CETTE TECHNIQUE, dite de réinnervation ciblée, redonne à la personne une sensation perdue, mais non oubliée. De plus, elle apporte l'espoir que l'on pourrait mettre en place un feed-back sensitif entre un bras prothétique et le thorax auquel il est fixé. Enfin, ces recherches apportent des informations dans le domaine de la régénération et de la plasticité des nerfs périphériques.
«Nous avons développé une technique de transfert des nerfs résiduels d'un bras amputé aux muscles de la poitrine, qui permet aux nerfs sensoriels de réinnerver une surface cutanée du thorax.»
Les prothèses actuelles donnent très peu de feed-back sensoriels. Avec les mains prothétiques motorisées, les amputés ne peuvent sentir ce qu'ils touchent et ils doivent se fier à la vision des objets manipulés.
La technique de réinnervation ciblée consiste à transférer les nerfs du plexus brachial qui assuraient le contrôle moteur et sensitif du bras amputé, aux muscles du bras et de la poitrine qui restent en place après l'ablation du membre. Au début de l'année 2007, les chercheurs de Chicago publiaient dans le « Lancet » des résultats moteurs de la technique. Une patiente de 24 ans était capable de mieux mobiliser sa prothèse myoélectrique (prothèse dite TMR) et de réaliser les gestes de la vie quotidienne : se maquiller, faire la cuisine, les courses, manger… (« le Quotidien » des 5 et 15 février 2007). Ils publient maintenant les résultats sensitifs dans les « Proceedings » de l'Académie des sciences américaine.
Un réinvestissement des surfaces concernées, avec croissance des fibres nerveuses, a bien eu lieu. «Une fois qu'ils sont innervés de cette façon, les muscles produisent des signaux enregistrés à l'électromyogramme. Ces signaux correspondent à ceux qui sont envoyés du cerveau vers le plexus brachial en réponse à une stimulation du bras originel.»
Ce processus permet d'améliorer et de rendre plus intuitif le contrôle par le bras artificiel. Les contractions des muscles réinnervés servent d'amplificateurs biologiques à des commandes motrices transmises par les nerfs du bras amputé, en même temps que les fibres motrices de ces nerfs amputés viennent innerver la peau qui recouvre les muscles cibles. Lorsque l'on touche cette peau qui a été investie par le nouveau circuit nerveux, la personne a les mêmes sensations que si l'on touchait son membre amputé. D'où l'idée que la réinnervation de la peau pourrait donner une voie d'accès directe aux voies sensitives du bras ou de la main manquante.
Les fibres poussent et atteignent la peau.
«De plus, la réinnervation ciblée représente un modèle somatosensoriel unique qui va nous aider à mieux comprendre les mécanismes de la régénérescence de nerfs périphériques et de la plasticité neurale.» Nous avons la preuve que les fibres nerveuses ont poussé à partir du muscle, qu'elles ont traversé différents tissus, pour finalement atteindre la surface cutanée et occuper un territoire qui est aussi innervé par ses propres nerfs. Les sensations du bras, apportées par les nouvelles fibres, se chevauchent, avec les sensations habituelles ressenties au niveau de la poitrine. Ce qui indique que lorsque les influx vers le cortex somatosensoriel proviennent de deux endroits différents stimulés simultanément, les représentations topographiques distinctes de ces deux surfaces cutanées s'intègrent. Le patient a la sensation qu'on lui touche à la fois la main amputée et la poitrine.
Un homme de 54 ans et une femme de 24 ans.
L'étude a porté sur deux patients, un homme de 54 ans qui avait perdu un bras à la suite de brûlures électriques et une femme de 24 ans amputée d'un bras à la suite d'un accident de la circulation.
On a testé :
– les sensations au toucher : celle qui correspond au bras amputé est apparue entre 4 et 6 mois après que l'on eut procédé à la réinnervation ciblée, elle a été complète et stable au bout de dix-huit mois pour l'un et de cinq ans pour l'autre. Les investigateurs ont pu déterminer des correspondances précises entre des points touchés sur la poitrine et des localisations sur la main ou le bras amputés ;
– les seuils des sensations thermiques sur la poitrine pour le froid et le chaud : l'existence du renvoi de la sensation de la surface cutanée de la poitrine au membre amputé montre que les fibres afférentes ont poussé ;
– les seuils sensoriels et douloureux ont été testés par stimulation électrique : là aussi, la preuve est faite d'une repousse nerveuse des fibres algiques. Là aussi, les seuils sont normaux.
La technique développée par Todd et coll. pourrait permettre d'améliorer l'usage des bras artificiels, avec un feed-back entre la peau de la poitrine et le bras mécanique, et, en complément, d'alléger le poids considérable des déficits cognitifs que vivent les amputés.
Proc Natl Acad Sci USA édition en ligne.
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