Le pavé jeté dans la mare par Jacques Barrot continue de faire des vagues (« le Quotidien » du 4 novembre). En préconisant sur France Inter « une concentration » de l'assurance-maladie obligatoire « sur les maladies graves », l'ex-ministre des Affaires sociales et actuel président du groupe UMP à l'Assemblée nationale a choqué les centrales syndicales, qui sont revenues à la charge en début de semaine. Le secrétaire général de Force ouvrière, Marc Blondel, a ainsi déclaré qu'il « n'excluait pas » l'éventualité d'une grève dure pour défendre la Sécurité sociale, « l'acquis le plus grand dans ce pays », dans la mesure où Jacques Barrot « tourne les pieds au régime égalitaire et solidaire ».
Interrogé par « l'Humanité », le secrétaire confédéral de la CGT chargé de la protection sociale, Daniel Prada, a prédit pour sa part « un recul social important dans notre pays », si la conception de la Sécurité sociale selon Jacques Barrot « voyait le jour ». « La démarche de M. Barrot remet en cause le régime de base et fait un cadeau magistral aux assurances privées », explique ce responsable de la CGT.
Dans l'opposition, le Dr Claude Pigement, délégué national du PS à la Santé, reprend l'argument de la Mutualité française sur le flou qui entoure la frontière entre le petit risque et le gros risque. « Ce qui est aujourd'hui un petit risque peut devenir une maladie grave demain », souligne à son tour le Dr Pigement. Il trouve « injuste » le recentrage de la Sécu sur les gros risques parce que « 15 % des Français, essentiellement des personnes âgées et des salariés de PME, n'ont pas accès à une complémentaire santé » et parce que « 10 % des assurés sociaux engagent 70 % des dépenses d'assurance-maladie ». Quand bien même Jacques Barrot « s'est rendu compte rapidement de sa bourde et essaye de rectifier le tir », il pense que l'ex-ministre a en fait « dit tout haut ce que d'autres à droite pensent tout bas ». « On retrouve làles propositions du Medef » sur la mise en concurrence des organismes financeurs des soins, conclut le délégué national du PS à la Santé.
A l'extrême-gauche, l'heure est à la mobilisation générale. Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF, parle de « déclaration de guerre contre notre système de santé », la santé devenant « un luxe pour les familles modestes ». Le porte-parole de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) Olivier Besancenot, appelle aussi à « la mobilisation unitaire la plus large » contre le projet du gouvernement d' « une Sécu et [d'] un droit à la santé à deux vitesses ».
La mission Chadelat
Cependant, le tollé soulevé par Jacques Barrot « n'est pas très rationnel », estime l'économiste en santé Claude Le Pen, enseignant à l'université Paris-Dauphine. « Les gens n'ont pas réalisé que l'inégalité devant la complémentaire s'est réduit avec la CMU, même si les garanties ne sont pas identiques pour tous », explique Claude Le Pen. Si l'on ajoute les bénéficiaires de la CMU complémentaire aux 86 % de Français qui ont une complémentaire santé (mutuelle, institution de prévoyance ou assureur privé), le taux de couverture de la population « atteint 92 % » selon ses calculs. D'après les comptes de la Santé (« le Quotidien » du 6 septembre), la contribution croissante de la protection complémentaire a permis en 2001 de diminuer de 11,3 à 11,1 % la part moyenne des dépenses de santé restant à la charge des ménages. Dans ces conditions, « l'idée d'un rééquilibrage entre les régimes obligatoires et les régimes complémentaires n'est pas scandaleuse et ne va pas aggraver les inégalités existantes », estime Claude Le Pen.
Comme le rappelle Jacques Barrot (voir interview ci-contre), ce rééquilibrage fait l'objet d'une mission confiée à Jean-François Chadelat, membre de l'inspection générale des Affaires sociales (IGAS). A la fin de septembre, le ministre de la Santé a chargé ce dernier de « redéfinir la place de la solidarité nationale », en réfléchissant à un « nouveau partage des rôles entre assurance-maladie de base et assurance-maladie complémentaire », dès lors que l'accès aux complémentaires est élargi par une aide fiscale promise par le président Chirac et le Premier ministre.
De l'avis de Claude Le Pen, il serait souhaitable qu'au terme de cette mission le ministre de la Santé organise « une table ronde des financeurs » de l'assurance-maladie afin que le rééquilibrage entre régimes obligatoires et complémentaires se fasse « de manière pragmatique ».
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