EN FRANCE, la transplantation à partir de donneurs décédés d’arrêt cardiaque (DDAC) a débuté en 2007, avec seulement cinq centres réellement actifs car il s’agit d’une activité très consommatrice de temps, de moyens financiers et humains. Elle reste de ce fait encore marginale dans notre pays alors que, en Espagne, par exemple, elle représente pratiquement 30 % des greffes. Or nous attendons une augmentation de 30 % du nombre de greffes rénales, la liste des candidats étant de 10 000 en France.
À cet égard, le terme de « donneur à cœur arrêté » ne doit plus être utilisé car susceptible d’entraîner des confusions, en particulier dans l’esprit du grand public, entre un arrêt cardiaque réfractaire potentiellement réversible et un décès par arrêt cardiaque. La question du don d’organes ne se pose qu’après que les réanimateurs ont constaté que la situation clinique était au-delà de toute thérapeutique, qu’ils ont cessé le traitement et signé le certificat de décès. Il s’agit soit de personnes en arrêt cardiaque depuis moins de 30 min avant l’arrivée des secours (stade I de Maastricht), soit faisant un arrêt cardiaque, en présence des secours, qui ne récupère pas malgré la réanimation cardio-respiratoire (stade II de Maastricht). En revanche, il n’est pas permis en France de recourir, comme dans d’autres pays, aux stades III de Maastricht pour lesquels est décidé un arrêt des soins. Généralement, il ne s’agit pratiquement que d’arrêts cardiaques extrahospitaliers, ce qui suppose d’impliquer les SAMU, les sapeurs-pompiers et de les équiper de machines à masser.
De très bons résultats.
Pendant l’arrêt cardiaque, le rein subit des lésions d’ischémie chaude (puisqu’il reste à 37 °C), aussi a-t-il été décidé, pour ne pas cumuler les facteurs de risque, de ne retenir que les donneurs de moins de 55 ans. Dans ce cas, selon la littérature et l’expérience de la Pitié-Salpêtrière, la survie des greffons est superposable à celle des « bons » greffons de donneurs en état de mort encéphalique (DDME) et nettement supérieure à celle des « mauvais greffons » de DDME. Et avec une fonction rénale bien meilleure puisque la clairance de la créatinine à 5 ans est de l’ordre de 60 ml/min pour les DDAC et les DDME de moins de 60 ans, de 46 ml/min pour les DDME de plus de 60 ans.
« Le challenge c’est de gérer l’ischémie chaude inhérente à la mort cardiaque qui va se répercuter sur la non reprise de fonction (NFP) et la reprise retardée de fonction (RRF), définie par la nécessité d’au moins une séance de dialyse au cours de la première semaine suivant la greffe. Le risque de NFP varierait de 1,5 à 25 % selon les équipes. Actuellement, sur nos 57 transplantés nous n’avons déploré aucune NFP et il est raisonnable de penser que, avec nos types de donneurs, le chiffre devrait tourner autour de 1 à 2 % » explique le Pr Benoît Barrou. Le taux de RRF est inférieur avec les DDME (20 à 27 %) par rapport à celui des DDAC (plus de 60 %). En revanche, concernant l’impact de la RRF sur la survie du greffon, la différence est faible pour les DDME jeunes, majeure pour les DDME âgés, mais nulle pour les DDAC. L’hypothèse est que la mort encéphalique provoque dans les 24 à 36 heures le relargage massif, dans l’organisme, de cytokines pro-inflammatoires, contre lesquels le receveur va déclencher une réaction immunitaire lésant les organes, tandis que les organes des DDAC, prélevés plus rapidement, évitent cet orage cytokinique.
Les cinq éléments clés de la réussite.
Pour limiter ces risques, 5 éléments sont essentiels : la sélection des donneurs, le respect des délais, la perfusion du greffon, la préservation rénale et la limitation de l’ischémie froide. « Un autre facteur est incontournable, c’est l’élément humain. La transplantation ne peut fonctionner que si l’équipe est suffisamment étoffée, bien rôdée et que tout le monde joue la même partition » rappelle le Pr Barrou.
Les donneurs doivent avoir entre 18 et 55 ans et pas d’antécédent de pathologie sévère. La durée de l’arrêt cardiaque doit être inférieure à 30 min - ce qui suppose de disposer d’un témoin fiable - et le délai entre l’arrêt cardiaque initial et le début de la perfusion des organes inférieur à 150 min. Il faut une organisation redoutable pour tenir ces délais, en tenant compte des 30 minutes minimales de massage cardiaque externe et de ventilation. La transplantation se fait en local pour aller plus vite, chez un receveur de moins de 65 ans, transplanté pour la première fois et non immunisé. A noter que l’on peut greffer en groupe sanguin compatible, ce qui est intéressant pour les patients du groupe B et n’est pas possible avec les DDME.
Pour perfuser les organes prélevés en attendant la greffe, on peut les refroidir grâce à la mise en place, dans l’aorte, d’une sonde de Gillot avec double ballonnet. Mais cette hypothermie est délétère en elle-même en figeant la situation sans réparer des organes qui ont déjà souffert. Autre solution plus ambitieuse, on reperfuse d’abord en normothermie pour réparer et stabiliser les organes avant de les mettre en hypothermie. Cette technique dite CRN (circulation régionale normothermique), qui utilise des appareils similaires à ceux de la circulation extracorporelle, donne une heure de plus que la précédente pour régler tous les problèmes qu’ils soient administratifs, familiaux, immunologique etc. Le délai entre la canulation et la transplantation devant alors être ‹ 240 min et non plus 180 min. « Nous avons été la première équipe à utiliser la CRN en France, technique plus compliquée à mettre en œuvre. Et quand nous la comparons avec l’hypothermie, les résultats sont bien meilleurs : reprise de la diurèse le jour même, moins de séances d’hémodialyse, de RRF, hospitalisation plus courte et bien meilleure créatininémie à un mois », précise le Pr Barrou.
Le greffon doit ensuite être préservé entre le prélèvement et la transplantation. Là encore, au lieu d’une préservation statique dans un liquide à 4 °C, la perfusion dynamique grâce à une pompe est préférable. En maintenant un flux, elle préserve mieux l’endothélium vasculaire, à qui revient le rôle d’assurer le premier choc entre le donneur et son greffon, et limite les complications ultérieures.
« Nous avons prouvé que, sur le plan médical, nous sommes capables de monter ces programmes avec de très bons résultats (93 % de survie des greffons avec 21 mois de recul). Mais ils demandent beaucoup de temps et beaucoup de personnes. La décision est maintenant politique : il s’agit de savoir si on veut nous en donner les moyens » conclut le Pr Barrou.
D’après un entretien avec le Pr Benoît BARROU, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, Paris.
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