LE TEMPS DE LA MEDECINE
Si les analyses physico-chimiques se sont largement développées au cours de ces dernières années, le recours à l'appréciation gustative humaine reste prédominante dans toutes les étapes de la fabrication du vin.
Oenologues et techniciens de vinification sont à l'oeuvre dès la fermentation. Ils sont capables d'apprécier les caractéristiques dominantes du nouveau millésime et de prendre des décisions rapides sur la prolongation de cuvaison ou le décuvage, les processus de refroidissement ou de chauffage des cuves, les schémas d'assemblages de différentes cuves entre elles, etc.
Les courtiers viennent goûter et choisir le vin alors que les fermentations malolactiques sont à peine terminées. Le vin est alors trouble, gazeux et tiède (de 15 à 18°). Suivent les dégustations d'agréage au cours desquelles le metteur en marché soumet des échantillons de sa production avant commercialisation. Chaque dégustation suit ses propres règles et requiert des dégustateurs une formation particulière.
Pour les sommeliers, l'analyse du vin commence par une phase visuelle qui permet d'apprécier son aspect comme sa limpidité, son intensité et la nuance de sa couleur. Même s'il peut, dans certains cas, conditionner d'une manière trompeuse la dégustation proprement dite, le seul examen visuel renseigne sur la nature du vin, son âge, son volume gustatif. On pourra déduire d'un vin blanc presque incolore qu'il est sec, très jeune, protégé de l'oxydation avec une vinification moderne en cuve.
La deuxième phase est l'appréciation olfactive. Le nez du vin représente une fraction infime de sa composition (à peine quelques centaines de milligrammes par litre) mais il est d'une complexité infinie. L'on estime qu'il est constitué de plus de 600 substances différentes. La perception des odeurs nécessite une attention soutenue. Leur analyse se fait d'abord sur le verre non agité, puis après agitation. En général, les odeurs végétales représentent des défauts (odeur herbacée ou de verdure des raisins manquant de maturité). Il en va de même pour les odeurs chimiques d'hydrogène sulfuré, d'anhydride sulfureux, liées à des défauts techniques.
Après avoir analysé et décrit les différentes perceptions olfactives, le vin est porté en bouche. C'est la troisième étape, celle de l'appréciation gustative proprement dite. Les quatre saveurs élémentaires sont représentées dans le vin. « Même dans les vins qui ne contiennent pas de sucre, l'alcool et le glycérol apportent des saveurs sucrées. Le goût amer est surtout représenté par les tanins et doit être équilibré par les autres goûts », explique Yves Glories, doyen de la faculté d'oenologie de l'université Victor-Segalen Bordeaux-II. A cela s'ajoutent, lors de la mise en bouche, les réactions de la muqueuse buccale, tactiles, thermiques ou chimiques ainsi que des perceptions olfactives.
On jugera « l'attaque » correspondant aux sensations perçues durant les deux ou trois premières secondes. « L'évolution », phase d'une douzaine de secondes pendant lesquelles le vin est remué dans la bouche et où interviennent les sensations gustatives, olfactives, tactiles. Puis « la fin de bouche », dominée par les tanins où les grands crus des rouges s'expriment. Dernière étape : la persistance (l'air chargé des vapeurs du vin continue à impressionner l'organe de l'olfaction). La durée de la persistance est une autre caractéristique des grands vins. Les caractéristiques sont soigneusement notées à chaque étape, ce qui permettra de mettre en lumière les qualités et les défauts du vin.
Des litres d'eau
Pour permettre aux professionnels du vin de développer leurs aptitudes à déguster le vin, les écoles utilisent des méthodes et des techniques d'entraînement structurées, explique Alain Blaise, directeur du Centre de formation et de recherche en nologie de la faculté de pharmacie de Montpellier-I. Avant de se familiariser à la dégustation du vin proprement dite, les stagiaires ingurgitent d'abord des litres d'eau. L'objectif est de leur apprendre à déceler les saveurs fondamentales. « L'opération s'effectue en ajoutant dans un verre d'eau du chlorure de sodium par exemple (pour le sel) ou du saccharose (pour le sucre), du chlorhydrate de quinine (pour l'amer) et de l'acide tartrique (pour l'acide). Ces exercices permettent aux stagiaires de déterminer leur seuil de perception, c'est-à-dire le niveau de dilution pour lequel ils sont capables de percevoir le goût. »
Un dégustateur entraîné pourra facilement distinguer cinq niveaux d'acidité différents correspondant à cinq concentrations d'acides. Il pourra dire si un vin est « agressif », s'il « attaque ou non l'arrière de la langue et la paroi des joues » (signes d'une acidité déplaisante) ou au contraire est « creux », « peu irritant sur les bords de la langue et à l'intérieur des joues » (signes d'une acidité plaisante).
Une autre phase est celle de l'apprentissage des différents arômes du vin, de ses odeurs (voir encadré).
« Tout l'art de l'oenologue est de pouvoir décrire d'une manière détaillée par un choix d'épithètes codifiés des impressions gustatives en reliant ces impressions à leur composition et de parvenir ainsi à classer les vins par un système rationnel de notation », souligne Yves Glories. Ainsi pour les stimuli « onctuosité et acidité du vin blanc », le dégustateur aura le choix de 25 adjectifs permettant de bien identifier les deux dimensions du vin blanc.
La recette des plus grands ? Bien sûr, protéger leurs papilles gustatives, outil de travail indispensable. Philippe Faure-Brac, meilleur sommelier du monde 1992, veille à ne pas manger trop chaud ou trop froid et évite tout ce qui est agressif pour le palais comme les plats trop épicés. « Il faut surtout entretenir son goût et son odorat en goûtant le plus possible et en faisant ses gammes », explique-t-il. Il déguste de 30 à 40 vins en moyenne par jour. « J'ai la chance d'avoir une relative bonne mémoire que j'essaie d'enrichir. Il faut aller par étape. Décrypter différents cépages, puis les mêmes cépages sur des sols différents, puis mixer les plaisirs de différents cépages sur différents types de sols. Chaque fois, les informations se rangent dans un nouveau tiroir. »
Mais ceux qui espèrent reconnaître les yeux fermés tel château ou tel millésime seront déçus. « Il y a beaucoup de folklore autour du vin, estime Alain Blaise. Un bon nologue peut distinguer un bourgogne d'un bordeaux, d'un vin d'Alsace ou d'un côte du Rhône. Pour distinguer un saint-émilion d'un médoc ou d'un grave, il faut déjà avoir une bonne connaissance, mais cela peut se faire. En revanche, identifier un château devient très périlleux et reconnaître une année, là c'est de la haute voltige, à moins d'être de la région. »
Si elle est largement répandue, la méthode des « gammes olfactives » semble avoir ses limites. Elle « ne modifiera pas la physiologie du dégustateur et n'aura donc aucun effet sur ses capacités en termes de détection des odeurs, estime Gil Morrot, chercheur à l'Institut des produits de la Vigne-INRA de Montpellier. En revanche, en augmentant le nombre de références et la fréquence des accès en mémoire, la pratique de ces gammes conduira à une meilleure reconnaissance de ces odeurs ».
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Les parfums du vin
Les professionnels ont coutume de classer les odeurs du vin en plusieurs familles : florales (fleur d'acacia dans les vins de cépage chenin, citronnelle dans les muscats, pivoine dans les vins de Chiroubles...), fruitées (comme la framboise typique du cabernet, le litchi du gewurztraminer, la noix dans les vins jaunes du Jura...), végétales (paille de Cahors, notes d'humus et de sous-bois des grands Bordeaux...), empyreumatiques (pain grillé, cacao, café torréfié, pierre à fusil ou silex...), épicées (romarin, thym, poivre, clou de girofle, laurier...), animales (cuir ou fourrure dans les vins de saint-émilion, gibier, parfois même musc ou civette dans les vins de Bandol ou des Corbières...), balsamiques (bois de santal, pin, cèdre, résine...).
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