Comment se positionnent les généralistes face à deux évolutions emblématiques de leur exercice, la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP ou paiement à la performance) et la coopération (souvent au stade expérimental) avec les infirmières ? Une enquête (1) de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES, ministère) lève le voile (document disponible en ligne).
• ROSP : adhésion massive, système jugé complexe et prime sous-estimée...
Même s’il faudra des années de recul pour mesurer l’impact de la rémunération sur objectifs sur la pratique, l’étude apporte des éléments d’éclairage inédits. Interrogés fin 2012, 95 % des généralistes de ville déclarent avoir adhéré au P4P mis en place par la CNAM en janvier 2012. Cette adhésion massive n’est nullement une surprise dès lors que, financièrement, les médecins avaient tout intérêt à rejoindre la ROSP. La généralisation du système avait été (cette fois) incluse dans la nouvelle convention (il fallait un refus par courrier pour ne pas en faire partie, environ 5 % des généralistes ont fait ce choix explicite).
Malgré leurs semaines de plus de 60 heures, le sujet a suscité un vif intérêt. Selon l’enquête, un généraliste sur trois déclare avoir pris connaissance « dans le détail » du nouveau système de rémunération, qui ne brille pas par sa simplicité (80 % des médecins le jugent complexe, relève l’étude).
Découvrant ce P4P à la française, les médecins affichent une assez forte confiance dans leur propre capacité à remplir les objectifs fixés. Environ 80 % des généralistes pensent ainsi être en mesure de tenir « la majorité des 29 objectifs ». En revanche, ils ne sont que 2 % à estiment pouvoir respecter la totalité. « Les hommes sont plus confiants que les femmes », précise l’enquête.
S’agissant de la finalité de la ROSP, la profession considère en grande majorité (83 %) que les objectifs ont été définis pour réaliser des économies ; mais pour 62 %, ces indicateurs visent aussi à améliorer la prise en charge des patients. Paradoxalement, deux tiers d’entre eux jugent que la ROSP ne va pas changer leurs pratiques.
Autre enseignement : les généralistes interrogés ont sous-estimé leur propre rémunération potentielle au titre de la ROSP. À l’issue de la première année de fonctionnement, les médecins traitants assurant le suivi de plus de 200 patients ont perçu une prime moyenne annuelle de 5 300 euros.
Or, les généralistes (à l’automne 2012, donc quelques mois seulement après le lancement) pariaient sur un bonus moins élevé : seuls 8 % espéraient dépasser la barre de 5 000 euros (10 % pensaient ne pas atteindre 500 euros, 16 % s’attendaient à être payés entre 500 et 2 000 euros, 22 % entre 2 000 et 5 000 euros et surtout près d’un sur deux ne s’était pas prononcé, dans l’incapacité de faire un pronostic).
• Coopération avec les infirmières : un praticien sur trois favorable au transfert de tâches mais...
D’une manière générale, un tiers des généralistes de ville se déclarent favorables à la délégation d’une ou plusieurs tâches à une infirmière qui serait rattachée à leur cabinet (pour quelques permanences dans la semaine).
Mais en réalité leur disposition varie avec le mode de rémunération du délégué-infirmier. « Plus le scénario engage les revenus des médecins, moins ceux-ci sont enclins à déléguer certaines tâches », relève l’étude.
Cette coopération est nettement plus souhaitée par le généraliste (deux tiers des cas) dans l’hypothèse où l’auxiliaire médical est entièrement rémunéré... par un forfait extérieur versé par l’assurance-maladie.
À l’inverse, seuls 18 % des généralistes adhèrent à l’idée de déléguer des tâches si la rémunération de l’infirmière est assumée par les revenus du cabinet. « Somme toute, l’accueil apparaît favorable mais pas enthousiaste », peut-on lire. Tous scénarios confondus, une part significative de généralistes oppose un « désaccord de principe » à la délégation de tâches, insiste l’étude.
Interrogés sur les principaux freins à la coopération, les médecins évoquent la difficulté de trouver une infirmière disponible, le risque de voir leur responsabilité légale engagée ou l’agencement inapproprié de leur cabinet. Un éventuel impact négatif sur la qualité des soins arrive en dernière position.
Quelles seraient, surtout, les tâches transférables aux infirmières ? Les médecins posent ici des limites à la coopération, les prescriptions et les gestes médicaux restant un terrain sensible.
La moitié seulement des praticiens sont disposés à déléguer la prescription de HbA1c pour un patient diabétique et 35 % à confier la réalisation d’un frottis cervical. En revanche, les actes d’éducation thérapeutique ou nutritionnelle, la surveillance de la tension artérielle ou encore l’accompagnement des patients dans l’arrêt du tabac sont plébiscités pour un éventuel transfert de tâches. « Il s’agit en partie d’activités que les infirmiers peuvent déjà réaliser de façon légale aujourd’hui », commentent, caustiques, les auteurs.
(1) Panel d’observation des pratiques et des conditions d’exercice en médecine générale.
Cette enquête a eu lieu à l’automne 2012. Au total, 2077 médecins ont été sollicités par courrier, puis par téléphone (1904 répondants). Les analyses ont été repondérées afin d’être représentatives de l’ensemble des médecins généralistes.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature