PRATIQUE
I. GENERALITES
Les parasitoses du tube digestif, qu'elles soient transmises par voie orale ou cutanée, que la contamination soit cosmopolite ou le fait de séjour en zone tropicale, sont toutes directement ou indirectement liées au péril fécal.
Le contexte particulier de l'immunodépression acquise a fait émerger des syndromes diarrhéiques chroniques préoccupants dus à des protozoaires opportunistes sans distinction géographique.
Le médecin, orienté par les éléments anamnestiques et cliniques, prescrira les examens parasitologiques des selles en orientant le biologiste sur ce qu'il cherche. Il sera parfois amené à faire pratiquer une endoscopie pour rechercher des lésions évocatrices ou visualiser occasionnellement des parasites, mais surtout pour effectuer des prélèvements parasitologiques et histopathologiques dans des sites électifs du tube digestif.
II. RAPPEL SUR LE MODE DE CONTAMINATION
Le péril fécal
C'est un fléau qui afflige les pays en voie de développement. Les parasitoses ne sont qu'une partie de la pathologie qui lui est liée. Les maladies diarrhéiques en constituent la part la plus importante et la plus meurtrière. Ce problème majeur de santé publique constitue un véritable indicateur du niveau d'hygiène et par là même du développement.
L'eau joue un rôle déterminant dans la dispersion des ufs, des larves et des kystes parasitaires.
Les enfants constituent la population la plus exposée au polyparasitisme par transmission manuportée.
Les brassages de populations, qu'ils soient forcés par les contraintes sociopolitiques ou souhaités par les touristes en provenance des pays industrialisés, vont permettre la diffusion et la rencontre de parasitoses en dehors des zones d'endémie traditionnelles, en particulier en Europe du Nord.
Mode de contamination
La contamination per os par des aliments souillés par des matières fécales est fréquente. Il s'agit le plus souvent de fruits ou de légumes consommés sans un lavage vigoureux. Elle concerne la plupart des protozoaires (kystes, oocystes ou spores), mais aussi un certain nombre d'helminthes (ufs d'oxyures, de trichocéphales, d'ascaris, de Hymenolepis nana ou exceptionnellement de Fasciolopsis buski).
Citons la consommation de viande crue ou peu cuite (qui peut entraîner l'ingestion de cysticerques de Taenia saginata ou solium) ; celle de poisson cru d'eau douce (ufs de Heterophyes heterophyes, Metagonimus yokogawaï, bothriocéphale) ; celle de poisson cru de mer (larves de Anisakis).
La contamination percutanée se fait par pénétration de formes larvaires vivant dans la boue (ankylostomes, anguillules) ou de furcocercaires vivant dans l'eau douce (schistosomes).
III. CIRCONSTANCES DE DIAGNOSTIC
La suspicion de parasitose du tube digestif se fera souvent lors du retour d'un voyage, devant des signes variés :
- syndrome de migration de larves d'helminthes, avec son cortège de signes immunoallergiques : fièvre, urticaire, toux asthmatiforme avec infiltrat labile pulmonaire ;
- manifestations digestives atypiques et polymorphes, allant de la dyspepsie à la diarrhée chronique, en passant par toutes les formes de colopathies ;
- manifestations digestives plus caractéristiques : dysenterie (amibes), rectorragies (bilharzies, trichocéphales), émission de vers (ascaris, oxyures) ou d'anneaux (tænia) par l'anus ;
- manifestations sévères, parfois chirurgicales : colite aiguë maligne (amibes), accident d'engagement orificiel : angiocholite (ascaris), appendicite (ascaris, oxyures, trichocéphales et anneaux de taenia) ;
- chez un sujet n'ayant jamais séjourné en zone d'endémie parasitaire, les parasitoses autochtones pourront être évoquées en particulier chez l'enfant atteint de nervosisme, de prurit anal (oxyures), d'inconfort abdominal ou de diarrhée persistante (tricocéphales, giardias) ;
- chez l'immunodéprimé, l'installation d'une diarrhée chronique fera rechercher en priorité une protozoose opportuniste (cryptosporidies, isosporas, microsporidies) ;
- lors d'un bilan d'altération de l'état général associé ou non à des troubles digestifs, la présence d'une anémie ferriprive pourra être en rapport avec une ankylostomiase massive. La découverte d'une hyperéosinophilie sanguine amènera le médecin à préciser son interrogatoire à la recherche de séjour en zone tropicale, parfois très ancien (anguillules), et à traquer les helminthes ;
- découverte occasionnelle en endoscopie de parasites adultes (ascaris, oxyures, trichocéphales, tænia), de larves (Anisakis) ou de lésions évocatrices de parasitoses : duodénite (anguillules, ankylostomes), rectocolite (amibes, trichocéphales, bilharzies).
III. DIAGNOSTIC DES PARASITOSES INTESTINALES AU LABORATOIRE
Trois techniques
Pour le diagnostic des parasitoses digestives, la législation exige de pratiquer trois techniques : l'examen direct d'une dilution fécale et deux techniques de concentration, l'une pour les trophozoïtes ou kystes de protozoaires et l'autre pour les ufs ou larves d'helminthes.
Les périodes d'émission négative au cours d'une parasitose authentique obligent à renouveler les examens parasitologiques des selles (EPS) au moins trois fois à deux ou trois jours d'intervalle. La présence de cristaux de Charcot-Leyden, témoins d'une hyperéosinophilie locale oblige aussi à renouveler patiemment ces examens.
Pour les protozooses cosmopolites (tableau 1), telles que la giardiase et l'isosporose, le diagnostic parasitologique est facilité par la taille et la morphologie de ces parasites.
Pour Giardia intestinalis, le trophozoïte mesure 15 μm-10 μm, a la forme d'un cerf-volant avec un noyau bilobé et, de profil, la forme d'une cuillère ; les flagelles locomoteurs sont faciles à repérer par leur grande mobilité.
Le kyste mesure de 9 μm à 15 μm/6μm, sa coque comporte une double paroi lisse et il contient toujours 4 noyaux ; les reliquats de flagelles forment dans l'axe du kyste un S très allongé.
Isospora belli donne dans les selles des oocystes de forme ovalaire, de 25-33 μm/12-16 μm à paroi lisse et contenant un sporoblaste médian de forme arrondie.
La giardiase est toujours une maladie fréquente en collectivité (crèches...). Elle est la première parasitose en France selon les statistiques du Laboratoire national de la santé.
L'Isosporose était fréquente dans les périodes initiales du SIDA mais sa sensibilité au cotrimoxazole fait qu'elle a quasiment disparu dans cette pathologie puisque ce médicament est largement utilisé en traitement ou en prophylaxie de la pneumocystose par exemple.
Ce sont les protozooses opportunistes des grands immunodéprimés qui ont obligé les parasitologues à pratiquer des techniques de plus en plus élaborées pour la mise en évidence notamment de cryptosporidies et de microsporidies.
Pour les cryptosporidies, la technique de référence est la coloration de Ziehl-Neelsen modifiée par Henriksen après concentration formol-éther, les oocystes de 5 à 8 μm sont aisément repérées par leur coloration rose fuchsia. L'utilisation en immunofluorescence d'anticorps monoclonaux sensibilise le diagnostic.
Les microsporidies doivent être mises en évidence par deux méthodes qui sont complémentaires : la mise en évidence de la chitine par fluorescence directe en lumière UV ou coloration Uvitex 2B (méthode de Van Gool) et la coloration par le trichrome modifiée ou technique de Weber. Les spores colorées en rose mesurent 0,9/1,5 μm pour Enterocytozoon bienusei et celles de Encephalocytozoonintestinalis de 2/3,5 μm ; malgré leur très petite taille, la vacuole excentrée constante aide cependant à leur repérage sur les frottis de selles colorées.
Ces protozooses sont toutes liées au péril fécal et donc à la contamination orale.
En revanche, parmi les helminthiases digestives (tableau 2) , seule l'anguillulose peut être opportuniste. Elle peut se disséminer et devenir maligne au cours des grandes immunodéficiences : SIDA, postgreffe d'organes ou de moelle, corticothérapie prolongée... Sa recherche par EPS et technique de Baermann fait partie du bilan prégreffe et du suivi postgreffe si une diarrhée survient sans cause bactérienne.
La méthode de Baermann utilise le thermotropisme et l'hydrotropisme des larves ; elle ne peut être pratiquée sur des selles trop liquides.
Cet opportunisme est le fait des cycles d'infestations qui s'emballent en raison de l'immunodépression locale et générale, permettant ainsi aux larves d'être présentes en abondance dans les selles et l'appareil broncho-pulmonaire.
Les autres helminthiases ne posent pas de difficultés de diagnostic, si ce n'est la patience obligée.
Références :
Apport de l'endoscopie au diagnostic des parasitoses digestives, Klotz F., Martet G., Debonne J.-M., Guisset M. « Gastroentérol Clin Biol », 1994 ; 18 : 113-117.
Les parasitoses autochtones, Recco P. « Le Digestif », 1997 ; 13 : 13-24.
Diagnostic et traitement des parasitoses digestives (sauf amibiase), Bouchaud O., Aumaitre H. « Encycl Med Chir » (Elsevier, Paris), « Gastroentérologie » 9-062-A-40-1999-138.
Parasitoses intestinales, Klotz F., Debonne J.-M. In « Gastroenterologie » 2, Coll. Intermed., Paris, éd. Doin 1998 : 13-28.
TABLEAU 1.
DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT DES PROTOZOOSES DIGESTIVES
.
SituationExamenFormesTraitement
ParasitesdesparasitologiqueparasitairesBiopsie(dose adulte)
parasitesde selles
.
RHIZOPODES OU AMIBES non opportunistes
.
Entamoeba histolytica (eh)CôlonEtat frais, et MIF-CcTrophozoïtesBiopsieMétronidazole
- Eh. V. histolyticaen période dehématophageC : HES(FLAGYL )2 g/j X 7 j
dysenterie aiguë12 à 40 μHématoxyllinepuis
ferriqueTiliquinol,
Tibroquinol
- Eh. V. Minuta et kysteCôlonEn dehors deTrophozoïte 15 μ(INTETRIX )4 cp/j X 10 j
dysenteries, état fraisKystes 12 à 14 μ
MIF-C et MIF-Cc1 à 4 noyaux
.
Entamoeba coliCôlonEtat frais etTrophozoïteTilquinol
MIF-C et MIF-Cc20 à 30 μTibroquinol
Kystes 10 à 20 μ à(INTETRIX )
1,2,4 et 8 noyaux4 cp/j X 10 j
si signes
E. hartmaniCôlonEtat frais etTrophozoïtescliniques
E. poleckiCôlonMIF-Cetmais pas
E. nanusCôlonet MIF-Cckystesd'AMM
Pseudolimax butschiliiCôlonTrophozoïtes, kystes
Dientamoeba fragilisCôlonTrophozoïtes
Ces amibes, en principe non pathogènes, témoignent d'une contamination fécale des crudités consommées par le
patient et obligent à rechercher les amibes pathogènes si ce patient a voyagé en zone d'endémie de l'amibiase
.
FRAGELLES
.
Giardia intestinalisDuodénumEtats fraisTrophozoïtes : liquideBiopsie duodénaleMétronidazole
MIF-Cduodénal ou sellesC: HES(GLAGYL )
et MIF-Cctrès mollesGiemsa1 g/j X 7 j
Kystes : sellestrophozoïtes2e cure à J 10
.
AUTRES FLAGELLES (rares)
.
Trichomonas intestinalisIntestin grêleEtat fraisSelles :Métronidazole
Chilomastix mesniliiIntestin grêleMIF-Ctrophozoïtes et(FLAGYL )
Enteromonas hominisIntestin grêleet MIF-Cckystes1 g/j X 10 j
.
COCCIDIES opportunistes
.
CryptosporidiumIntestin grêleC : Ziehl-NeelsenOocystesC: HES-GiemsaParomomycine
- C. parvum(poumon)modifié(HUMAGEL )
- C. muris (+ rare)IF pr AcM2 g/j X 30 j
Auramine
Cyclospora cayetaneusisIntestin grêleC : Ziehl-NeelsenOocystesCotrimoxazole
modifié(8-10 μ)(BACTRIM Forte )
2 cp/j X 10 j
Isospora belliIntestin grêleEtat fraisOocystes 15 à 30 μMicro E :Cotrimoxazole
MIF-CcDiagnostic facileTrophozoïtes(BACTRIM Forte )
et MIF-C2 cp/j X 10 j
.
MICROSPORIDIES opportunistes
.
Enterocytozoom bieneusi +++Intestin grêleWeberSpores ovoïdesC : GiemsaFumagilline
Uvitex 2B0,9/1,5 μmAmas de sporesévaluation
Formesen cours
plasmodiales
Encephalitozoom intestinalisIntestin grêleWeberSpores ovoïdesAlbendazole
(+ rare)Uvitex 2B2/3,5 μm(ZENTEL )
800 mg/j X 30 j
.
CILIES non opportunistes
.
Balantidium coliCôlonEtat fraisTETRACYCLINE
(très rare en France)Formes végétatives2 g/j X 10 j
Kystes
.
MIF : Merthiolate Iode Formol - Cc : concentration 6 IF : immunofluorescence - AcM anticorps monoclonaux.
Micro E : Microscopie électronique - C : coloration - HES : Hémalum - Eosine - Safran.
La liste des médicaments n'est pas exhaustive.
DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT DES HELMINTHIASES
.
ModeSituationExamens
ParasitesdedesparasitologiquesBiopsieTraitement
contaminationparasitesdes selles(dose adulte)
.
NEMATHELMINTHES OU NEMATODES OU VERS RONDS
.
Oxyures :oraleCôlonAdultes : 0,7 à 1 cmFlubendazole
Enterobius vermicularisMains salesScotch-test(FLUVERMAL )
Péril fécalufs embryonnés100 mg X 1 j
auto-infestantsA renouveler à J 15
Trichocéphales :OraleCôlonEtat frais et CcC : HESFlubendazole
Trichiuris TrichiuraPéril fécalufsAdultes(FLUVERMAL )
200 m/g X 3 j
Ascaris : OraleDuodénumAdultes : 10 à 15 cmFlubendazole
Ascaris lumbricoïdesPéril fécalIntestin grêleEtats frais et Cc(FLUVERMAL )
200 mg/j X 3 j
.
AnguillulesCc et surtoutInvermectine
Strongyloïdes stercoralisPénétrationDuodénumMéthode BaermannC : HES(STROMECTOL )
(opportuniste)larvaireLarveslarves et(AMM+)
transcutanéefemelles200 μg/kg X 1 j
.
Ankylostomesdans la terreEtat frais et CcFluvendazole
Ancylostoma duodenaleou l'eau douceDuodénumufs contenant(FLUVERNAM )
Necator americanusfécalisées4 à 8 blastomères200 mg/j X 3 j
.
Anisakiase :OraleEstomacLarves prélevéesC : HESEndoscopie ou
Anisakis sp.Poissons de mer :Intestin grêlepar endoscopieLarvesChirurgie
harengs... crus
.
PLATHELMINTHES OU VERS PLATS
.
CESTODES : verts plats segmentés
.
Grands taenias : Orale
taenia sagitanaViandes de bovidésIntestin grêle Proglottis ou anneauxNiclosamide
(du buf)mal cuiteCôlon dans les selles ou(TREDEMINE )
les sous-vêtements1 g + 1 g 2 H + tard X 1 j
Selles : Etat frais,
Taenia soliumOraleIntestin grêlescotch-test et Cc :Praziquantel
(du porc)Viande de porc malCôlonufs à la coque radiée,(BELTRICIDE )
(très rare en France)cuite fumée ou saléeidentiques pour ces10 mg : kg X 1 J
2 taenias
.
Taenias nainsOraleSelles : Etats fraisNiclosamide
Hymenolepis nanamains salesIntestin grêlescotch-test et Cc :(TREDEMINE )
auto-infestationufs embryonnés1 g = 1 g 2 H + tard puis
auto-infestants1 g/j X 8 j
.
TREMATODES : vers plats non segmentés
.
Bilharzioses ou Schistosomoses, pouvoir pathogène lié aux ufs (exotiques)
.
Bilharzioses digestives
Schistosoma mansoni
(Afrique, AmériquePénétrationColiquePraziquantel
intertropicales)CôlonSelles : Etats frais, Cc,Rectosigmoïde(BILTRICIDE )
LarvaireRectosigmoïdeufs à éperon,Foie50 mg/j X 1 j
S. IntercalatumAppendicecaractéristiquesC : HESA renouveler
(Afrique noire)transcutanéeZiehl +éventuellement
.
Bilharziose uro-génitaledans la terrePraziquantel
S. haematobiumAppareil uro-Urines +++ :Vessie,(BILTRICIDE )
(toute l'Afrique)ou l'eau douceet côlonufs à éperon terminalrectosigmoïde40 mg/j X 1 j
Madagascarrectosigmoïdeselles : CcC: HESA renouveler
Jamais en Amérique)fécaliséesZiehléventuellement
.
Distomatoses intestinales (exotiques)
.
Fasciolopsis buskiOrale
(Extrême-Orient)Châtaigne d'eau douceIntestin grêleSelles : Etat frais, CcNiclosamide
ufs operculés(TREDEMINE )
Metagonimus yokogawaicaractéristiques2 g/j X 4 J
(Extrême-Orient)Orale :Diagnostic facilePraziquantel
Heterophyes heterophyesPoissons d'eau douceDiarrhées(BILTRICIDE )
(Asie, Egypte, Tunisie,consommés crusdouloureuses60 mg/kg X 1 j
Pérou)
.
Cc : concentration - C : Coloration - HES : Hématéine éosine safran - Micro E : Microscopie électronique.
La liste des médicaments n'est pas exhaustive.
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