Cet après-midi, douze médecins spécialistes de secteur I assignent la caisse primaire d'assurance-maladie (CPAM) de la Drôme devant le tribunal des affaires de Sécurité sociale (TASS) de Valence.
Leur objectif, selon la Coordination des médecins spécialistes de Drôme/Ardèche qui les soutient : « Contraindre (la caisse) à les laisser exercer en secteur II afin qu'ils puissent se donner les moyens de souscrire à l'obligation déontologique de moyens qui s'impose à eux » en termes de qualité des soins, d'assurance en responsabilité civile professionnelle et d'indépendance. « Rien ne s'oppose au passage en secteur II puisque le RCM [règlement conventionnel minimal de 1998 modifié le 25 septembre, NDLR] ne le stipule pas », explique l'un de ces douze médecins spécialistes de la Drôme, le Dr Jean-Paul Camou, qui est par ailleurs l'un des porte-parole de la Coordination nationale des médecins spécialistes (CNMS). Et, ajoute cet anesthésiste-réanimateur, si le RCM interdisait expressément le passage du secteur I à tarifs opposables au secteur II à honoraires libres, « il violerait l'article 5 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ». Car cet article précise que « la Loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société » et que « tout ce qui n'est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas ».
Les spécialistes de la Drôme qui ont saisi le TASS de Valence font partie des quelques 1 700 membres de l'Association pour l'ouverture du secteur II (APOS2), fondée au début de l'été 2002 par des ophtalmologistes. Pour le Dr Jean Leid, ophtalmologiste à Pau et secrétaire général de l'APOS2, le « fonds philosophique » de cette association loi 1901 est très simple : « On ne peut pas imaginer que des médecins dotés des mêmes compétences et des mêmes diplômes puissent avoir des régimes de rémunération différents ». Outrés par la discrimination engendrée par la coexistence de deux secteurs tarifaires, les médecins libéraux d'APOS2 (dont 35 % d'ophtalmologistes) espèrent obtenir à terme le feu vert de la justice pour exercer enfin en honoraires libres. Déjà 900 d'entre eux, selon le Dr Leid, ont engagé une procédure contre leur CPAM devant le tribunal administratif ou le TASS après avoir essuyé un refus de passage en secteur II.
Le succès de l'APOS2
Depuis la parution de la modification du RCM, il y a une semaine, le Dr Jean Leid se dit « assailli » par les coups de téléphone de confrères spécialistes désabusés qui s'en remettent désormais à l'APOS2 après avoir « perdu toute confiance dans les syndicats médicaux ». Le porte-parole de l'association enregistre maintenant « une vingtaine d'adhésions par jour », sans compter « des inscriptions massives de coordinations départementales », comme celles du Nord, du Rhône et de plusieurs départements de la région Centre.
« Trois facteurs importants font le jeu de l'APOS2 », analyse le Dr Leid, bien qu'il « n'en tire aucune gloire ». Parmi les spécialistes les plus affectés par le gel prolongé des tarifs opposables des consultations et de certains actes techniques (ophtalmologues, gynécologues-obstétriciens, dermatologues, pédiatres...), beaucoup avaient fondé leurs espoirs sur un geste du gouvernement à travers le nouveau RCM et sur la réforme de l'assurance-maladie. Or cette réforme a été repoussée d'un an.
Quant au RCM, qui instaure une majoration de 2 euros sur certaines consultations de secteur I mais ne prévoit rien sur la RCP, il est jugé largement insuffisant. Enfin et surtout, le jugement du TASS de Nancy en juillet dernier a déclenché « une accélération somptueuse » de la montée en charge de l'APOS2, souligne le Dr Leid. Le TASS de Nancy avait autorisé deux ophtalmologistes de secteur I à pratiquer des honoraires libres, au motif qu'aucune disposition du RCM de 1998 « n'a prévu d'interdire le passage d'un secteur à un autre » (« le Quotidien » du 17 juillet).
Plus récemment, le TASS de Boulogne-sur-Mer, saisi par six médecins, a déjà donné raison à trois d'entre eux (« le Quotidien » du 19 septembre). La CPAM de Boulogne-sur-Mer estime qu'elle a perdu « sur un point de procédure ». Pour un médecin spécialiste libéral, le RCM de 1998 prévoit que le choix du secteur d'exercice (si les critères de diplômes et d'expérience sont remplis) se fait soit au moment de la première installation, soit dans un délai d'un mois à partir de la réception du RCM pour les praticiens qui s'étaient « installés pour la première fois entre le 7 juin 1980 et le 1er décembre 1989 ». Or « le TASS a considéré que la CPAM avait l'obligation d'envoyer le RCM en lettre recommandée, ce qu'elle n'a pas fait », explique Laurence Noisette, responsable du service contentieux à la caisse de Boulogne-sur-Mer.
Botte secrète
Ces jugements, annoncés fièrement par l'APOS2 comme des « victoires », font l'objet d'appels suspensifs. En réalité, la « botte secrète » de l'APOS2 est ailleurs. Me Dominique Ménard, l'un des deux avocats nantais qui travaillent pour cette association, ne cache pas que « son immense victoire » n'a été remportée ni à Nancy ni à Boulogne-sur-Mer, où les jugements sont « sujets à recours », mais à Tours. Le 8 juillet dernier en effet, le TASS de Tours « a suivi la thèse » de Me Ménard dans la mesure où le tribunal « sursoit à statuer dans l'attente de la décision définitive de la juridiction administrative saisie du recours en annulation de l'arrêté du 13 novembre 1998 portant RCM ». En clair, cela signifie que le TASS de Tours attend pour se prononcer un arrêt du Conseil d'Etat pour savoir si, oui ou non, le RCM de 1998 est entaché d'illégalité. Comme la décision du TASS de Tours n'a fait l'objet d'aucun appel dans un délai de deux mois, Me Ménard se prépare maintenant à saisir directement le Conseil d'Etat « avant la fin de décembre ». Cet avocat sait que le Conseil d'Etat ne devrait pas se prononcer avant un « délai de 6-7 mois, voire un an », mais il a au moins « la certitude que la question de l'illégalité du RCM sera tranchée ».
En attendant, Me Ménard et son confrère Me Jean-Edouard Robiou du Pont voyagent de plus en plus pour plaider devant les TASS. Valence, Longwy, Chartres, Pau, Nevers, Laval, Lons-le-Saulnier, Bordeaux, Lyon, Annecy, Bobigny, Limoges sont les prochaines étapes de leur tour de France. « En gros, jusqu'à la fin de l'année, on sera dans des avions, des trains ou des voitures, vu le rythme de fixation des affaires », raconte Me Robiou du Pont. Les avocats nantais ont chaque fois sous le bras un argumentaire bien rodé invoquant à la fois « l'illégalité du RCM », « l'illégalité pour atteinte au principe de la liberté d'entreprendre » et « au droit de la concurrence ». Devant la multiplication des audiences depuis la rentrée judiciaire de septembre, la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM) affiche sa sérénité, en réaffirmant que « les textes du RCM sont clairs » sur les conditions d'installation en secteur II. Son directeur, Daniel Lenoir, a quand même envoyé le 18 septembre un argumentaire juridique prêt à l'emploi à l'ensemble du réseau de l'assurance-maladie.
En tout cas, les caisses ne sont peut-être pas au bout de leur peine, car l'APOS2, par la voix du Dr Leid, se dit « prête à aller jusqu'à la Cour européenne de justice » pour libérer ses médecins spécialistes de leur carcan tarifaire.
(1)APOS2: 16 rue du Général de Gaulle, 44210 PORNIC
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature