Où trouver dix milliards d’économies ?

Publié le 26/04/2014
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Dix milliards en trois ans. C’est donc l’effort que doit faire l’assurance maladie dans le cadre du plan d’économies de l’État. La ministre de la Santé a annoncé les principales pistes pour les réaliser. Mais sont-ce les seules possibles ?

Les dix milliards d’économies entre 2015 et 2017 assignés à l’assurance maladie doivent participer à un effort global de 50 milliards d’euros de l’ensemble des finances publiques (État, collectivités territoriales et comptes sociaux). Ces dix milliards viennent s’ajouter aux 8,5 milliards d’économies, au déficit réduit de trois milliards que prévoyait déjà la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2014 et à la sous-réalisation de l’Ondam de ces dernières années. Autant dire que les dépenses d’assurance maladie ne peuvent pas être accusées de laxisme financier, alors même que la population continue de vieillir et que l’innovation en santé s’affirme comme une nécessité coûteuse.

Dans ce contexte de vertu financière, l’hôpital est encore montré du doigt et la vox des experts le désigne comme devant être le principal contributeur, avec le médicament, des efforts à faire dans les trois prochaines années. La ministre de la Santé l’a confirmé fin avril par voie de presse (Les Échos du 25 et 26 avril) en confirmant des pistes largement identifiées : atteindre une opération sur deux en ambulatoire dès 2016 ; optimiser les politiques d’achat et résorber le recours excessif aux médecins intérimaires, ces deux objectifs devant apporter deux milliards d’économies. Enfin, la ministre compte sur la lutte contre les actes inutiles et redondants, qui concerne la ville comme l’hôpital, pour réaliser 2,5 milliards d’économies d’ici à 2017.

Décroissance hospitalière

Pour l’économiste Claude Le Pen, professeur de sciences économiques à Paris-Dauphine et président du Collège des économistes de la santé, le chiffre de dix milliards sur trois ans est tout à fait « absorbable » par le système. Avec de nombreux observateurs, y compris syndicaux, il souligne que les finances publiques de la France ne permettent pas un autre choix que de réduire la voilure sous peine d’explosion totale du système. En revanche, Claude Le Pen, qui s’exprimait le 29 avril dans un symposium organisé dans le cadre des Proximi à l’Hôpital américain de Neuilly sur la nouvelle donne de la médecine libérale*, regrette que ce plan soit trop peu ambitieux pour avoir un effet structurel, tout en constituant un coup de rabot assez important pour faire mal. En somme, la solution de simplement raboter les dépenses permettra de faire les économies visées, mais ne permettra pas de préparer l’avenir en procédant à la fameuse réforme structurelle appelée de leurs vœux par tous les économistes de la santé depuis dix ans. Un avis partagé, lors du même débat, chacun selon sa propre grille de lecture, par les représentants des deux fédérations hospitalières, Frédéric Valletoux pour la Fédération hospitalière de France (FHF) et Jean-Loup Durousset pour la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP), ainsi que par le Dr Jean-François Rey, président de l’Union nationale des professionnels de santé (UNPS).

Concernant le détail des économies annoncées, Benoît Péricard, directeur des activités santé du cabinet d’audit KPMG, ancien directeur d’ARH (agence régionale de l’hospitalisation) de la Loire et ancien directeur du CHU de Nancy, estime que le développement de l’ambulatoire et le travail sur le parcours de soin permettront en effet d’agir sur l’un des symptômes des dysfonctionnements actuels, à savoir les urgences. « Les urgences hospitalières ont pris de l’ampleur de façon considérable ces quinze dernières années et représentent un coût relativement élevé. Si l’on veut faire une vraie politique hospitalière courageuse, il faut diminuer les urgences au profit des médecines ambulatoire et générale, qui demeurent les grandes oubliées des politiques publiques en matière de santé et qui, pourtant, sont celles qui coûtent le moins chères. »

En somme une politique hospitalière courageuse serait d’investir sur la médecine libérale de ville. Encore faudra-t-il, souligne Didier Tabuteau, responsable de la chaire santé de Sciences Po Paris, oser réformer la gouvernance du système et la répartition entre la ville et l’hôpital. « L’évolution des budgets hospitaliers doit suivre l’évolution des activités hospitalières, souligne-t-il. En outre, transférer les activités de la médecine hospitalière vers la médecine de ville suppose de coordonner les deux et d’avoir un seul pilote. On pourra alors faire évoluer le système hospitalier en réorientant son activité, restructurer les budgets hospitaliers et réduire les effectifs de manière significative sans dégrader la qualité du service public. »

Le verdict est sans appel pour ces deux observateurs du secteur, adepte d’une forte régulation, pour ne pas dire « décroissance », du secteur hospitalier. « Relancer une politique de régulation hospitalière vigoureuse est nécessaire si l’on veut réaliser des économies structurelles, estime Benoît Péricard. Il convient alors de restructurer les plateaux techniques. L’Orne, un territoire d’environ 300 000 habitants, compte sept plateaux techniques : c’est aberrant ! Cela a été initié au début des ARH. Mais la France fait face à une grande réticence de la part des syndicats et des élus locaux. » Pour Benoît Péricard, la solution serait notamment d’amorcer une « politique de différenciation régionale » en comparant les régions les plus vertueuses à celles plus dépensières.

Sans forcément leur emboîter le pas sur la réduction du secteur, nombre d’acteurs hospitaliers sont prêts à jouer le jeu de la maîtrise des coûts et de l’optimisation du secteur hospitalier. « Pour autant que le gouvernement agisse en toute transparence à égalité de traitement entre acteurs hospitaliers », précise néanmoins Jean-Loup Durousset, président de la FHP. Sous cette réserve, il est prêt à se mettre autour de la table avec tous les acteurs pour réfléchir à la meilleure manière de faire 5 % d’économie.

Outils de suivi des prescriptions

Jean-Claude Deharo, chef de service de cardiologie et rythmologie à l’hôpital de la Timone à Marseille, empruntant la voie tracée par la Fédération hospitalière de France (FHF), admet la nécessité d’être plus vigilant sur les actes et prescriptions inutiles. Mais il réclame pour cela un dossier médical informatisé et partagé entre les acteurs. Il exprime ainsi un sentiment largement partagé par les praticiens : disposer enfin d’outils permettant de mieux se coordonner autour de la prise en charge des patients. Un chantier qui coûte avant de rapporter. Mais l’enjeu est bien réel : « 30 % des actes seraient inutiles, souligne Claude Rambaud, l’ancienne présidente du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss), y compris dans certaines disciplines chirurgicales : l’assurance maladie a pointé un certain nombre de surmédicalisations, concernant notamment la hernie discale ou l’endoscopie digestive. Il y a aussi une surprescription d’examens biologiques, dont 30 % seraient apparemment superflus. Cela rapporterait 30 milliards d’euros à l’Ondam ! » Claude Rambaud incite également à se pencher sur la gestion administrative : « Une étude du docteur Margaret Chan, la directrice générale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) affirme que l’on subit entre 20 et 40 % de pertes dues à une mauvaise organisation... »

RH et T2A

De son côté, Bertrand Bailleul, directeur de l’établissement mutualiste Saint-Jean, à Gennevilliers (Hauts-de-Seine) et président du Forum européen des managers en santé, plaide entre autres pour la lutte contre l’absentéisme en réintroduisant la journée de carence et en remettant à plat le système de rémunération des médecins, « une véritable jungle ». Deux exemples parmi les nombreux travaux à mener sur le poste qui représente 70 % des dépenses des hôpitaux, à savoir le personnel. Un poste pour lequel Frédéric Valletoux voudrait enfin obtenir plus de souplesse de gestion et pour lequel il voudrait ne plus subir les évolutions sans avoir son mot à dire. « Aujourd’hui, rappelait-il lors du débat du 29 avril, l’évolution de 70 % du budget d’un établissement se négocie entre les syndicats et le ministre de la Fonction publique. Les directeurs d’hôpitaux n’ont aucune prise sur ce paramètre essentiel de leur gestion. »

Concernant le mode de financement des établissements, Bertrand Bailleul recommande également d’étendre enfin la tarification à l’activité (T2A) aux établissements de soins de suite et de réadaptation (SSR) publics et privés non lucratifs. Une piste qui suscite la prudence de Benoît Péricard, à l’heure où l’on veut réintroduire une dose de budget global dans le secteur MCO. La FHF, quant à elle, propose, entre autres, de supprimer la bureaucratie du système et de « subordonner les autorisations d’activités et d’équipements aux seuls offreurs de soins engagés dans le service public » (lire également en encadré).

Ce qui pourrait ressembler à une liste à la Prévert montre surtout que les pistes d’économies sont nombreuses… et connues depuis longtemps pour la plupart. Ce qui explique aussi la réserve, voire la lassitude des acteurs et des observateurs vis-à-vis des intentions gouvernementales. Quand les uns ont le sentiment de rabâcher une fois de plus les mêmes analyses, les autres craignent des économies à l’aveugle, plus aptes à déstabiliser un peu plus l’hôpital qu’à le renforcer par l’ascèse…

* Symposium organisé à l’Hôpital américain de Paris par le Dr Jean-Marc Emmanuelli le 29 avril 2014 avec le partenariat de Décision Santé.
Frédérique Josse avec Grégoire Sévan.

Source : Décision Santé: 296