LE « NON » EXORCISE. Le « non » est rédempteur. Le « non » purifie. Quiconque a un peu observé la campagne du référendum en Irlande a assisté à un débat identique à celui des Français en 2005 : un immense conflit d'ego, au sein duquel le citoyen lambda ne pouvait acquérir un minimum d'importance s'il ne devenait pas le rouage qui bloque la machine. C'est ainsi : la démocratie traduit les idées de quelques hommes éclairés : elle est ensuite pervertie par la démagogie, le populisme, une formidable mauvaise foi. Demandez à de Gaulle, demandez à Chirac, demandez même à Mitterrand (qui n'a obtenu le « oui » à Maastricht qu'à l'arraché) si cela vaut vraiment la peine de soumettre un projet complexe à un référendum : le simple fait de consulter un peuple dans sa totalité appelle irrésistiblement le « non ».
La liberté de détruire.
On peut donc faire de multiples reproches aux Irlandais, et nous allons le faire, mais ils ne sont ni pires ni meilleurs que des Français ou des Néerlandais. Dans la notion de liberté, il y a la liberté de détruire. Pour tout individu, la construction européenne, qui consiste tout simplement à proposer aux Européens de déterminer l'Histoire au lieu de la subir (comme cela a été fait pour les États-Unis d'Amérique et pour Israël), c'est un Meccano qu'il faut démolir. Ils sont contents comme des gosses qui auraient brûlé leurs livres de classe dans un feu de joie. Ils ont cassé l'Europe.
RECOURIR AU REFERENDUM, C'EST OBTENIR UN "NON" ASSURE
Mais qui sont les Irlandais ? Un peu hâtivement, peut-être, François Fillon disait jeudi dernier que leur « non » signifiait l'annulation du traité de Lisbonne. Pourtant, le « non » de 4,5 millions d'Irlandais n'est pas comparable à celui de 63 millions de Français ; la situation géographique de l'Irlande, dont la population représente 1 % des habitants de l'Union européenne, n'est comparable ni à celle de la France, ni même à celle des Pays-Bas, enclavés dans l'Europe et membre fondateur.
Il ne s'agit pas de considérer les Irlandais comme quantité négligeable. Il s'agit seulement de mesurer le pouvoir destructeur dont ils se sont dotés et qui est sans commune mesure avec leur réelle influence ; il s'agit de noter qu'ils ont voté au nom de ce qu'ils considèrent comme leurs intérêts nationaux bien compris ; il s'agit de leur accorder sans réserves la responsabilité qu'ils ont voulu prendre. Il s'agit de respecter leur décision et de leur dire au revoir.
Il ne s'agit pas non plus de les chasser de l'Europe. Simplement, s'ils ne veulent pas y être, pourquoi l'UE ne continuerait-elle pas à 26, quitte à attendre une évolution inévitable de l'Irlande à la faveur des changements économiques et sociaux qui ne manqueront pas de se produire ? Pourquoi, dès lors que l'Irlande n'est ni un membre fondateur de la CEE, ni un poids lourd démographique, ne pas se passer de l'Irlande ? Cela commencerait par nous empêcher de l'accabler de récriminations, de lui rappeler les 40 milliards d'euros que l'UE a donnés aux Irlandais pour qu'ils accomplissent, à leur tour, et de quelle manière, leur miracle économique. Cela nous éviterait de la supplier, ce qui n'est jamais digne. Cela nous éviterait de tomber une fois de plus dans la prostration qui a suivi le « non » de 2005. Cela nous éviterait d'être la risée des Russes et des Américains, peu soucieux d'assister à l'avènement de l'immense puissance que nous étions en train de construire. Cela mettrait un terme aux commentaires ravis que les communistes, les villiéristes, les souverainistes ont faits dès 14 ou 15 heures vendredi, sans même attendre la confirmation de la victoire des « nonistes » irlandais. En tout cas, rien n'empêche de poursuivre les ratifications, comme l'ont demandé Angela Merkel et Nicolas Sarkozy.
Il faut un chef pour l'Europe.
À l'idée qu'il y a une vie sans l'Irlande, on ajoutera la notion suivante : l'Europe ne souffre pas d'être trop envahissante, mais d'être insuffisante ; elle n'est pas détestable parce qu'elle se mêle trop de notre vie quotidienne, mais parce qu'elle ne sait pas encore l'améliorer. Il est scandaleux qu'elle soit incapable d'adopter rapidement une politique fiscale de l'énergie pour les consommateurs européens, qu'elle nous laisse tous souffrir d'un pétrole trop cher sans nous donner rapidement un remède.
C'est bien pourquoi il faut un gouvernement de l'Europe et non une commission de technocrates. Il faut des dirigeants européens doués d'un sens politique, non de connnaissances techniques. Il faut un chef qui comprenne l'urgence d'une crise comme celle de l'énergie et qui prenne des mesures presque instantanées pour alléger l'accablant fardeau énergétique, au lieu de laisser faire les routiers, les pêcheurs, les transporteurs et les transportés.
En effet, chaque fois qu'un peuple dit « non » à l'Europe, c'est au premier chef parce que la Commission de Bruxelles lui semble arrogante, inefficace, ignorante de la condition des gens, éloignée de leurs préoccupations ; c'est parce que Bruxelles sait tout nous dire, sauf ce qui nous intéresse ; c'est parce que l'Europe réglemente au lieu de gouverner, va jusqu'à se mêler de notre intimité, sans pour autant réagir avec force à une crise qui n'épargne aucun d'entre nous. Bref, le « non » de l'Irlande est la faute des Irlandais, mais aussi celle d'institutions européennes trop éloignées de leurs administrés.
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