ORL, dermatologie, rhumatologie : trois spécialités perplexes

Publié le 07/06/2005
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DANS LES PARCOURS de soins coordonnés, il y a les spécialités qui vont bénéficier le 1er juillet d'un accès direct encadré - la gynécologie, l'ophtalmologie, la psychiatrie et la pédiatrie - et puis il y a celles qui, bien que jusqu'à présent très facilement consultées sans intermédiaire par les patients, vont devoir passer systématiquement ou presque (puisqu'il y aura des séquences de consultations programmées pour les soins dits « itératifs ») par la case « médecin traitant » avant de voir un malade. La dermatologie, l'ORL, la rhumatologie... en font partie.
Habituées à un fonctionnement autarcique (elles assurent le diagnostic, le traitement et le suivi de leurs malades), elles voient approcher cette révolution avec une once de philosophie, une pinte de crainte et une bonne dose de perplexité.
De fait, pour certains de leurs praticiens, l'effet « parcours de soins » a commencé avant l'heure. Les dermatologues, par exemple, qui accueillaient près de 85 % de leur clientèle en accès direct, voient depuis janvier augmenter le nombre de patients qui viennent les consulter avec des lettres.

Désarroi des patients.
« La campagne de presse a vite produit des effets, commente le Dr Gérard Rousselet, président du Sndv (Syndicat national des dermato-vénérologues), certains de nos patients - et en particulier les personnes âgées - se sont mis à demander des lettres à leur généraliste pour venir nous consulter. Personnellement, je reçois au moins trois fois plus de patients munis de lettres qu'avant ». Les dermatologues estiment que ce glissement (précoce) d'usage ne s'accompagne pas d'une baisse de clientèle. Il n'en va pas de même chez les ORL. « Un certain nombre de confrères ont, déjà, des soucis de recrutement. Leurs patients, entendant des messages du style "Vous n'avez pas le droit de consulter directement un spécialiste", font de l'autorestriction d'accès direct », confie le Dr Bernard Geoffray, président du Snorl (Syndicat national des ORL).
Quant aux rhumatologues, pour lesquels l'accès direct reste très développé dans les grandes villes, ils mesurent surtout le désarroi de leurs patients. Le président du Snmr (Syndicat national des médecins rhumatologues), Jean-Philippe Sanchez, explique : « Ils nous posent des questions quotidiennement. Ils n'ont pas encore perçu la finalité des parcours de soins dont ils retiennent surtout le caractère obligatoire.  »

Santé publique.
Au-delà des chiffres, tous les spécialistes se posent des questions de santé publique. « Pour les cas courants, nous ne sommes pas inquiets, nous entretenons de bonnes relations avec les médecins généralistes, mais les problèmes de cancer de la peau nous préoccupent. Nous craignons des retards de diagnostic », explique, du côté des dermatologues, le Dr Rousselet. Philosophe, le président du Sndv a pris son parti des parcours de soins tels qu'ils sont définis. Il souhaite donc que les généralistes soient « un peu mieux formés » au dépistage des cancers de la peau.
Les rhumatologues s'interrogent, eux, sur le suivi de leurs patients chroniques. « Les personnes atteintes, par exemple, de polyarthrite rhumatoïde sont inquiètes. Elles avaient l'habitude de nous consulter au moindre pépin. Cela va évidemment devenir plus complexe ; elles vont devoir s'inscrire dans une programmation des soins », analyse le Dr Sanchez.
Sans détour, le président du Snorl regrette déjà, quant à lui, le temps de la « souplesse ». « Les choses, estime-t-il, ne se passaient pas trop mal. Les gens venaient directement quand ils percevaient bien que leur cas relevaient de la spécialité (perte d'audition, dysphonie depuis trois mois...) , sinon, ils étaient adressés logiquement par un généraliste.  » Exit ce découpage. Et bonjour les obstacles que représente la définition des soins itératifs. Car pour le Dr Geoffray, le problème est qu'il sera, la plupart du temps, tout bonnement impossible de s'entendre, avec le médecin traitant, sur un nombre et un rythme de visites. « C'est folklorique, commente-t-il, il existe des protocoles pour certaines formes de cancers mais c'est tout.  » Résultat : Bertrand Geoffray est tout sauf optimiste : « Notre objectif n'est pas du tout de torpiller la convention. Tout le monde a intérêt à ce que les parcours de soins fonctionnent. Mais on ne voit pas bien comment ça va marcher, malgré la bonne volonté des uns et des autres. »

L'hôpital hors parcours

Que devient, avec les parcours de soins, l'accès aux spécialistes dans le cadre des consultations externes des hôpitaux ? Rien ne change. Car, à bien des égards et en attendant les effets du dossier médical personnel (DMP), l'hôpital est hors parcours. « Pour nous, cela reste très virtuel », confesse le Dr François Aubart, président de la CMH (Coordination médicale hospitalière). Après le 1er juillet, comme avant, tout un chacun est libre de prendre un rendez-vous à l'hôpital sans passer par un médecin traitant, sans que cela affecte en aucune manière le remboursement des soins qui lui seront délivrés.
Alors, bien sûr, étant donné les délais d'attente souvent très longs de l'hôpital, on ne voit pas les assurés s'y précipiter en masse pour contourner le médecin traitant et consulter directement un spécialiste sans pénalité financière. D'autant que, aujourd'hui, l'usage est plutôt d'être adressé à l'hôpital par un médecin libéral, généraliste ou spécialiste - approximativement, trois consultations externes sur quatre résulteraient d'une recommandation d'un médecin de ville.
Reste que, dans certaines situations, un transfert d'activité des cabinets de ville vers l'hôpital n'est pas inimaginable. « Le risque est possible, calcule le Dr Aubart, si par exemple, dans un territoire donné où les spécialistes en secteur II sont très nombreux, ceux-ci privilégient les dépassements pour les patients non adressés par un médecin traitant. »

> KARINE PIGANEAU

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7766