A FFECTION rare, l'ostéogenèse imparfaite ou maladie des os de verre est une maladie génétique transmise ou résultant d'une mutation, dont les différentes formes sont d'expression et de sévérité très variées.
Ce qui la caractérise le plus, et ce qui est le plus difficile à supporter, c'est son caractère imprévisible ; car, contrairement aux pathologies d'évolution progressive, elle n'est pas linéaire, mais émaillée de fractures multiples, spontanées survenant dès la vie in utero ou, plus tard, secondaires aux manipulations, aux chutes ou aux collisions. Ces événements imprévus et traumatisants sont très pénibles pour des parents actifs, engagés dans des impératifs de dates et des contraintes diverses. Cependant, lorsque la maman d'un enfant atteint d'une dysplasie osseuse a une activité professionnelle qui lui convient, il est préférable qu'elle la poursuive de manière à ne pas être tentée de s'investir totalement, avec un sentiment d'impuissance, dans la relation mère-enfant. « Cela lui évite de porter seule la responsabilité entière de ce qui lui arrive », pense Pierre Verhaeghe, le père du malade.
L'Association de l'ostéogenèse imparfaite
Collègues et amis sont d'un grand soutien ; tout comme, pour certains, les échanges au sein de l'Association de l'ostéogenèse imparfaite créée en 1985.
Dans les premières années, surtout, le moment du biberon, du change, de l'habillage sont autant d'occasion de fractures insupportablement douloureuses ; l'enfant souffre, pleure constamment, et sa souffrance est psychologiquement intolérable pour les parents et l'entourage - les interactions émotionnelles de la fratrie, essentielles, sont encore très peu évoquées, sauf dans les pays anglo-saxons. Devant une telle situation, la manière de réagir dépend de la personnalité des parents et surtout de la structure du couple. Son frère et sa sur ont aussi un très grand rôle.
L'angoisse par anticipation
« Il y a dix ans, je n'aurais pas pu en parler », affirme Pierre Verhaeghe. « Je me souviens qu'après l'annonce de la maladie un an et demi de ma vie a été effacé, car pendant tout ce laps de temps, aucun projet n'a été possible pour l'ensemble de la famille. Il faut assumer non seulement sur le plan psychologique l'enfant qui souffre et pleure, mais également physiquement, avec les réveils nocturnes, le porter avec un énorme plâtre pelvi-pédieux... la fatigue qui s'accumule, les responsabilités professionnelles à assurer. L'angoisse d'un nouvel accident fracturaire est anticipée, ce qui la majore d'autant plus.
« Bien sûr, le parcours n'est pas transposable d'un individu à un autre, et notre expérience n'est pas celle des autres parents. »
Intolérable incertitude
Cependant, en tant que membre d'une association internationale, Pierre Verhaeghe constate qu'il existe une similitude dans les réactions des familles, du moins en Europe occidentale, l'entourage décrivant les mêmes angoisses et incertitudes face au caractère imprévisible de l'ostéogenèse imparfaite.
L'acceptation est impossible
« Ne pas savoir ce que vous réserve le lendemain est extrêmement déconcertant et déstabilisant. Ou bien on se fige dans la douleur et le désespoir, ou bien on organise le quotidien afin d'assumer - car on n'accepte pas, jamais, mais on organise la vie de manière que cela soit endurable. » Et lorsqu'il décrit les aspects de la vie quotidienne, on comprend bien que, du fait qu'on ne peut rien planifier vraiment, on s'organise constamment de façon à être paré au cas où... D'abord, le break, premier conseil à donner aux parents concernés : « La voiture doit obligatoirement être un break, c'est le premier achat indispensable. Elle sert, à l'occasion, d'ambulance, quand survient une fracture et contient les attelles d'immobilisation, les antalgiques, tout le matériel est prêt, toujours ». La réalité est décrite par quelques mots à connotation guerrière : combat, lutte, défis, dispositif...
L'école a assumé le risque (inter à revoir)???
Le directeur de l'établissement scolaire d'Etienne - le même que celui de ses frère et sur - a accepté le risque que représente son handicap, mais son caractère fluctuant le rend plus difficile à assumer par l'école, en règle générale : il est plus aisé de s'accommoder d'une déficience « fixée », par exemple un fauteuil roulant, toujours, ou les cannes, toujours ; mais passer de l'un à l'autre suppose une souplesse, des capacités d'adaptation importantes, et pas seulement des aménagements mobiliers.
Les conseils et les aménagements utiles
Le Pr Pierre Verhaeghe a proposé à l'équipe enseignante une sorte de formation sur l'ostéogenèse imparfaite, ses complications, les gestes à faire ou ne pas faire, les explications permettant toujours de réduire l'appréhension et de gérer au mieux, notamment le placement d'une attelle d'immobilisation, qui diminue de moitié la douleur fracturaire. Etienne peut la placer lui-même. L'important est de « ne pas avoir peur » et de « savoir qu'on ne sera pas tenu pour responsable si un problème survient » ; en effet, la culpabilisation est très fréquente, même parmi le personnel soignant.
En cour de récréation, le fauteuil roulant d'Etienne lui sert de bouclier, de protection, d'armure, et cette utilisation rassure tant l'enfant que les professeurs. De nombreux ajustements aident ces enfants qui ont une faiblesse musculaire secondaire à ce type d'affection : posséder deux séries de livres, une pour la classe et une pour la maison, utiliser un cartable à roulettes, se servir d'une table ajustable, inclinable ; on peut également réduire la fatigue en permettant les réponses orales aux examens plutôt qu'écrites, etc. De même, en cas d'immobilisation, de déformation ou de fragilité très importantes, on autorise les sorties de classe décalées, le passage à la cantine facilité, l'utilisation d'un ordinateur.
La victoire en classe de neige
La classe verte a constitué une grande expérience d'intégration pour Etienne, mais peut-être pas autant que sa participation à une classe de neige lorsqu'il avait 8-9 ans. « Il avait tout anticipé, démonté toutes les difficultés, et démontré point par point comment cela serait possible. » Avec opiniâtreté, il a fait en sorte que ce projet de classe devienne une réalité pour lui. Comme il se connaît bien, il sait ses limites et reconnaît les endroits dangereux : « Dans les lieux collectifs, rien n'est plus risqué que les sols glissants des salles de bains. »
Le contact précoce et répété avec les membres des diverses disciplines médicales et paramédicales lui a donné une connaissance impressionnante des adultes et une maturité exceptionnelle, ce qui n'est pas sans poser de problèmes d'autorité : sa perception est si affinée qu'il peut lui être difficile d'admettre certains aspects de la discipline.
Comme c'est souvent le cas dans les affections chroniques graves, l'ostéogenèse imparfaite extirpe au fond de soi inventivité, disponibilité et patience. « Les malades sont des saints », nous a récemment confié un néphrologue, évoquant ses dialysés ; les famille des malades aussi... quelquefois.
D'après un entretien avec le Pr Pierre Verhaeghe.
Une transparence osseuse excessive
L'ostéogenèse imparfaite (OI) fait partie des ostéochondrodysplasies, maladies osseuses constitutionnelles caractérisées par une transparence osseuse excessive ; l'étude moléculaire du collagène a confirmé récemment sa grande hétérogénéité. La classification de David Sillence, basée sur des critères cliniques et radiologiques, est la plus utilisée, bien que controversée ; elle vient d'être affinée par Francis Glorieux avec des critères histomorphométriques. Grossièrement, il est possible de classer cette pathologie en quatre classes de gravité croissante : type I < type IV < type III << type II. Le type II est souvent létal ; les enfants, souvent prématurés, au crâne large, au thorax déformé et « pattes en grenouille » succombent à une insuffisance respiratoire. Le type III est une forme progressivement déformante ; les enfants, au faciès triangulaire, développent presque tous une scoliose souvent sévère. Les types I et IV constituent les formes moins sévères, le type IV étant plus sévère que le type I.
L'OI est le plus souvent secondaire à une mutation dominante, mais une transmission autosomique récessive a pu être observée (type VI récemment décrit). L'existence de formes spontanément régressives, exceptionnelles, a pu être rapportée : elles ne justifient pas l'abstention thérapeutique mais un suivi régulier de l'enfant, notamment ostéodensitométrique, pour vérifier cette évolution favorable et ne pas laisser passer l'heure thérapeutique. Chez la moitié des OI, les dents sont translucides, de mauvaise qualité. L'hyperlaxité ligamentaire est habituelle, la musculature, souvent hypotrophique, est encore détériorée par l'immobilisation postfracturaire qui doit être la plus courte possible.
Le traitement de l'ostéogenèse imparfaite, essentiellement chirurgical et rééducatif jusque récemment, a beaucoup bénéficié de l'apport du pamidronate. L'enclouage des os longs, en cas de fractures répétées ou de déformations sévères des os longs, a constitué la révolution thérapeutique des années soixante-dix. La rééducation précoce et prolongée des enfants OI, visant à lutter contre l'immobilisation, permet de développer leur schéma psychomoteur. Actuellement, la prise en charge des enfants OI ne se conçoit plus en dehors d'une prise en charge multidisciplinaire où le médecin généraliste joue un rôle important au sein du réseau. L'efficacité du pamidronate chez l'enfant OI n'est plus discutée pour les types II, III et IV ; quelques interrogations persistantes expliquent que l'accord ne soit pas unanime en France pour traiter les OI de type I.
A l'heure actuelle, la question posée chez l'enfant n'est plus celle de l'efficacité du pamidronate mais celle des critères d'arrêt du traitement : densité osseuse normale ? Absence de progression de la densité osseuse ? Ainsi s'explique que ce bisphosphonate ne doive pas être administré au coup par coup, mais dans le cadre du schéma thérapeutique du Pr Francis Glorieux et dans un travail multicentrique, afin de disposer le plus rapidement possible des réponses pertinentes.
Chez l'adulte OI, une étude prospective contrôlée française (Pr P.J. Meunier) est en cours, dont les réponses sont attendues début 2003.
Un annuaire et une association
Les difficultés qui se posent au malade et à sa famille face aux problèmes sont très sérieuses, plus grandes que ne le voudrait la rareté de cette maladie ; ils sont en attente d'informations et de conseils que ne peut, en règle générale, leur prodiguer le médecin. Le généraliste a des connaissances limitées sur les maladies orphelines, affections très rares - dans toute sa carrière, il peut être amené à s'occuper seulement d'une ou deux d'entre elles - et ne peut consacrer un temps très long à se documenter de façon approfondie du fait même de leur caractère exceptionnel. Il faut savoir que les spécialistes des dysplasies osseuses prennent en charge un à deux nouveaux cas par an. De plus, elles sont par nature de traitement « pluridisciplinaire » car, outre les problèmes médicaux, leur évolution est émaillée d'obstacles administratifs, juridiques et sociaux. A cet égard, une grande aide devrait être apportée par un document élaboré récemment en collaboration avec les familles : l'« Annuaire de la vie quotidienne des personnes atteintes de maladie orpheline »*, annoncé pour juin. Cet outil de référence permettra aux médecins d'orienter les familles dans le système complexe des soins.
Les parents d'enfants atteints trouvent un soutien important auprès de l'Association de l'ostéogenèse imparfaite, basé sur l'écoute, l'entraide et l'information ; elle propose des réunions nationales et internationales, un journal spécifique, accessible sur le site Internet (http://www.aoi.asso.fr.), organise des journées de formation pour les médecins et soignants, et appuie la recherche moléculaire, thérapeutique et le diagnostic anténatal.
Cependant, « certains ne sont pas en mesure de bénéficier du chemin parcouru par d'autres ; ils ont besoin, par tempérament, de faire tout le trajet eux-mêmes », pense Pierre Verhaeghe.
*Réalisé en partenariat avec la Fondation Aventis-Institut de France.
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