La connaissance des acteurs et des pratiques en anesthésie-réanimation obstétricale s'est considérablement améliorée grâce au développement des études épidémiologiques, en particulier l'enquête « 3 jours » réalisée en 1996, l'enquête démographique nationale CFAR-SRAR-INED en 1999 et des enquêtes régionales.
À l'échelon national, la pratique en milieu obstétrical concerne un anesthésiste-réanimateur sur deux, mais elle est exclusive pour seulement 11,5 % d'entre eux. En 1996, le taux de pratique de l'ALR (anesthésie locorégionale) périmédullaire pour l'accouchement était de 51 %. Il est très vraisemblable qu'il soit largement dépassé aujourd'hui. L'évolution est identique pour l'ALR en cas de césarienne, qui représentait 82 % des actes programmés et 72 % des urgences. Cela a considérablement transformé le vécu des anesthésistes pendant les gardes, où les situations de stress extrême ont pratiquement disparu. Cela étant, les enquêtes régionales soulignent la très grande variabilité des pratiques, parfois difficilement explicable.
D'un point de vue réglementaire, les décrets dits de périnatalité d'octobre 1998 et la circulaire complémentaire relative à l'équipement des salles d'accouchement ont permis d'équiper la plupart des sites, bien que certains d'entre eux restent dépourvus des moyens humains prévus. De même, ils ont rendu obligatoire le travail en réseau des maternités classées en niveau pour les soins au nouveau-né, mais de façon moins formalisée pour les soins maternels, ce qui favorise un certain retrait des anesthésistes-réanimateurs dans ce type d'implication professionnelle. Cependant, la consultation d'anesthésie étant maintenant prévue au troisième trimestre dans l'établissement où doit avoir lieu l'accouchement, l'anesthésie est intégrée dans le parcours médical des femmes, au moins dans les centres qui disposent des moyens humains adéquats.
Une plus grande attention pour les femmes
Aucun médicament n'a révolutionné l'analgésie obstétricale, même si, depuis 1996, un nouvel anesthésique local, la ropivacaïne, a peu à peu pris la place de la bupivacaïne, en raison de sa cardiotoxicité moindre et de sa plus faible incidence de blocs moteurs. Le changement essentiel de la pratique porte sur la plus grande attention portée au vécu des femmes, en particulier afin de leur éviter la sensation de déprivation corporelle. Dans ce but et pour limiter au maximum le retentissement sur la mécanique obstétricale, les solutions d'anesthésique local sont de plus en plus diluées : actuellement, 0,1 % pour la ropivacaïne et 0,08 % pour la bupivacaïne. Afin d'éviter l'insuffisance de l'analgésie, des morphiniques leur sont presque toujours associés. Dans cette indication, le sufentanil a remplacé le fentanyl.
Les mêmes préoccupations ont conduit à la mise au point de deux techniques : l'analgésie péridurale déambulatoire et la rachianalgésie péridurale séquentielle. Si leur objectif concernant la mécanique obstétricale semble avoir été déçu, elles présentent un intérêt certain pour le vécu maternel (possibilité de se mouvoir ou d'avoir une miction spontanée). La rachianesthésie a de plus fait attirer l'attention sur la qualité de l'asepsie. Ces techniques représentent cependant une charge de soins lourde et nécessitent un équipement en télémonitoring.
Enfin, la facilité pour passer de l'analgésie à l'anesthésie en cas de besoin a contribué à lever les contre-indications obstétricales de la première : utérus cicatriciel, siège, grossesse gémellaire. Cette évolution permet la coopération de la mère, débarrassée de la douleur, et un travail en équipe plus soutenu.
La suprématie de la rachianesthésie
Les dix dernières années ont été marquées par l'augmentation spectaculaire de la prévalence de la rachianesthésie : celle-ci s'est imposée en lieu et place de l'anesthésie générale (73 % des césariennes programmées dans l'enquête « 3 jours »). Désormais, l'anesthésie péridurale est réservée presque exclusivement aux césariennes décidées en cours de travail et bénéficiant d'une analgésie péridurale.
Les doses d'anesthésiques locaux de ces rachianesthésies ont diminué, passant de 15 mg à 10 mg ou moins de bupivacaïne hyperbare (la lidocaïne n'est plus utilisée). Ils sont associés à un morphinique liposoluble permettant de faire disparaître les douleurs viscérales observées quand ils sont utilisés seuls, et à de la morphine pour l'analgésie postopératoire.
La qualité de celle-ci est devenue une préoccupation majeure. Son caractère multimodal est la règle. Les morphiniques périmédullaires sont devenus d'usage courant, les PCA (Patient Controlled Analgesia) sont apparus dans de nombreux centres.
En revanche, peu de nouveautés en anesthésie générale. La mise à disposition du rémifentanil n'a pas changé les pratiques, le dogme restant l'administration des morphiniques après la naissance de l'enfant.
Réanimation : la mauvaise surprise des décès par hémorragie
Les chiffres du Comité d'étude de la mortalité maternelle, mis en place en 1995, ont confirmé ce que des enquêtes antérieures ponctuelles avaient annoncé. Pour les premières années, cette mortalité s'élève à 10 à 11 pour 100 000, soit un taux semblable à celui observé au Royaume-Uni. Mais surtout, ils montrent que, à la différence des autres pays développés, la première cause de mortalité est l'hémorragie (25 % des cas), avec des décès dont les experts jugent que la presque totalité est évitable. Les facteurs explicatifs qui ont été relevés sont l'inadéquation du traitement, le retard au diagnostic ou au traitement, la négligence des patientes ou leur refus de soins, et enfin la faute professionnelle. La présence d'anesthésistes sur place dans les maternités est relevée comme un facteur améliorant la qualité de la prise en charge de ces hémorragies.
Le nombre de transfusions a diminué (0,6 % des accouchements dans l'enquête « 3 jours »). Les approches alternatives à la transfusion se sont développées, avec l'introduction de formes parentérales de thérapie martiale, parfois de l'érythropoïétine, associées à une initiation plus précoce des traitements réduisant le saignement (ocytociques et prostaglandines).
Les traitements de la prééclampsie et de l'éclampsie ont été rendus plus rationnels grâce à l'amélioration de la compréhension physiopathologique de ces pathologies. La conférence de consensus organisée par la SFAR a grandement contribué à leur diffusion.
(*) CHU Nancy
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