Un apprentissage très précoce
« L’olfaction fonctionne en fin de gestation et les processus psychobiologiques sous-jacents sont alors ouverts aux influences de l’environnement. Les mécanismes qui canalisent l’olfaction foetale relèvent de processus de familiarisation, de conditionnement ou d’associations de stimulations. Ces mécanismes déterminent des réponses qui indiquent que les stimulations auxquelles le cerveau a été exposé in utero sont traitées ultérieurement comme étant positives. L’aptitude foetale à acquérir les odeurs est aussi doublée du pouvoir stimulant de l’environnement amniotique et, au-delà, de la naissance d’une continuité périnatale de l’écologie olfactive», explique Benoist Schaal, directeur de recherche Cnrs, au Centre européen des sciences du goût (Dijon). Pour ce dernier, cette stratégie d’« acclimatation » olfactive consistant à introduire une dose de prédictibilité dans la nouveauté environnante favorise chez l’enfant l’expression d’activités coordonnées et les apprentissages postnatals. L’influence du comportement alimentaire de la mère est de plus essentielle dans l’élaboration primitive du goût de l’enfant. De par les stimulations et les gratifications qu’elle combine, la tétée engendre des apprentissages nouveaux chez l’enfant. «Les odeurs associées à la prise de lait entraînent des préférences parfois très stables qui peuvent diriger les préférences ingestives de l’enfant au moment où il doit échantillonner les aliments non lactés. Ces apprentissages précoces sont soit spécifiques d’un arôme dominant, soit liés à la variabilité des stimulations reçues. La variété d’un bouquet odorant et sapide reçu à chaque tétée peut ainsi moduler les réponses d’acceptation de stimulations nouvelles associées à la diversification alimentaire.» Bien qu’encore mal connus, ces apprentissages précoces sont fondamentaux et déterminent des réponses d’appréciation et de consommation chez l’enfant plus grand, voire adulte. D’autres déterminismes entrent bien sûr en jeu dans la construction des préférences olfactives de l’individu, notamment son environnement culturel immédiat qui conditionne des échelles de valeur, variables selon les régions du monde.
Le poids de la culture
Lauréate 2006 du prix Jean-Trémolières pour son travail intitulé « Odeurs et catégorisation, à la recherche d’universaux olfactifs », Christelle Chrea a essayé de savoir si la manière dont nous organisons nos connaissances sur les odeurs en mémoire est influencée par notre expérience culturelle. Pour ce faire, cette jeune chercheuse du centre interdisciplinaire en sciences affectives (Genève) a, durant quatre ans, mené une étude interculturelle sur la représentation mentale et la catégorisation des odeurs auprès d’étudiants américains, français et vietnamiens. «Des critères culturels tels que des facteurs géographiques, historiques, religieux ou sociaux ont une influence sur l’environnement olfactif de ces trois cultures. Ces facteurs ont également un impact sur la manière dont nous percevons et nous nous représentons mentalement les odeurs.» Une série d’entretiens menés auprès d’une centaine d’étudiants de ces trois pays a permis d’évaluer l’environnement quotidien d’un Français à Dijon, d’un Américain à Dallas et d’un Vietnamien à Hanoi. Bien que l’étude ait été conduite dans des milieux urbains, l’environnement olfactif perçu en France, aux Etats-Unis et au Vietnam n’est naturellement pas le même et de nombreuses senteurs diffèrent d’un pays à l’autre, en fonction des habitudes hygiéniques et gastronomiques de chacune de ces populations.
Pour savoir si ces différences environnementales engendrent aussi des divergences sur la perception et la représentation olfactive, une série d’expériences utilisant des senteurs représentatives d’odeurs de la vie de tous les jours a été menée. Dans l’ensemble, les résultats ont montré une forte relation entre la familiarité d’une odeur et son caractère saillant.
«Ce résultat peut être mis en perspective avec un concept appelé clarification perceptive. Selon ce concept, la composition sensorielle va être plus visible dès lors qu’elle acquiert une certaine importance pour l’individu. D’une manière générale, le seuil de perception olfactive augmente en fonction du degré de familiarité entretenu avec un type d’odeur.»
Universaux olfactifs et prototypicalité culturelle
L’autre versant de l’étude de Christelle Chrea a consisté à étudier la manière dont ces diverses populations catégorisaient ces échantillons d’odeurs afin de déterminer si les similitudes et les différences des goûts olfactifs selon certaines régions du monde ne sont pas finalement liées à la manière dont nous organisons en mémoire nos connaissances olfactives.
«A un niveau global de l’espace olfactif, les odeurs sont perçues de manière catégorielle et similaire dans les trois cultures étudiées. Toutefois, à un niveau plus fin, des différences culturelles sont observées et seraient liées essentiellementà des différences dans les habitudes alimentaires et cosmétiques. Il semble que les catégories olfactives soient davantage formées sur la base de la fonction associée aux odeurs dans une culture donnée plutôt que sur des propriétés perceptivesuniverselles.» A l’image de ce qui a été déjà démontré autour des catégories d’odeurs et d’objets, il existe également un gradient de prototypicalité au sein des catégories olfactives qui n’est pas figé et dépend fortement de l’expérience culturelle. S’appuyant sur des catégories d’odeurs de fleurs et de fruits, Christelle Chrea a montré qu’il était possible de définir des odeurs relevant d’universaux olfactifs par rapport à d’autres odeurs davantage liées à une prototypicalité culturelle. Au niveau des fleurs, des échantillons de muguet, de chèvrefeuille et de lilas ont ainsi été évalués à une même échelle de valeur, dans les trois cultures étudiées, ce qui permet par exemple d’établir une zone d’universaux, tandis qu’une odeur de fleur comme la lavande relève davantage du prototype culturel français. Au niveau des fruits, aucun des universaux ne ressort de l’étude, bien qu’il existe une zone de prototypicalité française et américaine autour d’odeurs de pêche, de melon et de banane, ce qui suggère l’existence d’un prototype d’odeurs de culture occidentale. Malgré la mondialisation et l’environnement olfactif partagé qui en découle, il existe ainsi une certaine variabilité de la représentation mentale des odeurs en fonction des cultures. Bien que cette étude ait été menée avec des odeurs qui ne sont pas forcément alimentaires, cette dernière ouvre des voies en matière de psychologie alimentaire et des catégories du type mangeable ou non mangeable qui varieraient non seulement en fonction de la culture, mais aussi de l’âge.
* Association des praticiens pour l’information en nutrition et diététique.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature