La suspension de peine pour raison de santé accordée à Maurice Papon par la justice, le 18 septembre, au vu d'expertises médicales, a indigné les rescapés de la Shoah, les détenus âgés grabataires, mais aussi les médecins qui dénoncent une atteinte au secret professionnel.
Le parquet général de la cour d'appel de Paris a formé un pourvoi en cassation en s'appuyant sur le « trouble à l'ordre public » qu'entraînerait la libération de Papon. Mais l'issue de ce pourvoi est plus qu'incertaine (1). Par ailleurs, deux praticiens (auxquels d'autres pourraient se joindre) ont déposé plainte devant le conseil ordinal de la capitale (2), contre trois des quatre médecins experts : le cardiologue Jean-Pierre Denizeau et les généralistes Pierre Leporc et Odile Diamant-Berger. Ils leur reprochent notamment d'avoir manqué à leurs obligations, principalement dans le domaine du secret professionnel (art. 4 du code de déontologie).
Le Dr Odile Diamant-Berger, qui composait l'un des 2 collèges d'experts avec le Dr Denizeau (3), est dans le collimateur : elle n'a pas commenté sa propre expertise, mais elle est accusée de s'être livrée à une explication sémantique sur le mot « grabataire ». Elle a été victime d'une pression médiatique à laquelle n'échappe aucun expert médical quand il sort d'une cour d'assises : le procès des Drs Mériel, Archambeau et Diallo, à Poitiers en février-mars 1988, en a donné la preuve. « Grabataire ne veut pas dire allongé, impossible de bouger », a déclaré la généraliste de Versailles au micro de France-Info, pour marquer la différence entre dictionnaire médical et dictionnaire étymologique.
« Il ne s'agit pas de s'immiscer dans la décision médicale qui a été prise », tient à faire remarquer au « Quotidien » le Dr Gérard Zeiger, président de l'Ordre de Paris, dont le conseil, qui se réunira le 9 octobre, examinera les requêtes en question. « D'ailleurs, ajoute le responsable ordinal, l'article L 418 du code de la santé publique ne permet pas de poursuivre un praticien exerçant dans le cadre d'une mission de service public. En revanche, un confrère n'a pas à se répandre dans la presse, c'est là l'objet du délit, s'il existe .»
Sur le fond, le Conseil ordinal de la capitale devra s'interroger sur un éventuel « manquement à la probité » des experts médicaux. L'Ordre parisien pourrait s'associer aux poursuites engagées par les deux médecins, voire déposer plainte lui-même, ou encore combiner les deux démarches, « ce qui aura beaucoup plus de poids », pense le Dr Gérard Zeiger. Pour l'heure, le président fait « collecter tous les articles de presse » susceptibles de justifier une procédure auprès du conseil régional (future « Section disciplinaire » ordinale).
Les praticiens visés seront entendus, avant que l'Ordre « fasse son devoir », dans les prochaines semaines.
Un devoir qu'il qualifie d' « ordinaire ». « Rien n'est fait, ni dans un sens ni dans l'autre », conclut le Dr Zieger, qui n'entend pas établir des hypothèses sur l'instruction ordinale qui va se dérouler.
De leur côté, les magistrats de la cour d'appel de Paris peuvent entreprendre des poursuites s'ils considèrent que le comportement des médecins experts a été répréhensible.
(1) Pour plusieurs juristes, le « trouble à l'ordre public » est « une notion de fond et non pas de droit », ce qui l'exclut du champ d'examen de la Cour de cassation.
(2) Ces plaintes ont été transmises par l'Ordre national.
(3) L'autre collège regroupait le Dr Leporc et le Pr Bernard Labbé, cardiologue.
A propos de la loi du 4 mars 2002
L'amendement à la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades permettant aux prisonniers de solliciter une suspension de peine en raison de leur état de santé a été déposé par le sénateur centriste Pierre Fauchon, avocat honoraire. M. Fauchon a appartenu à la promotion de la Conférence du stage, au barreau de Paris, où il a été remarqué pour son éloquence aux côtés de Me Jean-Marc Varaut, l'un des deux conseils de Maurice Papon. Me Varaut s'emploie maintenant à faire jouer la loi sur la présomption d'innocence du 15 juin 2000 en faveur de son client. Cette loi introduit l'appel en matière criminelle. Elle est postérieure au verdict de Bordeaux d'avril 1998, qui condamnait Papon pour complicité de crimes contre l'humanité. Et comme elle est moins sévère, elle est applicable immédiatement, selon un principe de droit pénal.
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