PAR UNE PLUVIEUSE matinée de février, la façade du théâtre de Caen paraît bien rébarbative. On est mieux à l'intérieur car, passée la porte, c'est une vraie volière qui nous attend. De chaque coin du beau théâtre surgissent trilles et vocalises.
L'accueillante cafétéria colorée en est le point névralgique où, fraîchement débarqués la veille, les dix solistes de neuf nationalités, âgés de 23 à 30 ans, font connaissance, frayant par groupuscules, se racontant, cherchant leurs affinités. Et cela sous l'oeil bienveillant de William Christie, chef et fondateur des Arts florissants. «Vous allez voir!», lance-t-il, l'air gourmand, devant notre mine incrédule. Seulement 18 jours et un programme de concert mis en espace, déjà annoncé aux quatre coins de l'Europe dont il ne sera pas question de changer une virgule en cours de route. Mais l'aventure commence bien en amont.
Pour cette troisième édition du Jardin des voix (le projet est biennal depuis 2002), Jacqui Howard, coordinatrice artistique des Arts florissants, a recruté sur dossier près de 200 candidats, auditionnés ensuite dans toute l'Europe, et écumé la crème de la crème : dix participants qui ne sont pas des débutants, ayant tous un passé certain dans le chant classique mais ayant tout à apprendre de l'exercice du répertoire baroque, une autre paire de manches, et tout à gagner d'une telle insertion professionnelle. A leur disposition : clavecinistes, conseillers linguistiques et dramaturgiques, professeurs de chant (Kenneth Weiss, Paul Agnew), conférenciers et tous les moyens techniques du théâtre de Caen.
Dès le premier matin, William Christie, installé sur la scène à cheval entre clavecin et orgue positif, cuisine un trio fraîchement assemblé pour interpréter une cantate de Carissimi. Recherche des mots-clés pour en trouver d'emblée l'atmosphère, travail de fourmi sur la justesse du son, dissection impitoyable des phrases, remise inlassable du travail sur le métier jusqu'à obtenir l'approbation du maître, que l'on n'imaginait pas aussi patient. Plus tard, il nous confiera avoir été impressionné par le niveau de préparation de ces jeunes artistes. Une fois rythme et justesse en place, on ajoute les ornements, l'expression, les affetti.
L'après-midi, « tutti » : tous en scène. A nouveau, le maestro passe un temps qui pourrait paraître fastidieux sur la justesse, base indispensable du chant. Puis on passe à l'action avec un madrigal de Monteverdi – «Une valeur sûre, ils s'en souviendront. »
Passage de la conseil-lère linguistique et, vingt minutes plus tard, ce n'est simplement plus le même madrigal que l'on entend, chaque mot se détache clairement de l'ensemble.
Mais ils ne sont pas au bout de leur peine car la journée s'achève par une conférence. Eva Wagner Pasquier, spécialiste mondiale des auditions, vient, entre deux recrutements de distributions pour New York et Aix- en-Provence, leur apprendre ce qu'il faut faire et surtout ne pas faire quand on passe une audition. Précieux conseils, plus encore, un bagage pour toute leur carrière.
Une troupe soudée.
Douze jours plus tard, retour au théâtre de Caen. A la cafétéria, c'est une joyeuse bande de lurons que l'on retrouve, soudés en un seul bloc, découvrant les costumes définitifs du concert. Aucune appréhension n'est perceptible, pourtant c'est le jour du « filage », la prégénérale, où tout doit être absolument irréprochable. Le maestro, ronronnant de satisfaction, nous accorde quelques minutes pour exprimer sa plus grande satisfaction du parcours accompli. Son «Vous allez voir!» va se concrétiser dans la minute. Ponctualissime, il saute sur scène où il doit de surcroît organiser son ensemble instrumental, arrivé depuis trois jours. On n'en revient pas des progrès réalisés ! Pas seulement sur le plan du chant, du style, de la justesse mais aussi de la tenue sur scène, de la projection des voix et des personnalités, de l'intensité des solistes.
Le concert file comme un songe juste interrompu par quelques remarques du perfectionniste William Christie, qui à l'oeil et l'oreille à tout. Le bruit des pieds traînés en sortant de scène, les messages donnés par le dos du chanteur, seul point de repère de l'orchestre. A la fois l'essentiel et l'indispensable accessoire, rien n'est laissé au hasard. Un beau concert est né, prêt à être donné à Caen et à Coutances avant Paris et de s'envoler vers les quelques salles qui comptent aujourd'hui dans le monde musical.
Théâtre de Caen (02.31.30.48.00). Prochains spectacles : « Les Aventures d'Alice au pays des merveilles », par Laurent Pelly (du 13 au 15 mars), Anna Teresa de Keersmaeker les 20 et 22 mars, « le Carnaval baroque » par Le Poème harmonique du 28 au 30 mars.Cette troisième édition du « Jardin des voix » a fait l'objet d'un documentaire de 110 minutes intitulé « l'Académie baroque », réalisé par Priscilla Pizzoto et Martin Blanchard, qui sera diffusé sur France 3 dans le courant de l'année.
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