De notre correspondante
Quatre-vingts pour cent des diabétiques ne suivent pas le régime recommandé, 50 % ne prennent pas leur traitement au moins une fois par semaine et 25 % continuent à fumer, selon une étude citée par le Pr André Grimaldi, chef du service de diabétologie de la Pitié-Salpêtrière (Paris). Dans le diabète, comme dans toutes les maladies au long cours, l'observance thérapeutique est le problème par excellence.
« Nous sommes actuellement à un stade où nous disposons d'armes extraordinaires, mais on constate que leur efficacité n'est pas au niveau de leurs possibilités car les malades les utilisent mal », constate le Pr Jean-Louis San Marco, directeur du laboratoire de santé publique de la faculté de médecine de Marseille. Le Pr Berland, doyen de la faculté, a reconnu pour sa part que le champ de l'observance était peu abordé au cours des études de médecine et que l'on apprenait rarement aux étudiants à rédiger les ordonnances. La suite des débats a montré que peu de médecins savaient aussi parler de ces ordonnances et de la maladie elle-même avec les intéressés. Or, comme le note le Pr San Marco, « il y a dans le traitement d'autres dimensions que l'absorption d'un comprimé ».
Les « drogues » sont des produits qui guérissent mais aussi qui détruisent et cette ambiguïté entre dans le raisonnement des malades. Ambiguïté aussi des mots pharmacologie, pharmacie ou pharmaceutique, issus du grec « pharmacos » qui signifie « sacrifice » : on a longtemps soigné la maladie que l'on croyait due à la colère des dieux en leur offrant des sacrifices.
Pour le Dr Breton, médecin et psychanalyste à Lariboisière (Paris), aujourd'hui le fantasme de la guérison n'est plus attribué aux dieux mais aux médecins et à leurs médicaments, et ces médecins sont identifiés à la violence de la maladie. « Ils veulent combler la fragilité humaine par des médicaments tout-puissants qui sont souvent vécus par le malade comme destructeurs », estime-t-elle. Pour elle, dans une société qui a un idéal de rationalité et où l'on a fait de l'homme un « animal biologique », l'université doit faire un effort de retour aux sources de la médecine en se rappelant que le malade n'est pas seulement un corps anatomique mais aussi un corps inconscient.
D'adulte à adulte
A défaut d'être psychanalystes, les prescripteurs devraient au moins être un peu psychologues, surtout dans les maladies chroniques. Selon le Pr Grimaldi, l'attitude des médecins doit être différente lorsqu'il s'agit de maladies chroniques : « Il n'est plus le médecin tout-puissant qui vient sauver le malade menacé, comme cela peut être le cas dans les maladies aiguës ; ici, le but n'est pas la guérison, mais l'amélioration et l'accompagnement ; et il faut donc changer larelation médecin-malade.».
D'autant plus que cette relation risque d'être beaucoup plus conflictuelle : à la différence des malades aigus, le patient arrive en bonne santé apparente et le médecin lui annonce la catastrophe. Pis, son état risque de se détériorer au fur et à mesure qu'il consulte. Cet état se dégradera d'ailleurs d'autant plus vite que le médecin ne saura pas le convaincre de suivre son traitement ou qu'il l'infantilisera au lieu d'établir une relation d'adulte à adulte en lui expliquant la situation.
Le Pr Grimaldi constate cependant qu'il ne suffit pas d'apporter au malade toutes les informations sur sa maladie et son évolution. Il cite à ce propos le cas d'un éminent confrère atteint de diabète et qui refusait l'examen du fond de l'œil sous prétexte qu'il avait une excellente vue.
Transformer l'angoisse en motivation
Au médecin de tenter de contourner tous les évitements : « Convaincre qu'il y a un risque, que le risque est généralement évitable, qu'il peut, lui, personnellement, l'éviter et que cela en vaut la peine. » Si le médecin tente de réconforter le diabétique en disant que « ce n'est pas très grave », celui-ci risque de comprendre qu'il peut ne pas suivre strictement ses recommandations. Si au contraire il lui dit : « Si vous ne faites pas cela à la lettre, vous finirez aveugle et cul-de-jatte », le patient risque de nier totalement sa maladie. Pour le Pr Grimaldi, il ne faut pas calmer l'angoisse mais plutôt la transformer en motivation. Si le patient se montre indifférent aux conséquences de sa maladie, il faut lui demander les raisons de cette indifférence et l'aider à peser le pour et le contre du traitement. Pour cela, il recommande de ne minimiser la situation à aucun stade, que ce soit au moment du diagnostic ou aux premières complications. Le médecin doit aussi se saisir des moments opportuns (mariage, naissance, départ à la retraite) pour mettre en place les nouveaux comportements et renforcer la détermination du patient à suivre un traitement ou une nouvelle hygiène de vie.
Alléger les contraintes
Parmi la liste de conseils pour une meilleure observance, le Pr Grimaldi insiste sur la nécessité d'alléger les contraintes de traitement en fonction de la vie du patient : éviter de prescrire tel produit « 20 minutes avant le repas », éviter de donner les médicaments en plus de deux ou trois prises, surtout pour les personnes ayant une vie active (on a constaté que la prise du midi était souvent oubliée) et faciliter la « ritualisation » (proposer « au petit déjeuner » ou « au coucher »). Tout cela nécessite bien sûr une bonne connaissance du patient, ce que, à la différence des maladies aiguës, la maladie au long cours devrait permettre de peaufiner au fil des années.
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