Maurice Papon, condamné par les assises de la Gironde, le 2 avril 1998, à 10 ans de réclusion pour complicité de crimes contre l'humanité, est en liberté, après avoir passé un peu moins de trois ans derrière les barreaux*, dont plusieurs semaines en hospitalisation. Pourtant, les demandes de grâces médicales adressées à Jacques Chirac avaient été rejetées à trois reprises.
« Il devra résider dans sa propriété », de Gretz-Armainvilliers (Seine-et-Marne), précise la cour d'appel de Paris dans l'arrêt rendu le 18 septembre sur les demandes de suspension de peine et de remise en liberté de l'ancien fonctionnaire de Vichy. Placé « sous la surveillance du juge d'application des peines du tribunal de grande instance de Melun », il devra l'informer « de toute modification de son lieu de résidence ou de son hospitalisation ». Et il est tenu de « se soumettre à toute expertise ». « Ce n'est pas, à proprement parler, une résidence surveillée. Il est absolument libre d'aller et de venir », précise l'un de ses deux avocats, Me Jean-Marc Varaut.
Maurice Papon, 92 ans, qui, le 27 juillet 2002, avait jugé « inéquitable » son procès, se voit donc dispensé de saisir à nouveau la Cour européenne des droits de l'homme, comme il l'avait menacé en cas de refus de mise en liberté.
Dura lex, sed lex. La décision de justice est pénible, mais les enfants de déportés, qui ont poursuivi devant les assises l'ancien préfet de police de Paris (1958-1966) nommé par de Gaulle, puis secrétaire d'Etat au Budget (1978-1981) sous Giscard, sont forcés de s'y soumettre. Elle repose sur un amendement au code de procédure pénal (art. 720-0-1, loi du 4/3/2002 sur les droits des malades), ayant trait à « la possibilité d'abréger la peine des condamnés en fin de vie » (voir encadré). Le parquet général, pour sa part, avait dit non à la liberté du criminel contre l'humanité, contre l'avis des experts médicaux, lors de l'audience à huis clos qui s'est tenue le 4 septembre. Il mettait en avant « la nature et la gravité exceptionnelle des faits ayant fondé la condamnation de M. Papon (qui) ne permettent pas d'envisager une remise en liberté, qui serait de nature à susciter et à réactiver un trouble exceptionnel à l'ordre public ». Au lendemain de l'arrêt du 18 septembre, le parquet a estimé que la décision de la cour d'appel « relève de l'appréciation souveraine des juges de fond et ne permet pas un pourvoi ».
Une pathologie sévère
Dans leurs expertises des 19 et 26 juin derniers, les Drs Diamant-Berger et Denizeau constataient que l'état du condamné « est maintenant et durablement incompatible avec le maintien en détention, en raison d'une pathologie cardio-vasculaire diffuse, évoluée, sévère, invalidante, ayant entraîné une détérioration importante de l'état général avec impotence pratiquement complète et grabatairisation, malgré un traitement médical permanent correctement assuré ». Leurs confrères Leporc et Labbé parvenaient à des conclusions similaires. « Compte tenu de l'âge de l'intéressé, de l'existence de plusieurs pathologies lourdes, susceptibles d'évoluer vers une défaillance organique aiguë, écrivent-ils, le maintien en détention représente un risque vital du fait de l'impossibilité d'organiser des soins en réanimation d'urgence en milieu carcéral ».
Me Gérard Boulanger a été le premier à avoir déposé des plaintes contre Papon, le 8 décembre 1981, et a plaidé au nom de 27 personnes physiques, sur un total d'une cinquantaine de parties civiles, devant la cour d'assises de Bordeaux, du 8 octobre 1997 au 2 avril 1998. Il parle d'un « désastre sur le plan de la mémoire ». « Barbie est bien mort, le 25 septembre 1991, d'un cancer au Fort de Montluc à Lyon, qui n'estpourtant pas classé comme un établissement spécialisé dans le traitement des cancéreux ! », s'exclame l'avocat bordelais, pour qui « la bataille judiciaire est terminée ». « En fait, derrière l'alibi médical, dit au "Quotidien" Me Boulanger, c'est une bataille pour la révision du procès et de l'histoire tout court qui se profile. On cherche à réhabiliter l'oeuvre du Maréchal », prévient-il.
* Emprisonné le 22 octobre 1999 et exclu de l'Ordre de la Légion d'honneur en novembre de la même année.
La décision de la cour
« Considérant qu'il ressort des conclusions convergentes des experts que Maurice Papon présente un faisceau de pathologies engageant le pronostic vital et que son état de santé est durablement incompatible avec la détention. Qu'il n'existe d'ailleurs aucun établissement pénitentiaire spécialisé susceptible d'accueillir des détenus en fin de vie ou présentant de telles pathologies. (...) Considérant que la loi n'exige pas que le condamné présente des gages de réinsertion sociale et que la suspension de la peine de Maurice Papon, compte tenu de son âge et de son état de santé, n'est pas de nature à troubler l'ordre public. (...) La Cour ordonne la suspension de la peine de 10 ans de réclusion criminelle. »
Les réactions
- « On fait sortir un homme détenu dans les meilleures conditions, alors qu'on ne le permet pas aux prisonniers gravement malades du cancer ou du sida, dont beaucoup ont plus de charge de famille que lui (..) On nous dit qu'il est grabataire, on va voir si sa liberté le guérit. Mais je lui conseille d'éviter de se répandre en interviews sur le thème de son innocence. Car là, il y aura vraiment trouble à l'ordre public. » (Me Serge Klarsfeld).
- « Une insulte à la mémoire des nombreuses victimes de Papon », et « une insulte au principe républicain d'égalité, inscrit dans notre constitution. » (Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples).
- « C'est un acharnement de déni de la vérité. Cela dit, la condamnation reste, il n'a pas été gracié. Son acte n'est pas lavé et ne le sera pas. » (Union des étudiants juifs de France).
- « Quand Papon était secrétaire général de la préfecture de Bordeaux, il n'a pas hésité à faire sortir des vieillards grabataires pour les mettre dans les trains à destination de Drancy, puis des chambres à gaz. » (Fédération nationale des déportés et internés résistants et patriotes).
Le Consistoire de Paris « appelle les pouvoirs publics à intervenir afin que la "bête immonde" ne puisse jouir de la liberté dont elle a privé tant de victimes innocentes ».
- « Un mauvais exemple pour tous ceux qui continuent à massacrer des peuples dans le monde. » (SOS-Racisme).
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