «Vous savez, dans une maternité, il y a encore du personnel, suggère Gérard Strouk. A part dans des cas particuliers, je pense que le père a plus une place d’alternance: c’est lui qui apporte l’air de l’extérieur, qui crée une autre ambiance. Méfiez-vous, il faut être très légers. On a souvent envie d’intervenir. Il faut être à la disposition de sa femme, mais ne pas en faire trop. C’est sûr, ce n’est pas facile.» Eric, lui, avoue ne s’être jamais posé la question du retour. Son inquiétude concerne plutôt l’aménagement de l’appartement, dans lequel, faute de place, on ne pourra pas faire la chambre du bébé : «Dans un premier temps, ça va être un bébé à roulettes. Mais on ne sait pas trop quel espace il va s’approprier. A quel âge pensez-vous qu’il faut arrêter de dormir avec son bébé?» Ceux qui attendent l’âge couperet seront déçus. Il faut aussi laisser les choses se faire. «Quel rôle pensez-vous avoir auprès de votre bébé?», lance Gérard Strouk. Laurent et Eric reprennent presque les mêmes mots : ils ont envie de transmettre, de partager, d’avoir «un rôle pédagogique».
Derrière ce schéma, il y a aussi l’image paternelle. Depuis deux jours, Laurent a des «microsouvenirs qui remontent à (sa) première enfance. (Il) n’arrive pas à mettre un sentiment particulier dessus. C’est juste une grande force de présence, confie-t-il assez vaguement. Est-ce un phénomène courant?» Marc-Olivier acquiesce : «J’ai perdu mon père quand j’avais 3mois. C’est mon grand-père qui m’a élevé. Plus les jours arrivent -le terme est fixé au 23mars, mais je sens que ça va venir avant-, plus j’y pense. Je n’en parle pas trop. Mais c’est un sentiment de bonheur. Je suis fier. J’aimerais bien qu’il soit là.»
L’heure avance. Beaucoup de choses ont été esquissées. Gérard Strouk ne laissera cependant pas repartir ces futurs papas consciencieux sans leur avoir mis une dernière puce à l’oreille. «J’ai entendu beaucoup d’amour. Mais je pense que nous devons aussi avoir un rôle de donneur de limites. Je crois que la mère, qui est en fusion avec son bébé, ne peut pas dire non. C’est à nous de le faire. Quand le bébé a mangé, qu’il est changé et que tout va bien, il faut aussi pouvoir lui dire stop.» Fin de séance. Rasséréné, Laurent vient remercier le Dr Strouk : il sait désormais qu’il n’est pas obligé de rester auprès de sa femme, la première nuit, à la maternité.
* Etude intitulée « Préparation à la naissance et à la parentalité (PNP) », novembre 2005, téléchargeable sur : has-sante.fr, rubrique « Publications ».
** Auteur, avec Corinne Vilder-Bompard, de « Je vais être papa », 2001, Editions du Rocher.
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