L A question de l'origine de l'épidémie de VIH continue de tarauder les esprits. En fait, le problème porte moins sur l'origine phylogénétique du virus humain, qui provient, d'une manière à peu près certaine, du SIVcpz du chimpanzé, que sur l'origine de la contamination humaine, la nature de l'accident fondateur de l'épidémie.
L'hypothèse d'un accident médical a été très tôt évoquée. On se souvient que, au tout début de l'épidémie, un vaccin anti-VHB, administré à la fin des années soixante-dix à une cohorte d'homosexuels new-yorkais, avait ainsi été accusé. Plus récemment, c'est le vaccin oral contre la polio qui s'est retrouvé sur la sellette. En 1992, sous la plume d'un certain Tom Curtis, la revue américaine « Rolling Stone » publiait un article émettant l'hypothèse d'une transmission à l'homme du SIV du singe vert africain, par l'intermédiaire du vaccin polio oral, administré à un million de personnes environ entre 1957 et 1960, dans ce qui était alors le Congo belge.
Effectivement, à partir de 1963, à la suite de la découverte d'une contamination par le SV40, les cellules rénales de macaque asiatique ont été remplacées par des cellules de singe vert africain pour la production du poliovirus ; singe vert que l'on sait aujourd'hui massivement infecté par le SIV.
Double problème, toutefois. Premièrement, on sait aujourd'hui que le singe vert est infecté par le SIVagm, beaucoup plus distant du virus humain que le SIVcpz du chimpanzé, et dont l'évolution vers le VIH1 est pratiquement exclue. Deuxièmement, entre-temps, en 1998, une contamination humaine remontant à 1959 a été reconnue sérologiquement : il s'agit d'un homme vivant à proximité de l'ancienne Léopoldville, dont le sérum avait été conservé jusqu'à nos jours. Exit, donc, l'hypothèse du singe vert.
Préparé sur des cellules de chimpanzé
Les tenants de l'« hypothèse vaccin polio » n'ont pourtant pas renoncé. Le second round a commencé il y a deux ans, à Londres, avec la publication d'un livre de Edward Hooper affirmant que tout ou partie des vaccins utilisés au Congo à la fin des années cinquante était, en fait, préparé sur des cellules de chimpanzé. L'affirmation a été maintenue malgré les dénégations du Wistar Institute de Philadelphie, où les vaccins étaient fabriqués. Elle a aussi été maintenue malgré la publication, l'an dernier, d'une analyse phylogénétique faisant remonter à 1931 (± 12 ans) la divergence aboutissant à la diversité du VIH1 que l'on observe aujourd'hui en République démocratique du Congo. A l'édition révisée de son livre, Hooper a simplement ajouté l'hypothèse selon laquelle la diversification aboutissant à l'actuel groupe M a commencé chez le chimpanzé, avant la transmission à l'homme, celui-là se retrouvant d'emblée infecté par une certaine diversité virale à l'occasion de contaminations multiples par le vaccin polio.
La communauté médicale a naturellement conçu quelque irritation de ces allégations. Et puisque l'hypothèse de Hooper était vérifiable, elle a été vérifiée, sur des échantillons de lots utilisés au Congo et conservés au Wistar Institute, au CDC, au Karolinska Institute de Stockholm ou encore au National Institute for Biological Standards and Controls britannique. Trois équipes, franco-américaine, britannique et suédoise, et, enfin, une équipe allemande ont recherché des traces de séquences d'ADN mitochondrial de chimpanzé dans les différents lots, ainsi que des séquences nucléiques apparentées à celles du VIH1 ou du SIV. Les résultats sont partout négatifs. Seules des séquences de macaque (rhésus ou cynomolgus) et de poliovirus ont pu être amplifiées par PCR dans des échantillons pourtant parfaitement conservés. Ce sont donc bien des cellules rénales de macaque qui ont été utilisées dans les années cinquante, et non des cellules de chimpanzé, ce qui semble exclure toute contamination par un virus que l'on ne connait que chez ce dernier.
L'analyse phylogénétique du virus
Une approche trés différente, choisie par une équipe britannique et francaise, aboutit à des conclusions analogues. Il s'agit de l'analyse phylogénétique du virus présent dans plus de 200 prélévements effectués en 1997 dans différentes régions du Zaïre. Ces analyses montrent que l'on peut parfaitement rendre compte de l'actuelle structure génétique de la population virale dans le monde, où plusieurs souches basales semblent s'être diversifiées simultanément, sans recourir à l'hypothèse de contaminations multiples, rapprochées dans le temps, par des souches de SIV, elles-mêmes diversifiées. La diversité du VIH1 en RDC est en effet actuellement très supérieure à ce que l'on rencontre partout ailleurs en Afrique, et rejoint en fait la diversité planétaire du virus. Plusieurs souches identifiées en RDC apparaissent, en outre, comme les ancêtres de sous-types aujourd'hui présents et diversifiés dans le monde.
L'épidémie serait donc bien partie de l'actuelle RDC, chacun des sous-types existant aujourd'hui dans le monde s'étant développé et diversifié localement, à partir d'un virus issu d'Afrique centrale. Rien n'indiquant que la diversification pourrait avoir commencé chez le singe, il faut envisager l'existence d'un « patient zéro ». L'histoire de ce patient reste à écrire. Mais il devient de plus en plus difficile de soutenir qu'elle pourrait passer par le vaccin polio.
P. Blancou et coll. - N. Berry et coll. - A. Rambaut et coll. « Nature », vol. 410, 26 avril 2001.
H. Poinar et coll. « Science », vol. 292, 27 avril 2001.
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