Insuffisance rénale
Mme Anne-Marie G., 47 ans, a eu en 1997 un syndrome hémolytique et urémique (SHU) dont elle garde comme séquelle une insuffisance rénale chronique (IRC) avec une créatinine plasmatique à 230-250 μmol/l (26-28 mg/l) et une clairance calculée par la formule de Cockcroft à 28-30 ml/min. La protéinurie est faible, inférieure à 0,50 g/l. Cette insuffisance rénale est stable depuis huit ans.
Arrêt du tabac
La patiente avait un tabagisme majeur (2 paquets par jour) lorsqu'elle a présenté le SHU. Elle mettra cinq ans pour arrêter cette intoxication majeure, majorée à partir de 1997 par l'insuffisance rénale. Après l'arrêt du tabac, la patiente prend 10 kg de poids et développe une hypertension artérielle. Un syndrome œdémateux prédominant au niveau du tronc et des racines des cuisses, le matin au réveil, et au niveau des chevilles, le soir au coucher, apparaît quelques semaines après la mise en place du traitement antihypertenseur (IEC, dihydropyridine). Le médecin généraliste associe l'hypertension et les œdèmes et conclut à une rétention hydrosodée d'origine glomérulaire. Il intensifie alors le traitement diurétique (furosémide 60 puis 80 et 125 mg). Comme il pense que le niveau d'insuffisance rénale justifie une posologie plus importante de furosémide, la patiente reçoit jusqu'à 250 mg/j. A cette posologie, les œdèmes disparaissent au prix d'une élévation modérée de la créatininémie de 26 à 30 mg/l.
Gros orteil droit
Quelques semaines plus tard, la patiente présente un tableau typique de goutte avec une crise inflammatoire du gros orteil droit, des brûlures de la plante des deux pieds et du talon. L'uricémie est dosée à 114 mg/l. Elle reçoit alors de l'allopurinol qu'elle ne tolérera pas (éruption cutanée). Sa pression artérielle est à 127/75 mmHg.
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1) Œdèmes et insuffisance rénale
Contrairement à ce qui est parfois répandu, l'insuffisance rénale sans syndrome glomérulaire ne donne pas d'œdèmes. En effet, seul le syndrome néphrotique associé à une IRC donne des œdèmes interstitiels. L'insuffisance rénale sans protéinurie néphrotique n'entraîne jamais de rétention sodée dans le secteur interstitiel. Ainsi, lorsque l'on découvre des œdèmes associés à une insuffisance rénale, il faut doser la protéinurie des 24 heures, explorer la fonction cardiaque à la recherche d'une défaillance ventriculaire droite, enfin discuter, en l'absence des deux précédentes causes, une cirrhose hépatique avec hypertension portale et insuffisance hépatocellulaire. La patiente n'avait aucun signe en faveur de l'une de ces trois causes. En revanche, l'apparition des œdèmes a coïncidé avec la mise en place d'un traitement antihypertenseur associant IEC et dihydropyridine.
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2) Œdèmes et dihydropyridine
Bien qu'ils soient d'excellents antihypertenseurs, les dihydropyridines ont l'inconvénient de donner des œdèmes, parfois volumineux, chez 25 % des patients traités par cette classe thérapeutique. L'œdème des dihydropyridines n'est pas lié à une rétention hydrosodée. La preuve en a été donnée depuis longtemps par le dosage de la natriurèse dans les urines de 24 heures. Celle-ci ne baisse pas après l'introduction du médicament et en présence des œdèmes. Les dihydropyridines augmentent la perméabilité capillaire (se rappeler les flushes que donne cette classe thérapeutique), retardant ainsi le retour du flux sanguin capillaire vers le système veineux. Une pathologie veineuse obstructive peut aussi contribuer à augmenter le risque d'apparition des œdèmes sous dihydropyridines. Si les dihydropyridines augmentaient la rétention hydrosodée, ils auraient peu ou pas d'action sur la pression artérielle. La vasodilatation excessive, par l'hypovolémie relative qu'elle crée, peut parfois favoriser une certaine rétention hydrosodée réactionnelle à l'hypovolémie efficace. Mais cette réaction physiologique ne peut certainement pas être responsable de la constitution d'œdèmes.
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3) Diurétiques, œdèmes par rétention hydrosodée et insuffisance rénale
Il ne peut être reproché au médecin traitant de donner un diurétique en vue de traiter une hypertension artérielle de manière suffisamment efficace pour atteindre la cible recommandée par l'OMS, afin d'obtenir une néphroprotection efficace (120/70 mmHg). En effet, pour atteindre cette cible, l'association de trois antihypertenseurs est nécessaire, l'un des trois devant toujours être un diurétique. Si le patient avait réellement une rétention hydrosodée par insuffisance cardiaque, syndrome néphrotique ou cirrhose hépatique, l'utilisation de fortes doses de furosémide, prenant en compte le niveau de l'insuffisance rénale, pouvait être justifiée. Cette augmentation progressive de la posologie du diurétique de l'anse doit se faire en surveillant la natriurèse dans les urines de 24 heures. En effet, si la natriurèse spontanée, en présence d'œdèmes et d'insuffisance rénale, est égale ou supérieure à 100 mEq/l, on peut être certain que le syndrome œdémateux n'est pas la conséquence d'une rétention hydrosodée. Dans les trois causes envisagées précédemment, la natriurèse spontanée, avant tout traitement diurétique, est toujours effondrée (< 20 mEq/)l. On devrait pratiquer plus souvent le dosage de la natriurèse des 24 heures en présence d'un syndrome œdémateux, afin de distinguer celui qui relève de la rétention hydrosodée de celui qui relève d'un autre mécanisme.
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4) Diurétiques, œdèmes par augmentation de la perméabilité capillaire et insuffisance rénale.
L'utilisation de fortes doses de diurétiques chez cette patiente qui avait des œdèmes par augmentation de la perméabilité capillaire a permis de faire disparaître les œdèmes, confortant ainsi le médecin traitant dans son analyse initiale, concernant l'existence d'une relation entre les œdèmes et une rétention hydrosodée liée à l'insuffisance rénale. L'hypovolémie circulante créée par ce traitement a eu deux conséquences : la disparition des œdèmes et l'apparition de crises de goutte.
L'hémoconcentration et l'hypovolémie secondaires au traitement par fortes doses de diurétique contribuent à limiter la perméabilité capillaire et donc les œdèmes par augmentation de cette perméabilité. De même, dans le syndrome d'œdèmes cycliques idiopathiques (OCI) avec une fonction rénale normale, le traitement chronique par un diurétique crée une hypovolémie permanente, assez bien tolérée chez la femme, qui réduit le transfert des fluides vers le secteur interstitiel au niveau du lit capillaire et donc l'importance des œdèmes. Dans les formes sévères d'OCI avec hypotension orthostatique, il peut exister une rétention hydrosodée réactionnelle à l'hypotension orthostatique, qui est alors bénéfique pour maintenir une volémie efficace.
L'hyperuricémie est la conséquence de l'ischémie rénale induite par l'hypovolémie. L'hyperuricémie primitive est rare. Elle est le plus souvent secondaire à des états d'hypovolémie efficace comme ceux de l'insuffisance cardiaque ou de l'insuffisance hépatique. Le syndrome néphrotique donne exceptionnellement un état d'hypovolémie. Même dans les syndromes néphrotiques sévères avec une albuminémie basse, la volémie reste normale, voire augmentée. L'ischémie rénale chronique entraîne une hyperuricémie chronique et in fine des crises de goutte. Atteindre une uricémie supérieure à 110 mg/l traduit une ischémie chronique sévère créée par de trop fortes doses de diurétique de l'anse. Il n'y a pas obligatoirement une insuffisance rénale fonctionnelle dans les états d'hypovolémie chronique (contrairement aux hypovolémies aiguës), car le rein adapte sa filtration à cette situation. Le furosémide peut, lui-même, contrecarrer les effets hormonaux de l'hypovolémie intrarénale (stimulation du système rénine angiotensine intrarénal ou SRA intrarénal) en stimulant le système vasodilatateur des prostaglandines qui, au niveau glomérulaire, rétablit la filtration glomérulaire abaissée par les effets du SRA intrarénal.
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