Décision Santé. Pouvez-vous nous dire comment vous vous répartissez les dossiers, entre Nora Berra et vous-même ?
Xavier Bertrand. Cela fait deux mois que nous travaillons ensemble et la répartition des dossiers s’est faite quasi naturellement. Il y a un certain nombre d’interlocuteurs que nous avons pu voir ensemble sur certains dossiers. Il n’y a pas de répartition stricte des dossiers. Je souhaite que Nora Berra ait une vision totalement transversale sur toutes les problématiques. Il n’y a pas de domaine réservé du ministre ! Par exemple, sur les suites du rapport Hubert, nous travaillons de concert. Mais Nora m’a fait part de sa volonté d’approfondir la question de la formation et l’enseignement supérieur.
Nora Berra. Nous avons des parcours qui se complètent. Nous avons également des affinités. Il est vrai que sur la question de la formation professionnelle, en tant que médecin, j’ai une acuité particulière. Sur les questions de santé publique également.
X. B. Nous nous connaissons depuis longtemps. Il faut savoir que je connais Nora depuis les élections municipales à Lyon où je suis allé la soutenir. J’ai vu qu’elle ne manquait pas de courage. Et nous nous sommes revus aux élections régionales.
D. S. A propos du Mediator, comment expliquez-vous une telle défaillance du système de veille sanitaire ?
X. B. C’est l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) qui va nous l’expliquer. Ce que je peux dire aujourd’hui, c’est qu’il y a présomption de dysfonctionnement grave. Cela fait trente-trois ans que le Mediator est commercialisé… Cette affaire nous interroge : comment rendre la pharmacovigilance encore plus efficace ? Nous avons bien conscience d’une chose : nous sommes dans une crise de confiance face au médicament. Nombre de nos concitoyens ont besoin de prendre des médicaments, mais se demandent, maintenant, s’ils ne prennent pas un risque. Cela va nous amener à prendre des mesures, peut-être radicales. C’est le prix de la confiance. Sur la question par exemple des conflits d’intérêt, la France a fait des progrès. Mais s’il y a de nouvelles mesures à prendre sur cette question, nous n’hésiterons pas une seule seconde. Nous voulons tout comprendre de ce qui s’est passé, mais nous voulons aussi renforcer le système du médicament, et donc a fortiori le système sanitaire.
N. B. Il faut ajouter que dès que les données ont été connues concernant ce médicament, nous avons sensibilisé la population à la nécessité d’aller consulter. Notre première action a été de penser au malade.
X. B. La priorité des priorités, ce sont les patients qui ont pris du Mediator, et dont la prise en charge doit être maximale. Le Mediator peut occasionner des valvulopathies, aujourd’hui, personne ne le conteste.
D. S. Les personnels de l’hôpital public sont actuellement en crise, comme l’a montré dernièrement la grève de l’hôpital Tenon. Quel message adressez-vous aux hospitaliers ?
X. B. Il n’y a pas une semaine sans que nous nous rendions à l’hôpital. Au ministère de la Santé, tout est prioritaire, l’hôpital également. Nous avons rencontré tous les syndicats de praticiens ensemble. Oublier l’hôpital ne serait pas une erreur, ce serait une faute ! Nous avons également rencontré les fédérations. Nous savons que la campagne hospitalière n’a pas été simple. Il faut donner de la visibilité à l’hôpital dès le début de l’année. C’est important pour les praticiens, les directeurs… Je tiens tout de même à les rassurer : l’Ondam va évoluer deux fois plus vite que la croissance : il n’y a pas d’autre secteur comparable. Pour nous la santé est aussi un contributeur de croissance. Je sais qu’à l’hôpital, actuellement, les choses sont compliquées, mais le problème de l’hôpital reste l’organisation. Le décloisonnement ville/hôpital est essentiel à nos yeux.
N. B. En filigrane se pose la question des agences régionales de santé. Actuellement, elles élaborent les schémas régionaux d’organisation des soins (Sros), qui prennent en compte bien entendu l’hôpital. La médecine de proximité ne peut pas être isolée… La première des priorités est le patient et sa prise en charge, à quelque moment que ce soit ! Un plan très ambitieux, Hôpital 2012, a été mis en place pour la recherche d’efficience à l’hôpital, mais jamais au détriment de la qualité des soins !
D. S. Justement, les hospitaliers attendent la deuxième tranche d’Hôpital 2012. Verra-t-elle le jour ?
X. B. Il y aura une deuxième tranche dès cette année, au deuxième semestre, mais nous devons examiner d’abord la pertinence des projets qui nous seront présentés.
N. B. Il est impératif de faire un bilan de la première tranche, pour savoir comment adapter, dans les schémas, cette offre hospitalière, pour qu’elle soit la plus pertinente possible.
D. S. Et que répondez-vous au malaise des hospitaliers ?
X. B. Nous avons eu un travail avec les quatre syndicats de PH, et je leur ai indiqué que je leur ferai en février des propositions d’orientation nouvelle. Il ne s’agit pas un seul instant d’imaginer que nous n’irions pas jusqu’au bout de la loi HPST, car il y a une vraie cohérence dans cette loi. Nous pensons qu’ils ont besoin d’avoir des marques de confiance : nous avons bien reçu le message. Il faut une plus grande organisation, chacun en a conscience. Mais nous n’oublierons pas de redonner du temps médical aux praticiens. Par ailleurs, la question de l’hôpital, c’est aussi l’amont et l’aval…
D. S. Le mot « rigueur » est-il tabou à l’hôpital ?
N. B. « Rigueur » veut dire que les budgets diminuent. Or, c’est faux, vous avez vu que l’Ondam progresse pour l’hôpital, la ville. Il n’est pas question de rigueur, il est question d’une meilleure gestion des dotations budgétaires. Il faut penser à mieux dépenser aujourd’hui, quand on sait qu’il y a des économies d’échelle à faire, en termes d’achats par exemple. Comment peut-on utiliser la comptabilité analytique pour des achats groupés ?
D. S. On parle pourtant de gel des Migac…
X. B. La campagne budgétaire, je vous l’ai dit, n’a pas été facile. Le respect de l’Ondam est une exigence absolue. On pourrait parler de rigueur si les budgets baissaient, ou s’ils stagnaient : or ils augmentent. Je veux bien qu’on parle de rigueur en Angleterre, en Irlande ou en Grèce, mais pas en France. Je préfère que les choses ne soient pas simples pour respecter l’Ondam, plutôt qu’elles deviennent impossibles parce que l’on aurait trop dépensé, comme l’ont fait certains pays. Quand on a la chance d’avoir le meilleur système de santé au monde, cela vaut la peine de se battre pour le conserver ! Et dans ces cas-là, il faut faire attention à ce que l’on dépense.
D. S. Le mécanisme même des Migac est-il condamné ?
X. B. Je suis très attaché aux Migac. La T2A est essentielle car elle apporte transparence et efficacité. Mais l’hôpital n’est pas un établissement comme les autres, et le principe même des Migac est important. Il y aura des moyens. Il y a un avenir pour les Migac.
D. S. Au sujet d’une circulaire qui autorise un comptable d’hôpital à avertir directement le directeur d’ARS sans en référer au directeur d’hôpital, les syndicats de cadres hospitaliers se sont plaints…
X. B. Vous imaginez un comptable référer à l’ARS sans même en parler à son directeur ? Cela voudrait dire qu’il y a une crise de confiance… Mais il y a nécessité à informer l’ARS de ce qui se passe à l’hôpital. Sur la circulaire que vous évoquez, nous avons remis les choses dans l’ordre. Annie Podeur (NDLR. Directrice de la DGOS) s’est exprimée devant les directeurs d’établissement. Nous sommes revenus à de meilleures dispositions. Il n’y a plus de contestations de la part des chefs d’établissement. Il est vrai que la circulaire était un peu rude et a été mal comprise. Les circulaires doivent être concertées. Quand on peut éviter les formules qui font peur, c’est mieux, voilà ! Prendre le temps de la concertation, ce n’est pas perdre son temps !
D. S. Qu’en est-il des amendes que doivent payer les hôpitaux suite aux contrôles T2A, et dont les montants paraissent disproportionnés aux dires de certains directeurs ?
X. B. Il faut savoir de quoi l’on parle, d’erreur de codage ou de surcodage. Et il faut considérer la situation hôpital par hôpital. Peut-être que dans certains hôpitaux la sanction a été un peu lourde…
D. S. Y a-t-il un avenir pour les petits hôpitaux avec la fermeture annoncée des blocs chirurgicaux ?
X. B. La question essentielle, c’est l’accès aux soins de qualité. Les hôpitaux vont-ils fermer ? Non. Cela fait belle lurette que les patients veulent éviter la confusion entre les soins de proximité, la prise en charge des urgences, et les opérations programmées. L’avenir, c’est la coopération. A Saint-Quentin, ville dont je suis issu, notre CHG travaillera davantage avec Verone et Chauny, et pas seulement pour les soins de suite et de réadaptation. Certains hôpitaux devront certainement se reconvertir, car depuis des années nous avons fait des erreurs sans pareilles. La démographie médicale a aussi chuté dans certains secteurs car l’on a pensé à tort que s’il y avait moins de médecins, ça coûterait moins cher à l’assurance maladie. L’idée est complètement absurde ! Les besoins de santé doivent être pris en charge. Il y aura des établissements qui se reconvertiront mais pas pour des raisons d’économie. Car opérer à 10 kilomètres de chez soi implique des dépenses en transport sanitaire… C’est avant tout une logique de sécurité des soins !
N. B. Sur la question de la coopération, nous adoptons maintenant, au-delà du public et du privé, de l’hospitalier et de l’ambulatoire, une démarche globale.
D. S. Qu’en est-il de la RCP des obstétriciens et des chirurgiens libéraux ?
X. B. Il y a des décrets et des montants qui n’ont pas été réévalués depuis 2006. Ces problèmes concernent dans un premier temps les gynécologues, les obstétriciens et les anesthésistes. Mais ils ne sont pas les seuls concernés. Il faut aussi faire attention à la dérive de la judiciarisation. Il ne faut pas que la situation évolue à l’américaine. Mais, pour évaluer la situation, il faut des éléments clés que va nous fournir le rapport de Gilles Johanet (NDLR. Ancien directeur de la Cnamts et ancien directeur général adjoint du groupe AGF devenu Allianz). Il faut qu’il nous fasse des propositions clés en main. Ensuite, nous engagerons, Nora Berra et moi-même, dans les quinze jours qui suivront la remise du rapport Johanet, des concertations. Je ne pense pas que les mesures qui seront prises coûteront cher. Quand on connaît le dossier, on sait que les besoins ne sont pas si importants que cela. Gérer la pénurie (médicale) coûtera beaucoup plus cher, et pas seulement en termes financiers. Qui plus est, les problèmes de ces spécialistes seront bientôt partagés par l’ensemble des praticiens : nous commençons déjà par connaître des problèmes de retard de diagnostic chez des généralistes. Il faut assurer la sécurité des soins pour les patients, mais aussi la tranquillité juridique des professionnels.
D. S. Que vont devenir les Chu qui ne seront pas sélectionnés parmi les IHU ?
X. B. Un IHU ne remplace pas un CHU. S’il y avait eu entre 10 et 20 IHU, on aurait pu penser que l’on allait créer des Chu de première et de seconde catégories. Mais avec cinq IHU, la logique n’est pas la même.
N. B. Avec les IHU, nous sommes dans une logique d’investissement d’avenir. Qu’est-ce que des IHU, sinon des pôles d’excellence ? Les IHU vont réclamer des connaissances très pointues dans un domaine précis. Cela veut-il dire pour autant que les CHU seront de seconde catégorie ? Je m’oppose clairement à cette vision des choses. Cela ne veut pas dire que nous n’aurons pas d’autres pôles d’excellence, ailleurs, sous d’autres formes.
D. S. A-t-on les moyens de faire progresser notre système de santé ?
X. B. Oui, tout à fait. Un système de santé ne peut pas se nourrir d’inquiétude. Nous savons que la santé compte beaucoup pour nos concitoyens, mais nous savons aussi que nos moyens ne sont pas sans limite. Nous avons fait, longtemps, des choix absurdes, de droite et de gauche : le numerus clausus est une absurdité. Jouer le malthusianisme en matière de santé, c’est un choix absurde.
D. S. Cela veut-il dire qu’il y aura plus d’étudiants admis au concours dès cette année ?
X. B. Je ne sais pas. Cela relève aussi du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Imaginez qu’il y aura beaucoup plus de temps partiel, dans les années qui viennent, et qui ne concerneront pas seulement la gent féminine. Il y aura des pratiques professionnelles différentes, des professeurs associés à mi-temps… Voilà des questions pratiques auxquelles je vais m’atteler durant cette année et demi avant le rendez-vous de la présidentielle.
D. S. Qu’en est-il du deuxième plan Maladies rares ?
X. B. Les professionnels sont d’accord avec moi pour dire qu’ils préfèrent un plan plus lent à se mettre en œuvre, mais mieux concerté. N’oublions pas non plus que le plan « anti-douleur » doit être présenté. Je ne veux pas que nos plans soient uniquement concoctés par nos services. Par exemple, personne maintenant ne nous reproche de ne pas avoir publié le décret sur le DPC lorsque nous sommes arrivés. Nous avons préféré consulter la profession. Et nous en sommes arrivés à établir la parité entre les tutelles et les professions de santé au sein de l’organisme de gestion du DPC.
D. S. Qu’en est-il des plans de santé publique et tout particulièrement de la psychiatrie ?
X. B. Concernant la révision de la loi de 1990, nous avons une date limite fixée par le Conseil constitutionnel, qui est juillet 2011. Il est nécessaire de faire évoluer cette réflexion, mais nous ne sommes pas là sur un sujet conflictuel.
N. B. Nous allons faire évoluer la loi de 1990, avec des changements importants, pour la continuité de la prise en charge. C’est le parcours de soins du patient psychiatrique qui est en jeu. Il faut que l’on dise comment s’organisera la prise en charge en ambulatoire.
X. B. Par ailleurs, si un patient ne se présente plus à un entretien, il y a certainement des décisions à prendre. L’enjeu du « lien » est fondamental. Il faut protéger le patient, mais aussi la société. Mais nous sommes bien dans une logique sanitaire.
D. S. Et la nouvelle loi de santé publique, c’est bien pour 2011 ?
X. B. Il y a actuellement de nombreux chantiers. Je préfère les approfondir, mener des concertations, plutôt que d’ouvrir un nouveau chantier. Mais nous allons commencer à réfléchir dès cette année à cette nouvelle loi de santé publique.
D. S. Sur la loi de bioéthique, on a l’impression qu’il est urgent de ne rien faire ?
X. B. Ce ne sont pas des sujets faciles, c’est vrai. Le rôle du politique est de veiller à préserver cet équilibre entre les nécessités de la recherche, et le respect de l’intégrité du corps humain. Je pense que la France n’est pas en retard sur ces questions.
N. B. il faut préserver la dignité des êtres humains. C’est une question qui nous interpelle tous.
D. S. Le don d’ovocytes est-il légitime ?
X. B. Ce n’est pas parce que certains pays, comme l’Espagne, ont une législation différente de la nôtre sur cette question que nous devons tout modifier en France. Faut-il accepter des formes de marchandisation du corps humain parce que certains pays le font ? C’est aussi pour cela que ce n’est pas seulement une question d’experts et de scientifiques, mais aussi une question qui interpelle chacun.
D. S. Et la médecine du travail ?
X. B. Une proposition de loi va être portée par le groupe centriste en février à l’Assemblée nationale. Le Conseil constitutionnel avait opposé son veto, au sujet des « véhicules législatifs » (la réforme de la médecine du travail, présentée dans le cadre de la réforme des retraites, avait été retoquée par le Conseil constitutionnel, au motif qu’il s’agissait d’un cavalier législatif, NDLR), mais ce n’était pas sur le fond. Nous en profiterons pour affirmer qu’il n’y a pas l’ombre d’une inquiétude à avoir sur l’indépendance de la médecine du travail. L’heure n’est plus aux grandes lois. Une fin de quinquennat n’est pas un début de quinquennat. Mettons en place des mesures simples et pragmatiques, en défendant cet objectif : garder le meilleur système de santé à la fin de cette décennie. Le principal sujet reste l’accès aux soins.
N. B. Pour atteindre cet objectif nous avons maintenant des outils formidables que sont les agences régionales de santé (ARS). Les décisions, désormais, sont le fruit de l’identification des besoins sur un territoire donné.
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