EN 1996, À ORLY, dans le Val-de-Marne, des travailleurs sociaux, interpellés par le viol d'une adolescente commis par des mineurs, engagent une réflexion sur les actions à mener en direction des jeunes pour tenter de prévenir les différentes formes de violences agies ou subies. La cité orlysienne, classée en zone d'éducation prioritaire (ZEP), abrite une jeunesse en difficulté tant sur le plan familial que social et scolaire (seulement 4 des 16 groupes scolaires ne sont pas en ZEP). L'année suivante, le Dr Martine Aïoutz, médecin de l'Éducation nationale en poste dans le secteur depuis 1979, et une psychologue entrent en scène, dans les pas d'éducateurs de rue et d'assistantes sociales. Il revient au Dr Albert Herskowicz, directeur du service communal d'hygiène et de santé, de piloter alors un groupe pluridisciplinaire. La psychiatrie infanto-juvénile reste sur la touche, bien qu'Orly dispose d'un important centre médico-psychopédagogique municipal. Police, justice et élus sont parties prenantes.
Très vite, un champ d'intervention est défini : « Prévention des maltraitances et des agressions sexuelles ». Trois groupes scolaires de la ville, soit 8 écoles maternelles et primaires (1 260 élèves), sont concernés. Dans un premier temps, la psychologue du Réseau d'aide et de soutien aux enfants en difficulté et le Dr Martine Aïoutz investissent les classes de CM2, avec, sous le bras, une cassette québécoise intitulée « Mon corps, c'est mon corps ». Quelque temps plus tard, « Ça dérap' ou un espace de parole », de l'association iséroise interprofessionnelle spécialisée dans la prévention des abus sexuels, lui est préférée. Puis, place au DVD « Apprends à t'écouter » (22 minutes), conçu par le centre médico-scolaire de Hagueneau dans le Bas-Rhin, qui s'adresse aux enfants du CP au CM2.
À partir de la rentrée 2007-2008, les grandes sections de maternelle (5-6 ans) ont leur propre cassette-marionnettes avec « Non, oui, c'est moi qui le dis », réalisée par des associations franc-comtoises et Solidarité femmes.
Libérer la parole et éduquer.
Pour chaque animation en milieu scolaire, se déclinant sur 3 jours à raison d'une heure et demie par séance, la procédure est la même. Les parents d'élèves sont conviés par courrier à une réunion en fin de journée pour les informer de la démarche de prévention, visionner la cassette et en débattre. À 100 %, ceux qui ont un travail y assistent, contre seulement de 20 à 30 % des sans-emploi. Aucun ne manifeste de réaction négative. Certains même en profitent pour se libérer de leur passé d'enfant victime. Dans la salle de classe, l'institutrice se tient en retrait du médecin de l'Éducation nationale et de la psychologue. La mission sous-entend que les intervenants parlent du corps,d'agressions possibles et, à compter de février 2003 (circulaire de l'Éducation nationale), de la sexualité, ceavant la projection . Il n'est pas répondu aux cas personnels . En revanche, ceux qui le souhaitent prennent rendez-vous, principalement avec la psychologue. En ce qui concerne le médecin, sur une classe de 25, deux ou trois élèves viennent à elle, accompagnés d'un copain, pour montrer des traces de coups portés par un parent. En une décennie , deux jeunes lui ont dit avoir été agressés sexuellement . Les enseignants, de leur côté, se montrent plus vigilants. Quand ils détectent un symptôme de maltraitance, ils appellent immédiatement le médecin scolaire.
Dans le cadre de cette démarche d'éducation à la citoyenneté, la mixité apparaît également comme un axe fort de la prévention des maltraitances et des agressions sexuelles. Depuis 2006-2007, l'appréciation selon laquelle «la fille qui se met en jupe, elle le cherche» est mise à mal au cours d'échanges. Un vocabulaire par trop restreint laisse souvent les pulsions se traduire en actes.
À terme, la communication sur le sujet pourrait être étendue aux collégiens et aux lycéens. Pour l'heure, le médecin de l'Éducation nationale se sent bien seule,avecla psychologue*,dans son travail de prévention auprès des enfants de maternelle et du primaire.
Alors que le travail ne peut s'envisager qu'en réseau, sur l'ensemble de la ville, la participation des généralistes et des psychiatres de secteur se fait désirer. Il arrive que le médecin de famille d'un enfant chez qui a été fait un constat de coups, sollicité par l'école, se retranche derrière le secret professionnel. Et un psychiatre juge inutile, voire dangereuse l'action, estimant qu'à trop parler d'agressions sexuelles aux enfants, ils risquent d'en inventer là où il n'en existe pas. Le Dr Martine Aïoutz se trouve seule, pour ne pas dire unique.
* Le Dr Herskowicz n'est plus à son poste depuis la fin 2003, ce qui entraîne une désaffection de nombreux intervenants. La municipalité alloue 6 000 euros de crédits par an, consacrés à l'achat de livres sur le corps de l'enfant au profit des écoles.
Quelques chiffres
98000enfants en danger, dont 25 800 âgés de 6 à 10 ans, les plus nombreux, et 15 900 de 3 à 5 ans. Les carences éducatives constituent le facteur de danger le plus fréquent (53 %). Il s'ensuit que l'éducation est la cause de 45 % des signalements, loin devant la santé psychologique (19 %) ou la santé physique (7 %), selon les chiffres 2006 de l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée.
19000 enfants maltraités, parmi lesquels 6 300 agressés physiquement, 4 300 sexuellement et 3 400 psychologiquement.
DEMAIN
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