C'EST AU PRINTEMPS de 2002 que l'affaire des cas d'euthanasie du CHU de Besançon éclate au grand jour, dans une atmosphère délétère. Plusieurs infirmiers et aides-soignants du service de réanimation chirurgicale accusent certains médecins de pratiquer des «thérapies de fin de vie» jugées «choquantes».
Selon les conclusions de l'expertise médicale menée en 2004, sur dix-huit cas de patients décédés au service de réanimation chirurgicale du CHU entre 1998 et 2001, quatorze ont fait l'objet d'euthanasie. L'expertise concluait que, sur ces quatorze patients, dont l'état se situait «au-delà de toute ressource thérapeutique», quatre avaient subi une euthanasie «directe» par injection de produits létaux. Les dix autres décès procédaient d'euthanasie «indirecte», résultant de l'administration de substances antalgiques. C'est ce que la loi Leonetti sur la fin de vie (voir encadré), votée à l'unanimité en 2005, qualifie aujourd'hui d'acte à «double effet».
L'expertise médicale avait souligné par ailleurs que «l'équipe (médicale) était loin d'appliquer les règles de bonne pratique recommandées en réanimation» et que «les décisions non seulement n'étaient pas toujours collégiales, mais étaient parfois prises par un membre de l'équipe contre l'avis d'un autre membre». Seule une famille d'un patient décédé avait porté plainte dans cette affaire, mais sans constitution de partie civile. Selon le procureur de la République, Jean-Yves Coquillat, qui a repris le dossier en 2003, le plaignant «s'étonnait des conditions de décès de son parent et se plaignait de l'absence d'humanité d'un des médecins du service».
En 2003, le procureur avait reconnu qu'il aurait à prendre une décision «compliquée» et qu'il souhaitait le faire avec «humanité», en examinant les motivations de ces pratiques d'euthanasie et leur contexte. Au terme de cinq ans d'enquête préliminaire, il a maintenant décidé d'ouvrir une information judiciaire pour «empoisonnement de patients en fin de vie».
Circonstances compassionnelles.
Le président de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (Admd), Jean-Luc Romero, lequel estime la loi Leonetti insuffisante, espère que, dans cette affaire de Besançon, la justice «saura reconnaître s'il y a eu des gestes d'humanité et, si tel est le cas, se montrera clémente, démontrant une fois encore l'urgence d'une nouvelle législation».
En mars dernier, à l'issue du procès du Dr Laurence Tramois et de l'infirmière Chantal Chanel, le député Jean Leonetti (UMP, vient d'être réélu) avait appelé à «mieux appliquer» le texte législatif «avant de répondre par une autre loi à la souffrance de nos conci-toyens» (« le Quotidien » du 14 mars 2007). Selon lui, la loi de 2005 est «encore insuffisamment connue et quelquefois mal comprise du corps médical lui-même». Hostile à une légalisation formelle de l'euthanasie, le député a toutefois admis que certaines transgressions devraient être opposables aux juges dans le cas de «circonstances compassionnelles».
Ce que dit la loi Leonetti
Deux principes généraux sous-tendent la loi Leonetti du 22 avril 2005 : celui d'instaurer un droit à laisser mourir (et non à faire mourir) et celui de respecter l'autonomie du malade. Le renforcement des droits du malade passe par l'interdiction d'une obstination déraisonnable et la définition des procédures d'arrêt de traitement. Des obligations sont également imposées aux établissements de santé en matière d'organisation de soins palliatifs.
La loi permet de distinguer quatre situations, selon que le patient est en fin de vie ou non, selon qu'il est conscient ou non. Pour le malade inconscient, le médecin «peut décider de limiter ou d'arrêter un traitement inutile, disproportionné ou n'ayant d'autre objet que la seule prolongation artificielle de la vie de cette personne, après avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie et consulté la personne de confiance, la famille ou, à défaut, un de ses proches, et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne» (art. 9). Lorsque le malade, conscient et «en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable», décide de limiter ou d'arrêter tout traitement, le médecin a l'obligation de respecter sa volonté, «après l'avoir informé des conséquences de son choix». Le médecin est tenu de lui dispenser des soins palliatifs (art. 6). Dans la situation où un malade, qui n'est pas en fin de vie, refuse un traitement mettant sa vie en danger, le médecin «peut faire appel à un autre membre du corps médical. Dans tous les cas, le malade doit réitérer sa décision après un délai raisonnable» (art. 4). La loi précise par ailleurs que «si le médecin constate qu'il ne peut soulager la souffrance d'une personne, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable (...), qu'en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d'abréger sa vie, il doit en informer le malade (...), la personne de confiance, la famille ou, à défaut, un des proches» (art. 2). C'est l'acte à double effet.
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